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Avec sa coupe de cheveux, Bolsonaro humilie Le Drian. Pourquoi?

Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, devait rencontrer ce 29 juillet le Président brésilien, Jair Bolsonaro. Une réunion annulée par ce dernier pour cause de… coupe de cheveux. Une humiliation pour la diplomatie française? Sputnik a interrogé Christophe Ventura, directeur de recherches à l’IRIS et spécialiste de la région.

Difficile de faire passer ça pour une coïncidence… Le compte Facebook de Jair Bolsonaro, publiait ce lundi 29 juillet une vidéo du Président du Brésil, s’exprimant tout en se faisant couper les cheveux. Quelques minutes auparavant, l’exécutif brésilien annonçait l’annulation de sa rencontre avec Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, expliquant cette décision «pour des raisons d’agenda».

Même si Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro affichent régulièrement leurs divergences, notamment sur les problématiques environnementales, les relations bilatérales restent importantes, Brasilia étant le premier partenaire commercial de la France en Amérique latine. Répondant à nos questions, Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste de l’Amérique latine, estime ainsi que le Président brésilien se venge, en quelque sorte, des postures pro-environnement venant de Paris.

Sputnik France: Comment expliquer cet imbroglio diplomatique entre le Brésil et France?

Christophe Ventura: «C’est effectivement une mise en scène qui a pour but d’envoyer un message de communication politique très claire, manifester l’aigreur de Jair Bolsonaro vis-à-vis du gouvernement français. Il avait déjà parlé en termes pas très sympathiques à l’égard du ministre Le Drian plusieurs fois. De quoi s’agit-il ici? De l’accord Union européenne-Mercosur et puis plus globalement de la question environnementale, l’arrière-fond de la dispute. M. Bolsonaro n’a pas apprécié que Le Drian fasse cette tournée sud-américaine pour promouvoir l’accord de Paris et les engagements des pays signataires, dont le Brésil. Il a pris ça finalement comme une pression de la France en Amérique du Sud.

Deuxième chose, il n’a peut-être pas apprécié que le ministre ait voulu obtenir un rendez-vous avec son vice-président, le général Hamilton Mourão, qui est à la fois un allié, mais qui a des relations compliquées avec Bolsonaro. Bolsonaro veut faire payer aussi au gouvernement français l’accueil par Macron au mois de mai dernier du chef indien Raoni, défenseur de l’Amazonie et qui est vraiment pour le coup un adversaire politique de Bolsonaro. C’est un peu tout ça qui constitue la facture qu’a fait payer Bolsonaro par cette pirouette de communication humiliante pour Le Drian.»

Sputnik France: Peu avant l’incident, le Président brésilien donnait le ton: «la soumission des précédents chefs d’État envers le premier monde n’existe plus.» Jair Bolsonaro est-il devenu anti-impérialiste?

Christophe Ventura: «M. Bolsonaro se fait un peu plaisir avec des formules un peu gratuites et surtout sans conséquence. Ce n’est pas ce qui caractérise M. Bolsonaro d’être dans une posture anti-impérialiste, au contraire. M. Bolsonaro a fait une campagne électorale où il n’a cessé de louer un de ses mentors, Donald Trump. Il s’est empressé, à peine élu, d’aller à Washington pour réaffirmer le réalignement de la diplomatie brésilienne sur Washington, on a vu plus anti-impérialiste que ça en Amérique latine ces dernières années.

Je crois que Bolsonaro essaie de flatter un certain sentiment anti-européen– ces Européens qui donnent toujours la leçon– dans un pays qui a cette idée de l’Europe, de région d’excellence, qui a beaucoup influencé les élites locales, leur culture, etc. C’est une provocation là-dessus. En réalité, c’est une formule à bon compte qui cache mal le réalignement du Brésil de Bolsonaro sur les intérêts de Washington.»

Sputnik France: Les signatures de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, ainsi que l’Accord de Paris sur le climat sont-elles contradictoires?

Christophe Ventura: «Ca dépend à quel niveau on se situe. Oui, c’est paradoxal sur le fond, parce qu’il ne faut pas longtemps pour comprendre ce qu’organise et ce que stimule l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne: ce sont tout un tas de logiques économiques et commerciales qui aggravent et accélèrent des problèmes qui sont liés et qui produisent le changement climatique que l’on dénonce par ailleurs avec l’Accord de Paris. De ce point de vue-là, oui, l’accord en lui-même est une contradiction incarnée par rapport aux problèmes du changement du changement climatique. Ne serait-ce que par les logiques de libre-échange, il stimule les flux de marchandises par les transports, qui sont producteurs de carbone, etc.

Dans le même temps, ce n’est pas si paradoxal si vous étudiez le texte de l’accord lui-même. Il faut toujours rappeler qu’il ne comporte aucune contrainte, il n’est contraignant en rien pour les États qui le signent, si ce n’est que les États reconnaissent un problème, le changement climatique. Ils reconnaissent un objectif, le fait qu’il faut éviter un dépassement des 1,5 degré, mais chaque pays est libre et souverain pour faire ce qu’il veut en matière environnementale. De l’autre côté, comme un effet-miroir, l’accord du Mercosur-Union européenne reconnaît lui aussi la question climatique, mais s’empresse de préciser que l’accord ne contraint personne et que tout pays peut à tout moment revoir ses positions. Il ne prévoit aucun type de sanction commerciale pour des pays qui ne respecteraient pas l’accord de Paris. Donc dans les deux cas, c’est un fromage avec de gros trous au milieu.»

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