Aly Saleh Diop, ministre de l’Elevage: « nous invitons le secteur privé à accompagner le programme d’autosuffisance en moutons »

Secteur à l’importance économique et sociale certaine, l’élevage est érigé en rang de priorité dans les politiques publiques de l’État. En poste depuis novembre, le nouveau Ministre accorde au Soleil sa première grande interview. Dans cet entretien, Aly Saleh Diop fait le point sur certains programmes en cours et la dynamique qu’il compte insuffler à ce secteur qui, en 2019, a contribué à hauteur de 3,4 % au Pib national et pour 23,4 % à la valeur ajoutée de l’agriculture au sens large et concerne près d’un tiers des ménages sénégalais.
Monsieur le Ministre, vous êtes à la tête du Ministère de l’Élevage et des Productions animales depuis début novembre. Après vous être imprégné des dossiers, quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?
Après avoir pris possession des dossiers de mon Département, deux constats me sont apparus : en premier lieu, le nombre important de réalisations du Gouvernement dans ce secteur et qui sont insuffisamment mises en exergue et, parallèlement, les besoins de financement tout aussi importants pour pouvoir booster durablement les différentes filières animales. En effet, à y voir de plus près, je me suis rendu compte que le secteur de l’élevage recèle d’énormes potentialités qui sont encore trop peu valorisées. Ceci lui confère de grandes marges de progression pour peu que les investissements adéquats soient réalisés. En effet, le secteur a contribué, en 2019, à hauteur de 3,4 % au Pib national et pour 23,4 % à la valeur ajoutée de l’agriculture au sens large et concerne près d’un tiers des ménages sénégalais, soit 550 514 ménages, auxquels il apporte de nombreuses opportunités en termes de revenus, d’emplois et de renforcement de la sécurité alimentaire et de la nutrition.
Lors du Conseil des Ministres du 2 décembre 2020, le Chef de l’État a demandé à votre Département de poursuivre l’exécution du Plan national de développement de l’élevage en mettant l’accent sur l’autosuffisance du Sénégal en moutons, en volaille, en viande et en lait. Comment comptez-vous concrétiser cette directive présidentielle ?
Les filières animales citées constituent une priorité pour le Sénégal eu égard à la forte demande des consommateurs. Le Programme national d’autosuffisance en moutons, élaboré depuis 2014, est prévu sur deux phases de cinq ans chacune, pour un montant global de 34 milliards de FCfa. Pour ce qui concerne les sources de financement, 29 % devraient être assurés par les bénéficiaires, 21 % par l’État du Sénégal et 50 % par les Partenaires techniques et financiers. Malheureusement, jusque-là, nous n’avons pas eu l’appui de Partenaires techniques et financiers et tous les efforts menés actuellement se font essentiellement à partir du budget de l’État en appui aux activités des opérateurs. En 2020, le Pronam a été inscrit parmi les programmes prioritaires du Pap 2A. Pour concrétiser cette aspiration, la priorité sera de combler, en lien avec les partenaires techniques et financiers et le secteur privé, le gap de financement du programme.
Pour la volaille, l’aviculture industrielle est une belle réussite depuis la fermeture des frontières, intervenue en 2005. Toutefois la filière a été mise à rude épreuve avec la situation de la Covid-19. À cela s’est ajouté l’enregistrement d’un foyer de grippe aviaire hautement pathogène. Pour endiguer les effets de ces problèmes majeurs, en plus des actions déjà prises dans le court terme pour soutenir la filière, un plan de relance est en cours d’élaboration avec l’ensemble des parties prenantes.
Pour la viande, il y a moins de problèmes pour les animaux de boucherie, hormis certaines périodes de l’année, notamment en fin de saison sèche et en début d’hivernage marquées par une difficulté d’approvisionnement en bovins de qualité. Cette situation est surtout liée au mode d’élevage transhumant.
S’agissant du lait, sa promotion est aussi prise en charge à travers le Projet d’appui au développement de la filière laitière (Pradelait) inscrit aussi dans le Pse Pap 2A. Ce projet également n’a pas encore bénéficié du soutien des Partenaires techniques et financiers. Tous les efforts se font sur le plan interne et il est enregistré une progression moyenne de la production de lait de 10 millions de litres par an. Toutefois, la plus grande préoccupation reste la compétitivité du lait local face à celui reconstitué à partir de la poudre de lait importé. Cette préoccupation, partagée par la plupart des pays africains, a poussé la Cedeao à lancer l’offensive régionale pour la promotion des chaines de valeur du lait local en Afrique de l’Ouest. Le Sénégal participe à cette offensive qui allie à la fois des solutions d’ordre technique, fiscal et commercial.
L’intensification des cultures fourragères semble être aussi une préoccupation pour le Chef de l’État. De ce point de vue, quelles sont les actions mises en œuvre pour y arriver ?
Depuis l’année 2012, le Ministère de l’Élevage et des Productions animales met en œuvre, chaque année, une campagne de promotion des cultures fourragères pour vulgariser des espèces fourragères adaptées aux conditions écologiques du Sénégal. Cette initiative et celle mise en œuvre en collaboration avec la Fao (Champs-écoles agropastoraux) ont impulsé, ces dernières années, une adoption progressive par les producteurs des espèces fourragères comme le « niébé fourrager » et le « maral falfa ». L’objectif sera de renforcer le capital semencier fourrager. Pour ce faire, le Ministère, en rapport avec l’Isra et les opérateurs multiplicateurs, va appuyer le renforcement du capital semencier fourrager dans le cadre du sous-programme Élevage du Programme de compétitivité de l’agriculture et de l’élevage, dénommé Program for Results ou PforR, financé par la Banque mondiale. En plus de la poursuite de cette stratégie, le Ministère de l’Élevage compte appuyer des tests de certaines espèces et variétés de semences dans ses Centres d’impulsion pour la modernisation de l’élevage (Cimel), notamment ceux de Mbakhana (Saint-Louis), Dahra (Linguère). Le Ranch Djibo Leyti Kâ de Dolly verra également l’installation d’un site de production de fourrage et d’incubation des jeunes pour l’entrepreneuriat fourrager. En plus, Son Excellence Monsieur le Président de la République a instruit les Ministères concernés de donner suite à la requête des Organisations professionnelles d’éleveurs du Sénégal qui, lors de la Journée nationale de l’élevage, tenue en novembre 2019, à Kaël (Mbacké), avaient souhaité l’octroi de 50 000 hectares de terres pour le développement et l’intensification des cultures fourragères. Les travaux de la Task force, mise en place à cet effet, ont abouti à l’élaboration d’un projet de création de trois modèles de fermes pilotes dans trois zones agroécologiques (ferme de 1000 ha vallée du fleuve, fermes de 100 ha zone sylvopastorale et bassin arachidier). Ces fermes visent à promouvoir de futurs entrepreneurs fourragers qui seront organisés en coopératives. À terme, le projet permettra de créer 1200 emplois directs et la mise sur le marché de 30 000 tonnes de fourrage de qualité par an.
Dans l’intitulé de votre Ministère, il y a « Productions animales », mais on n’en parle pas beaucoup. De quoi retourne cette notion et quelle sont les actions qui ont été menées pour développer ce volet ?
L’élevage se définit pour une action consistant à élever des animaux domestiques ou utiles avec l’ensemble des techniques permettant de les faire naître, de veiller à leur développement, leur entretien, leur reproduction. Donc, en mentionnant Productions animales, il faut comprendre la volonté de l’État de se focaliser sur la finalité de l’élevage qui est le produit en améliorant la productivité et la compétitivité des différents systèmes d’élevage qui peuvent se résumer en système pastoral, système agropastoral et système intensif. Chaque système a ses besoins spécifiques qu’il va falloir satisfaire afin d’approvisionner le marché et couvrir la demande des consommateurs.