A la découverte de la grimpe : L’escalade, un sport atypique méconnu du grand public

La grimpe n’est plus un sport réservé aux alpinistes confirmés et ne requiert pas nécessairement de très hauts sommets pour pouvoir la pratiquer. Alliant réflexion, adrénaline et bien-être, elle est pratiquée sur une cinquantaine de voies nouvellement rééquipées sur la falaise des Mamelles. Les grimpeurs s’entraînent aussi sur un mur artificiel au Club olympique de Dakar, et une quinzaine de voies dont deux grandes à Bandafassi (département de Kédougou). Coup d’œil sur un sport atypique qui reste méconnu du grand public.
Réalisé par Daryl AUBRY (stagiaire)
C’est entre la mer dansante et les Mamelles de Dakar, là où les parois rocheuses plongent dans l’eau, que l’on peut tomber nez à nez avec les membres d’un club bien particulier : « Les Lézards de Dakar ». Ce groupe hétéroclite se retrouve les week-ends pour défier la graviter et flirter avec les sommets des parois. Tels des lézards agiles parmi les crabes stoïques se prélassant, ils se faufilent entre les blocs pour atteindre le haut du relief par un cheminement appelé « voie ». Abasse, qui vient fréquemment défier les falaises abruptes, explique que l’isolement du site permet de prendre du recul sur le stress de la ville, tout en en restant paradoxalement proche. «C’est une activité en pleine nature, c’est relaxant, ça libère l’esprit» décrit-il, soudainement coupé par le vacarme d’une vague venue s’échouer sur les rochers à quelques mètres en contrebas, rafraîchissant le groupe d’une ondée saline.
Avec des noms aussi improbables qu’inventifs comme « Caribou renversé », «Cabane de Christopher» ou « Mur des Italiens », les 13 secteurs d’escalade des Mamelles se répartissent sur toute la longueur du littoral entre la plage des Mamelles et vers la Mosquée de la Divinité. Mais cela est loin de représenter le seul lieu de grimpe du pays. En plus d’une cinquantaine de voies nouvellement rééquipées sur la falaise des Mamelles, l’escalade dans le pays comprend un mur artificiel au Club olympique de Dakar, et une quinzaine de voies dont deux grandes à Bandafassi (département de Kédougou). Cependant, la pratique de l’escalade au Sénégal est relativement ancienne, comme l’interprète Diarra Sonko, gérante et coach du « Mur des Lézards » au Club olympique : «certains sénégalais ont toujours grimpé aux manguiers ou sur d’autres arbres ». Pour ce qui est de la pratique sportive, Christophe Cambier-Dupont, pionnier de la pratique au Sénégal, atteste avoir retrouvé des vestiges de pitons et coins de bois attestant du passage de grimpeurs amateurs sur les falaises des Mamelles dès les années 1970-1980.
L’histoire de l’escalade au Sénégal

M. Cambier-Dupont nous raconte qu’en décembre 1988, les Forces Françaises du Cap Vert (DA160/Etom) avaient partiellement équipé le site des Mamelles sur le secteur dit des « Chèvres » pour leur entraînement au franchissement avant le retrait progressif de la plupart de leurs éléments durant les années 2007-2012. Ce site est toutefois toujours utilisé, selon lui, pour l’entraînement des unités spécialisées de l’armée sénégalaise. Lorsqu’on lui demande pourquoi le nom de « Chèvres » à ce secteur, le grimpeur narre d’un ton amusé qu’à cet endroit, des chèvres en amont ont parfois la fâcheuse tendance de faire tomber des pierres depuis le sentier escarpé du haut de la falaise. De 1998 à 2010, Christophe Cambier-Dupont a assuré quasiment seul l’équipement général de toutes les voies utilisées par les grimpeurs sportifs et la promotion de la discipline. En 2011, Christophe Paulo et une nouvelle génération de jeunes grimpeurs ont repris le flambeau pour dynamiser et promouvoir la discipline et l’équipement des sites. Ceci se traduisit début 2013 par la création du club d’escalade « Les lézards de Dakar » et d’une association qui, en 2020, prit le nom de « Sénégal Escalade ». Malgré cette longue présence, « l’escalade n’est pas très pratiquée par les Sénégalais car ils ne connaissent pas ce sport », déplore Diarra. Selon elle, l’escalade est victime de clichés « Cela arrive que des gens arrivent et disent que c’est facile. Mais lorsque je les laisse monter et essayer, ils réalisent que c’est difficile et très physique », dit-elle, le sourire en coin. Autre obstacle à la pratique de ce sport, selon les adeptes interrogés, il n’existe aucun commerce spécialisé au Sénégal. Les équipements individuels ou collectifs d’escalade doivent être importés, générant des frais prohibitifs pour certains.
Du bloc aux falaises en toute sécurité
Pour grimper il faut acquérir les gestes techniques, et la première étape passe par la bonne utilisation des placements de pieds et des bons positionnements du corps, informe Christophe Cambier-Dupont. C’est précisément ce que permet le bloc mis en place au Club olympique. Construit en 2017 pour aider les personnes intéressées à pouvoir s’initier aux premiers pas nécessaires en toute sécurité, le bloc est également un lieu de convivialité. L’escalade au sens large permet de créer du lien social, comme le décrypte Andrea, grimpeuse occasionnelle, qui avoue venir grimper pour rigoler et partager des moments de camaraderie. Contrairement aux idées reçues, les risques d’accidents sont minimes, rassure Christophe. « En escalade artificielle, les risque sont limités aux entorses si on saute mal sur les tapis », prévient-il. En extérieur, chacun est obligatoirement sous le contrôle d’une personne expérimentée et est encordée, les risques sont ainsi limités voire minimes. « Mais du fait de la hauteur, il faut impérativement respecter les techniques d’assurances », exhorte M. Cambier-Dupont. « Les rares accidents qui se produisent en falaise sont souvent dus à une erreur humaine, comme un nœud mal fait. » ajoute-t-il. Car une chute au sol pourrait avoir des conséquences dramatiques, de même qu’en extérieur une pierre qui se détacherait de la falaise pourrait être extrêmement dangereuse. Mais pas de crainte à avoir, que ce soit au bloc du Club olympique, où des tapis de réception amortissent la chute, ou en falaise extérieure où l’assurage avec une corde est obligatoire, des baudriers ou harnais et les mousquetons qui seront passés dans les points d’assurances scellés dans la roche, la sécurité est optimisée.
Vertus physiques et psychologiques

Les vertus de l’escalade sont nombreuses pour Andrea. C’est l’adrénaline qui la pousse à se dépasser. En effet, en plus de l’endorphine (hormone naturelle sécrétée par le cerveau, elle soulage la douleur, accroit le plaisir et provoque parfois une sensation d’euphorie, selon le site femmeactuelle.fr) que la grimpe libère, l’activité aide au gainage, équilibre, souplesse, tonicité, agilité, endurance, force et cardio pour la vitesse. « C’est très stratégique, il faut savoir placer son corps, choisir la bonne voie» ajoute-t-elle. Ce sport se démarque par sa complétude, sollicitant aussi bien les mains, les bras, les jambes que le tronc mais aussi les aptitudes mentales importantes. Les vertus de l’escalade sont tout autant psychologiques. Cette activité fait appel à la concentration, au dépassement de soi, et apporte un gain de confiance en soi, et aussi en l’autre, responsable de la sécurité du premier pour la voie.
Tous reconnaissent les bienfaits de la proximité avec la nature que cette activité offre. Proximité avec la nature qui peut s’avérer parfois à risque. A ce titre Christophe raconte : « la mer sera toujours la plus forte, un habitué du lieu l’a oublié un jour de forte houle pour accéder au lieu d’escalade. En longeant la falaise, il s’est fait emporter par une grosse vague, alors qu’il était lourdement chargé de 20 kg de matériel d’escalade. Pour éviter la noyade il dut se débarrasser de son sac… Ma perceuse est à jamais restée au fond, mes chaussons d’escalade sont partis peut-être au Brésil », se souvient-il. Pour Daouda, sportif aguerri, lorsqu’on commence, il faut abandonner les priori et oser se lancer, car beaucoup de personnes pensent que c’est facile sans essayer, « mais c’est loin d’être le cas » dit-il en rigolant. Pour Abasse, c’est l’aspect compétitif avec soi-même qui est un vrai stimulus. Il développe en soulignant l’aspect psychologique majeur pour réussir à se surpasser : la fraternité. Les encouragements qui en découlent entre sportifs confèrent une très forte solidarité.
Un potentiel à développer
Selon Cambier-Dupont, l’escalade est à ce jour au Sénégal un sport amateur. « Il n’existe aucun club professionnel. La pratique professionnelle est limitée à l’encadrement d’activités sportives et marginalement à l’exécution de travaux en hauteur (nettoyage, entretien de structures)». Selon lui, l’escalade possède un potentiel à ne pas négliger. En effet, la fréquentation des sites naturels d’escalade des Mamelles et de Bandafassi pourrait générer des revenus limités aux commerces et opérateurs touristiques locaux (plagistes, campements, épiceries, gardiens,…). L’impact actuel de l’escalade sur l’économie nationale et locale est donc extrêmement limité mais pourrait évoluer à moyen terme vers une contribution plus significative, selon lui. «L’escalade sportive ne bénéficie actuellement d’aucune reconnaissance officielle et ne figure pas sur la liste des sports reconnus au Sénégal». C’est pourquoi l’association vise à terme de faire connaître l’activité au Sénégalais notamment l’escalade en extérieur sur la falaise de Dakar que beaucoup de Dakarois ne connaissent pas. Mais également développer l’activité, favoriser le bénévolat en club associatif et finalement développer l’équipement des falaises de Kédougou qui se finance aujourd’hui que grâce aux rentrées d’argent du « Mur des Lézards ».