Audience-farce entre deux grands champions de la mal gouvernance. (Par Mody Niang)
Le
vieux président-politicien et son successeur et sosie sont au cœur de
l’actualité depuis l’inauguration de la Grande Mosquée Massalikul
Jinaan. Ce jour-là, le Khalife général des Mourides, s’acquittant de son
devoir de chef religieux, de régulateur social, les a convaincus à se
donner la main, à se ‘’réconcilier’’. Une quinzaine de jours après,
cette ‘’réconciliation’’ continue de faire l’objet de commentaires les
plus divers, et nos deux acolytes se retrouvent en audience-farce à la
Présidence de la République le samedi 12 octobre 2019. La comédie se
termine par une déclaration qui en dit vraiment long sur l’hypocrisie de
nos gouvernants. Je ne m’attarderai pas sur cette déclaration. Le
Sénégal est vraiment le pays de tous les possibles et mon père a eu très
tôt raison, lui qui ne cessait de nous dire que nous perdions notre
temps, que le Sénégal était le pays le plus facile à gouverner. Je
retiens encore la phrase qu’il nous lançait toujours « Mii rèew, X sax man na koo jiite. »
X était un clown du village qui allait de maison en maison pour faire
rire les gens. Mon père avait vraiment raison : nous sommes faciles,
très faciles à gouverner et les quinze derniers jours en sont une
parfaite illustration.
Nous
oublions facilement qui est Abdoulaye Wade et les crimes qu’il a commis
au cours de sa gouvernance de douze longues années. Á 93-94 ans,
peut-être plus, il continue de peser sur la vie politique de notre pays.
Moi en tout cas, je ne peux pas oublier. De juin-juillet 2000 au 25
mars 2012, j’ai dénoncé ses crimes du mieux que j’ai pu. Je les ai
consignés dans trois livres et un nombre indéterminé de contributions.
Je suis même allé jusqu’à envisager de porter plainte contre lui et
contre l’Etat qu’il avait domestiqué. Je m’en suis ouvert ainsi à un
avocat de talent pour avoir son avis. Je ne résiste pas à la tentation
de proposer le message aux lecteurs.
Le voici :« Bonsoir
Me . . . . . ! Comment-allez-vous ? Je suis hanté par une idée qui ne
doit pas être réaliste, qui est peut-être même saugrenue. Mais, je n’y
peux rien, je vis avec. Vous savez, je crois, que j’ai beaucoup écrit
sur le politicien Wade et sur sa gouvernance hideuse. Dans mes écrits,
j’ai dénoncé vigoureusement les mille forfaits qui ont jalonné ses douze
longues années de règne sans partage. Je me suis surtout indigné de sa
»générosité » déferlante et surtout sélective.
Malgré
les fautes qu’ils ont dû commettre pendant leur long règne, les
Socialistes nous ont laissé des réserves foncières importantes. Dès le
lendemain de son accession à la Magistrature suprême, le vieux président
prédateur s’est employé sans état d’âme à distribuer les terres
desdites réserves. Ainsi, celles du CICES, de l’Aéroport international
Léopold-Sèdar-Senghor, de la Zone de captage, de la Bande verte longeant
la VDN, celles devant le Stade Léopold-Sédar-Senghor, du Domaine
maritime, etc. Toutes ces terres sont tombées sous la trappe du vieux
président-politicien et de son acolyte Taïbou Ndiaye. Toutes ces
terres appartenaient à la collectivité nationale. Elles devaient donc
recevoir des infrastructures administratives, scolaires, sanitaires,
sportives, des logements sociaux, des places publiques, etc. Comme s’il
tenait à rattraper un long temps perdu dans l’opposition, le vieux
prédateur distribua tout, vraiment tout. On serait peut-être moins
indigné s’il avait distribué les terrains à des Sénégalais moyens. Les
heureux bénéficiaires furent, au contraire, des gens fort nantis et déjà
repus : officiers supérieurs et généraux des Forces de Sécurité,
magistrats, ministres, députés, chefs religieux et notables, inspecteurs
des impôts et leurs collègues du Trésor, membres de la famille
présidentielle et du parti gouvernemental, etc.
Aujourd’hui,
de jeunes couples vivant à Dakar n’ont aucune chance d’y avoir une
maison, deux compatriotes bien connus et autres anciens calots bleus
vendant les parcelles de terrain à 200 000-250 000 francs l’unité,
parfois bien plus. Pendant ce temps, le patrimoine foncier (bâti et non
bâti) d’un Taïbou Ndiaye était estimé à 60 000 m2 par la Cour de
répression de l’Enrichissement illicite (CRÉI). Un autre des acolytes du
vieux président prédateur, un nommé Aïdara Sylla, a reçu de lui 17 837
m2 du Domaine maritime, au prix étudié de 2355 francs le m2. Quelque
temps après, l’heureux bénéficiaire a vendu les 7000 m2 à trois
milliards de francs CFA (information donnée par l’architecte Atépa
Goudiaby).
Maître,
cette »générosité » est injuste et insoutenable. Le Président de la
République peut-il disposer ainsi à sa guise du bien collectif
qu’étaient nos pauvres réserves foncières ?
La
»générosité » très sélective du vieux président-politicien se
déployait dans d’autres domaines. Ainsi, il a acheté pour ses premiers
députés et avec l’argent du contribuable, des véhicules 4×4 rutilants.
Ce qui est plus inacceptable encore c’est que, à la fin de la
législature, il leur »a donné » les véhicules. A quel titre ? Ces
véhicules ne sont-ils pas le patrimoine de l’Assemblée nationale, un
pouvoir théoriquement indépendant de l’Exécutif ? De nombreux autres
véhicules de luxe appartenant à l’Administration, donc à la collectivité
nationale, sont donnés à des chefs religieux et à des notables. Cette
pratique continue avec son digne successeur, le président-politicien Jr.
Maître,
je peux encore donner nombre d’exemples de la manifestation de sa
»générosité » foncièrement injuste et donnant lieu à des frustrations
flagrantes et insupportables.
Maître,
ce vieux briscard, c’est nous qui l’avons porté au pouvoir le 19 mars
2000, pour qu’il apportât au pays les changements dont il avait alors
besoin. Nous ne lui avions pas donné le pays, nous lui en avions confié
la gouvernance. Pouvait-il donc se comporter comme il l’a fait pendant
douze trop longues années ?
Un citoyen n’a-t-il pas le droit de porter plainte contre lui ? Ou contre l’Etat si une certaine immunité s’y oppose ?
Maître,
c’est l’idée qui me hante depuis le départ du pouvoir du vieux
président prédateur. Si c’était possible, je serais prêt à me lancer
dans l’aventure, sans trop d’illusion d’ailleurs. Il me suffirait de me
trouver devant un tribunal pour développer mon argumentaire contre le
vieux prédateur ou contre l’Etat, ou contre les deux à la fois. Me
faire écouter me suffirait déjà.
Si
c’était possible, je prendrais en charge les frais du procès qui ne
devraient pas être très élevés, surtout avec la compréhension d’avocats
patriotes qui ne manquent pas dans ce pays.
Ce
que j’attends de vous Maître, c’est que vous me disiez si mon idée est
réalisable. Si oui, vous me mettez en rapport avec un jeune avocat
compétent et patriote.
Maître, voilà la folle idée que je me permets de soumettre à votre appréciation pour avis. Mille fois merci !
De la part de Mody Niang, inspecteur de l’Enseignement à la retraite »
Voilà
le message que j’ai envoyé à mon ami avocat. Il me reçut gentiment et
me fit comprendre qu’un citoyen ne pouvait pas porter plainte contre un
ancien président ou contre l’État. Il le pourrait cependant, dans le
cadre d’une association. C’est ainsi que j’ai pensé à celle-ci : « Association sénégalaise pour la Récupération des Biens spoliés par le Régime libéral ».
Les premières démarches que j’ai faites dans cette perspective me
firent descendre de mon nuage : une telle aventure n’avait aucune chance
de succès dans l’état actuel du Sénégal.
Le
vieux président-politicien et son successeur et sosie ont donc tout le
loisir de continuer leur comédie. Pourtant, le premier devait être
traduit en justice et le second sanctionné pour reniement de tous ses
engagements le 25 mars 2012.
L’ancien
président brésilien Luiz Inacio Lula Da Sylva croupit en prison pour
neuf longues années. Celle qui lui a succédé, Dilma Roussef, a été
destituée. Le président Chirac a été condamné à deux ans de prison avec
sursis, le tribunal ayant tenu compte de son âge et surtout de son état
de santé. Son successeur Nicolas Sarkozy est renvoyé devant le tribunal
correctionnel.
En
Afrique du Sud, la justice a ordonné que Jacob Zuma soit jugé pour
corruption. Les fautes qui sont reprochées à ces anciens présidents,
sont des peccadilles par rapport aux crimes commis par le vieux
président-politicien.
Je
le répète et l’assume ici : dans tous autres pays vraiment
démocratiques, avec des populations conscientes de leurs responsabilités
citoyennes et des institutions solides, le vieux président-politicien
irait en prison. Peut-être, sûrement même, il n’aurait pas le temps de
commettre les crimes qui ont jalonné sa longue gouvernance. Il serait
destitué entre-temps.
Je
ne peux pas aller plus loin, ce texte étant déjà très long. Je renvoie
dos à dos ce vieux prédateur et son successeur qui a simplement prolongé
sa nauséabonde gouvernance. On dit ça et là que c’est Serigne Touba qui
les a élus, et qui élira tout prochain président de la République.
Dans
une lettre adressée à Khaali Madiakhaté Kala, le saint homme a
clairement défini sa posture vis-à-vis des princes, des pouvoirs
temporels. Si c’est vraiment lui qui devait choisir des présidents pour
le Sénégal, il ne porterait jamais son choix sur le vieux président
prédateur et son successeur. Ces gens-là sont loin, très loin des
valeurs que le saint homme incarnait et prônait pendant toute sa vie
exemplaire de 73 ans. Soixante-treize ans au cours desquels il a affirmé
n’avoir commis aucun péché. Ce saint homme n’a rien à voir, vraiment
rien à voir avec nos deux comédiens.
Dakar, le 13 octobre 2019.
Mody Niang