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Afghanistan: «Les talibans répriment déjà violemment toute activité musicale»

Des instruments de musique détruits, tout concert interdit : les talibans vont-ils à nouveau bannir la musique d’Afghanistan, comme ils l’avaient fait entre 1996 et 2001 ? Ahmad Naser Sarmast, directeur de l’Institut national afghan de musique, le craint. RFI a pu s’entretenir avec lui.

RFI : Voilà une semaine que les talibans sont entrés dans Kaboul. S’en sont-ils déjà pris à votre institut, et plus largement à la pratique musicale dans la capitale ?

Ahmad Naser Sarmast : L’école est désormais fermée à cause de l’insécurité qui règne. Personne n’est en sécurité dans les rues de Kaboul. Je ne suis pas sûr ni optimiste que le nouveau régime nous autorisera à rouvrir les portes de l’Institut. Actuellement, les combattants talibans répriment déjà violemment toute activité musicale. Ils ont commencé à empêcher les gens d’écouter de la musique, et des boutiques qui vendent de la musique ou des instruments ont été détruites.

J’ai le cœur brisé de voir tout ce travail si dur et tous les sacrifices de tellement de gens partir en fumée du jour au lendemain. Cela ravive nos souvenirs de l’année 1996, lorsque les Talibans avaient détruit tous les instruments musicaux, lorsqu’ils les avaient accrochés aux arbres, lorsqu’ils avaient condamné au silence tous les musiciens. Personne en Afghanistan n’avait le droit de jouer un instrument et toute pratique musicale était interdite. Je crains que le peuple afghan soit à nouveau muselé et privé de son droit de jouer et d’écouter de la musique. 

Votre école, avec ses 400 étudiants, était devenue en dix ans d’existence le symbole d’un nouvel Afghanistan dans lequel la musique avait toute sa place. Vous vous trouviez à Melbourne en Australie lorsque les talibans ont pris le pouvoir à Kaboul. Quelles nouvelles avez-vous de vos élèves ?

Les étudiants avec lesquels je suis en contact ont le cœur brisé. Ils ont beaucoup de craintes quant à leur avenir. Ils ont peur pour leur sécurité. Nous savons que les talibans font du porte à porte, et mes élèves craignent que si on trouve un instrument chez eux, ils soient punis. Moi, je suis déterminé à continuer la promotion de l’éducation musicale et à défendre le droit à la musique en Afghanistan.

Craignez-vous que la musique soit désormais interdite en Afghanistan ? Qu’il n’y ait plus de concerts, ni même de possibilités d’apprendre la musique ?

Étant donné la politique des talibans dans ce domaine par le passé, c’est la crainte de tout le monde. Et c’est aussi la mienne. Les annonces et les actes des talibans se contredisent. Ils ont promis de respecter les droits humains, la diversité, les cultures. Mais quand il s’agit de mettre en pratique ces annonces, rien ne se passe. Et sur le terrain, les dirigeants ne semblent pas avoir de contrôles sur leurs soldats : chaque groupe armé semble avoir son propre agenda.

Quelle est la vocation de votre institut et ses réalisations depuis sa création en 2010 ?

L’Institut national afghan de musique est la première et la seule école de musique en Afghanistan dispensant un enseignant musical à tous les enfants du pays, peu importe leur ethnie, leur sexe ou leur condition sociale. L’école a été particulièrement active cette dernière décennie, en promouvant la diversité musicale et l’égalité entre les sexes, permettant aux filles et aux femmes d’apprendre la musique et en construisant des ponts entre les diverses ethnies ainsi qu’avec l’étranger. En peu de temps, l’école est devenue très influente. Nous sommes arrivés à constituer 12 formations musicales, de différentes tailles et genres, dont l’Orchestre symphonique national d’Afghanistan et un orchestre national entièrement féminin [le Zohra Orchestra, NDLR], les plus demandés à travers le monde.

Les musiciennes du Zohra Orchestra se sont produites au Forum économique mondial de Davos, en 2017.
Les musiciennes du Zohra Orchestra se sont produites au Forum économique mondial de Davos, en 2017. © World Economic Forum / Flickr / CC

Certaines de ces formations se produisent en effet à l’étranger…

Nos ensembles musicaux se sont déjà produits dans 47 pays au cours d’une centaine de concerts dans les plus belles salles et les plus grands festivals à travers le monde.   

Avec l’arrivée des talibans, serez-vous contraints de ne jouer que de la musique islamique ?

Je pense que dans la conception des talibans, il n’y a pas de concept de « musique islamique ». Pour eux, la pratique de la musique doit être complètement interdite en islam, ce qui est une mauvaise interprétation des textes.

Quelle aide espérez-vous de la communauté internationale ?

Elle doit s’assurer que les talibans respectent les droits de l’homme en Afghanistan, que la Constitution est respectée, et que tous les Afghans puissent avoir accès à la culture. La communauté internationale doit s’assurer qu’un nouveau génocide culturel ne puisse pas se dérouler dans mon pays.

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