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MONNAIE UNIQUE EN AFRIQUE DE L’OUEST, UN PROJET MAL ENGAGÉ

Paris manœuvre pour que les transformations du FCFA ne se traduisent que par un changement de nom. Les pays de l’UEMOA n’ont toujours pas dit à leurs pairs de la Cédéao comment ils comptaient rompre le cordon qui les lie au ministère français des finances

Les présidents de quinze pays d’Afrique de l’Ouest ont révélé, fin juin, le nom de la monnaie unique régionale qu’ils veulent lancer en 2020 : l’eco. Mais la volonté politique de plusieurs États semble manquer pour faire aboutir ce projet mal ficelé. En coulisses, Paris manœuvre pour que les transformations du franc CFA ne se traduisent que par un changement de nom. 

Réunis fin juin à Abuja, au Nigeria, les dirigeants des quinze pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont semblé donner un coup d’accélérateur à un vieux projet de monnaie unique : ils ont annoncé qu’ils avaient retenu le nom d’« eco » pour cette future unité de compte, censée voir le jour en juillet 2020. Mais, depuis, le doute plane sur ce projet tant la volonté politique de certains chefs d’État à mener cette entreprise à son terme semble manquer. 

L’idée de monnaie unique régionale a été adoptée en 1983 par la Cédéao. Elle doit concerner 335 millions d’habitants : les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest- africaine (UEMOA), soit le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, qui utilisent actuellement le franc CFA et sont membres de la zone franc, ainsi que le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Léone, qui ont chacun leur monnaie. Au fil des décennies, la mise en œuvre du projet s’est révélée compliquée, et il y a eu de nombreux reports pour la plupart des étapes fixées.

En dépit des retards, les chefs d’État de la Cédéao multiplient depuis un an les déclarations affirmant leur intention de tenir l’échéance de 2020. À Abuja, pour montrer leur détermination, ils ont non seulement annoncé le choix du nom « eco », mais se sont aussi prononcés pour un régime de change flexible (http://www.ecowas.int/wp-content/upl oads/2019/07/Communiqu%C3%A9-Final_55%C3%A8m-Sommet_Abuja_29-juin-2019-1.pdf ).

Cependant, le flou continue de dominer tout le reste, comme l’a souligné l’économiste ivoirien Mamadou Koulibaly dans une vidéo (https://m.youtube.com/watch?v=LniFFT27ejM): la Cédéao n’a pas de traité d’union monétaire, les statuts de la future banque centrale n’ont pas été définis, la question de la gestion des réserves de change n’a pas été abordée, ni celle des politiques économiques et financières communes, etc.

Certes, des « critères de convergence » (taux d’inflation inférieur à 10 %, endettement public sous 70 % du PIB, déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB, etc.) ont été définis il y a quelques années comme préalables à remplir par chaque État avant d’aller vers une monnaie unique. Mais aucun pays n’avait respecté ces critères en 2018. 

Mi-juin 2019, le « comité ministériel » de la Cédéao s’est même dit préoccupé (https://www.mays-mouissi.com/wp-content/uploads/2019/06/Rapport-final-reunion-ministeres-et-Gvneurs-BC_18-juin_monnaie-unique-CEDEAO.pdf ) par « le recul relatif de la convergence macroéconomique et le manque de performances au regard de l’échéance de 2020 pour la création d‘une union monétaire », « la vulnérabilité des économies de la région aux chocs extérieurs qui rend difficile le respect des critères de convergence sur une base durable par les États membres », « le déficit budgétaire élevé, en aggravation dans certains États membres, qui a un impact négatif sur le taux de change et la dette extérieure ». Ce sont sans doute ces constats qui ont poussé les chefs d’État à préconiser depuis Abuja une

« approche graduée » : les pays qui rempliront les critères de convergence pourront utiliser l’eco en 2020 en attendant que les autres soient prêts, ont-ils annoncé.

À ces problèmes, il faut ajouter la position ambiguë des pays de l’UEMOA. Tout en se montrant depuis quelques mois enthousiastes à propos du projet eco, ils n’ont toujours pas dit à leurs pairs de la Cédéao comment ils comptaient rompre le cordon qui les lie au ministère français des finances (la moitié de leurs réserves de change est actuellement déposée sur un compte spécial du Trésor français par lequel transitent une grande partie de leurs opérations extérieures ; des représentants français siègent dans les instances de leurs banques centrales, etc.).

Pourtant, le Nigeria réclame depuis 2017 un plan de divorce, indispensable avant la création d’une monnaie unique. Le président ghanéen, Nana Akufo-Addo, a lui aussi souligné à plusieurs reprises que les membres de l’UEMOA devaient revoir leurs relations avec le Trésor français. Il l’a redit devant son homologue français, Emmanuel Macron, le 11 juillet : « Clairement, il faudra qu’il y ait quelques transformations dans l’arrangement monétaire de ces pays. » 

Les ambiguïtés d’Alassane Ouattara 

À l’issue d’une visite à l’Élysée, le 9 juillet, et d’une réunion des dirigeants de l’UEMOA, le 12 juillet, Ouattara a laissé entendre que les États de l’UEMOA seraient les premiers à adopter la monnaie unique, arguant qu’ils se rapprochent le plus des critères de convergence – ce qui est exact et s’explique par le fait qu’ils sont déjà soumis à des règles strictes imposées par le système CFA.

Le franc CFA serait alors simplement rebaptisé eco et garderait sa parité fixe avec l’euro « dans l’immédiat », c’est-à-dire au moins tant que les pays de l’UEMOA seront les seuls à utiliser cette monnaie unique, a expliqué Alassane Ouattara, faisant ainsi fi de la décision de la Cédéao d’opter pour un régime de change flexible et de l’avis de nombreux économistes affirmant que la parité fixe avec l’euro est désastreuse pour les pays CFA. En somme, la situation monétaire de l’UEMOA ne changerait pas, excepté le nom de sa monnaie.

Ce scénario aurait le mérite de répondre aux vœux des autorités françaises, dont Alassane Ouattara est proche : si Emmanuel Macron, pressé par la fronde anti-CFA qui ne cesse d’enfler, s’est dit « ouvert » à des changements concernant la zone franc, il a suggéré qu’ils se limitent à un élargissement de son périmètre et à une modification du nom franc CFA… Mais un tel tour de passe-passe ne permettra pas d’affaiblir la contestation, qui semble être devenue la préoccupation principale des défenseurs du franc CFA. Déjà circule l’idée que la France et ses alliés africains cherchent à berner les citoyens de la zone franc (https://youtu.be/UpjT6_H9u0k), en essayant de leur faisant croire qu’ils vont retrouver le contrôle de leur monnaie grâce à l’eco.

Et il est difficilement imaginable que cette monnaie soit lancée pour quelques-uns d’entre eux seulement. On peut par ailleurs s’interroger sur le degré d’attractivité d’une « zone eco » qui serait lancée sans le Nigeria et le Ghana, poids lourds de la Cédéao.

Pour Mamadou Koulibaly, il n’y a pas de doute : aucune monnaie unique régionale ne verra le jour en 2020. Par conséquent, il « faut continuer à se battre contre le franc CFA », lequel « n’est pas là pour assurer » le « développement » des pays qui l’utilisent. Il va falloir aussi que les dirigeants de la Cédéao, qui n’ont jamais jugé utile de soumettre la question monétaire à un vote démocratique, revoient leur copie.

L’eco, « conçu dans une optique d’orthodoxie budgétaire » et calqué sur l’euro, comporte des risques importants, notamment parce que les États concernés ont des profils économiques différents et des « cycles économiques rarement synchrones », ainsi que l’a expliqué l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla dans une tribune publiée par le Monde Afrique (https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/0 6/30/la-monnaie-unique-ouest-africaine-risque-d-etre-un-echec-cuis ant_5483447_3212.html). À eux seuls, les actuels critères de convergence témoignent de l’irréalisme du projet : pour les respecter tous, beaucoup de pays de la Cédéao devraient mener des politiques d’austérité très coûteuses socialement, ce qui n’est évidemment pas dans leur intérêt.

D’ailleurs, si le Nigeria soutient officiellement l’eco, il n’y est en réalité pas favorable : il sait qu’il perdrait beaucoup s’il devait renoncer à sa monnaie nationale. 

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