A LA UNESOCIETE / FAITS DIVERS

ENQUÊTE – CAPITAINE TOURÉ POURSUIVI POUR DÉSERTION OU PLACÉ SOUS ASSISTANCE PSYCHOLOGIQUE ?

Sa démission a fait l’effet d’une bombe. Le Capitaine Seydina Oumar Touré est venu rajouter une couche à une affaire déjà complexe. En annonçant, avec fracas sa décision de rendre tablier, tenue, galons et armes, l’adjoint au Commandant de la Section de Recherches de la Gendarmerie, enquêteur dans l’affaire de la plainte d’Adji Sarr contre Ousmane Sonko pour viols répétés et menaces de mort en a surpris plus d’un. Mais, les actes qu’il a posés suite à ce fait sont encore plus déroutants. Au point d’agiter la thèse de troubles mentaux ?

L’affaire fait débat dans son entourage et le concerné, lui, semble constant dans ses différentes sorties et, dans la dernière en date, il répond à tous ceux qui, comme son père adoptif, seraient tentés de le faire passer pour quelqu’un qui ne jouirait pas de toutes ses facultés mentales. « Pour ceux qui font circuler la rumeur que j’ai des antécédents psychiatriques, je démens formellement. J’ai été déclaré apte par un médecin militaire assermenté après visite et contre visite. Arrêtons les manipulations et les rumeurs infondées » a ainsi partagé Oumar Touré à ses contacts les plus proches, annonçant que ceci serait son dernier message sur cette affaire.

Hier, c’est le maire de Bagadadji, petite commune du département de Kolda, qui agite en premier cette thèse comme pour essayer de sauver son fils adoptif, « qui a étudié et grandi chez (lui) ». Le sauver de quoi ? D’une sanction certaine pour avoir quitté les rangs sans être passé par les règles de l’art, sans doute. Ainsi, dans une interview exclusive accordée à Emedia.sn, Massiré Touré, père adoptif de Seydina Oumar Touré semble lancer un appel de détresse : « Aujourd’hui, en le voyant avoir un tel comportement, je suis dépassé. Je sais qu’il ne jouit pas de toutes ses facultés mentales. Depuis une semaine, nous sommes à sa recherche pour le récupérer et le soigner. Je sais qu’il est malade. » Des propos qu’il a, pourtant, du mal à étayer par une preuve ou une base scientifique formelle. « Il est malade. J’en suis sûr et certain. Soit, il est atteint mystiquement soit il est malade. Je ne le reconnais plus (…) Il n’a jamais eu ce genre problème. C’est quelqu’un qui était très lucide. Il était timide (…) On est en Afrique. Il peut être atteint mystiquement. Il n’a plus le comportement d’une personne normale. Il dit n’importe quoi. Cela veut dire qu’il n’est plus normal. »

En réponse quasi automatique à cette sortie de son parent, Oumar Touré a réagi au quart de tour, sur son compte Facebook que la hiérarchie de la gendarmerie avait voulu faire passer pour un compte piraté pour sauver la face. Sans citer son père adoptif, Massiré Touré, il prend, comme pour rayer ce dernier de sa carte, la mesure de préciser les noms de ses parents : « Je suis né le 13 février 1989. Mon père s’appelle Boubacar Touré, il habite Tamba. Ma mère Fatou Mbodj, habite Saint-Louis. Si ces deux personnes et mon épouse vous disent que j’ai perdu la tête, vous pouvez le croire. »

Les propos de Massiré ont du mal à passer auprès de certains membres du cercle restreint du Capitaine Oumar Touré. Un de ses plus proches, lui aussi sous les drapeaux, sous le couvert de l’anonymat, balaie d’un revers de main les craintes de Massiré Touré. Pour lui, « Oumar est très stable et il sais ce qu’il fait. C’est un grand garçon et un père de famille. Il est très cultivé et très intelligent. Un fin juriste et j’insiste sur ce fait aussi. Il a fait un choix et je suis sur qu’il va l’assumer. Soyez en rassuré », nous confie-t-il avant de s’excuser sur le fait que, naturellement, il ne peut pas en dire plus sur cette affaire hautement sensible et qui semble avoir créé un malaise familial et professionnel.

Un de ses collègues, toujours sous le sceau de l’anonymat, appuie pourtant la thèse du maire de Bagadadji. « Personne ne l’a suivi (Ndlr : dans sa lettre de démission, Oumar Touré accusait des éléments d’une certaine « Direction nationale du renseignement sénégalais* » de le traquer depuis la fuite des PV d’audition dans l’affaire Adji Sarr / Sonko). Lui seul sait de quoi il a peur. Honnêtement, je pense qu’il a perdu la tête », s’inquiète celui qui partage avec lui la caserne Samba Diéry Diallo. Une caserne que Capitaine Touré devra retrouver, dans les prochaines heures, malgré une démission déclarée en public.

Car, au sein de l’armée, le processus de démission est très encadrée et elle n’a pas été respectée en l’espèce. Selon Me El Amath Thiam, Consultant en Droit, Spécialiste du Contentieux des Affaires, « il existe deux catégories de militaires : les militaires de carrière et les militaires sous contrat. Pour démissionner valablement, un militaire de carrière doit écrire écrire une lettre adressée à l’autorité qui a pouvoir de nomination et de sanction. Si le démissionnaire est un Officier, il doit adresser la demande au président de la République et s’il est un Sous-Officier, il doit adresser la demande au Ministre des forces armées. »

DÉSERTION : CE QU’EN DISENT LES TEXTES

Le cas de Seydina Oumar Touré entre dans la première lignée. Son grade de capitaine fait de lui un officier subalterne, qui doit donc adresser sa démission au président de la République et la procédure est beaucoup plus complexe qu’une lettre ouverte.

Selon la Loi 62-37 relative au statut des officiers, « tout officier a le droit de démissionner auprès de sa hiérarchie qui dispose d’un délai de 2 mois pour statuer sur la demande. Pendant ce délai, l’officier doit attendre sa réponse à sa demande. Le militaire qui ne reçoit pas de notification peut exercer son droit de recours devant la Chambre Administrative de la Cour Suprême. Si la démission lui est accordée, la notification est faite dans les formes réglementaires et le militaire est libre de tout lien avec l’armée. Si le militaire part sans attendre la réponse à sa demande de démission, il est considéré comme déserteur et la hiérarchie peut déclencher la procédure pour le délit de désertion. »

En l’espèce, nous signale Me Thiam, « il y a deux formes de désertion : La désertion en temps de paix sur le territoire national ou à l’étranger. Dans ce cas, le militaire est déclaré déserteur après 6 jours d’absence non autorisée. Et il y a la désertion en temps de guerre, état de siège, état d’urgence ou en présence de l’ennemi, les délais susvisés sont réduits au 2/3. »

En d’autres termes et en considérant que les faits concernant Oumar Touré se sont déroulés durant la période d’état de catastrophe sanitaire, le délai de constatation est bien dépassé. À moins qu’une certaine clémence soit accordée à un jeune (32 ans) promis à un bel avenir, qui a peut-être pu avoir un moment de tension psychologique intense lié au stress d’une affaire d’une si grande ampleur et d’une incidence aussi importante dans la vie politique sénégalaise.

En ce sens, il n’est pas exclu, nous signale une source proche des autorités de la gendarmerie, que le Capitaine Touré soit placé sous assistance psychologique. Pas sûr que cette option calme les tensions vu le climat de suspicion qui entoure cette affaire et ses incessants rebondissements. Le principal concerné lui, dans le message envoyé à ses proches, se dit prêt à toute éventualité : « Ceci est mon dernier message avant mon entrée en caserne. Si autre chose circule à mon propos alors que je suis dans les liens d’une détention ou entre les mains de ma hiérarchie sachez que cela ne vient pas de moi (…) Si je suis fautif, que je sois sanctionné. Je ne peux pas appeler à la justice et vouloir me soustraire à la même justice, cela serait incohérent. Si je suis épargné, cela serait injuste. J’ai déféré des centaines de personnes et je ne suis pas meilleur qu’eux. »


– * Dans sa lettre de démission, le capitaine Oumar Touré accusait des éléments d’une certaine « Direction nationale du renseignement sénégalais ». Nos différentes recherches ne montrent pas l’existence d’une telle direction au sein de l’organigramme de l’administration publique. Par contre, concernant les services de renseignements, il existe une Délégation générale au Renseignement national (DGRN), logé à la Présidence de la République et créée en 2014, « dans la plus grande discrétion » selon le Témoin du 17 octobre 2014, par le chef de l’Etat Macky Sall. L’objectif de la création de cette DGRN serait de « remédier à l’éparpillement des multiples structures s’occupant de la question et de rationnaliser leur fonctionnement ».

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