CONTRIBUTION

BAL MASQUÉ

Pour qu’un pays avance, il lui faut du calme, de la sérénité, de la confiance et une certaine stabilité. « Et du sérieux ! », ajoute, goguenard, un persifleur patenté. A la croisée des chemins et à un « jet de pierre » d’une cruciale élection présidentielle en 2024, le Sénégal fait face à son destin dans un contexte presque paralysant.

Les candidatures s’additionnent ; des plus invraisemblables aux plus inattendues. La collecte n’en est qu’à ses débuts au regard des « manifestations d’intérêts » qui surgissent çà et là ! Or d’ici à l’échéance fatidique, bien des choses sont encore possibles.

Le Président de la République ne se prononce pas encore sur ses réelles intentions. Il observe d’ailleurs un silence amusé comme pour prolonger le suspense alors que nombre de Sénégalais ne surveillent que le mouvement de ses lèvres. Ostensiblement, il se situe dans le temps de l’action, « faire et défaire » en privilégiant les déplacements sobres pour « tâter le pouls du terrain ». Ce week-end passé il nous a donné un avant-goût de son registre opérationnel en « allant au contact du pays réel et des gens simples » en faisant tomber les masques protocolaires.

A quelle fin agit-il de la sorte ? Pousse-t-il les Sénégalais à deviner ce qui se trame en joignant de bout en bout des actes isolés mais qui s’inscrivent dans une temporalité soignée et ordonnée ? Veut-il laisser l’impression d’un Président populaire avant de lever le pied ? Ou encore sonde-t-il ses compatriotes pour tester en grandeur nature l’éventualité du « coup d’après » ?

Si l’enchaînement des faits et gestes ne dessine pas une trajectoire lisible (pour le moment), un de ses plénipotentiaires attitrés du Président de la République s’active, lui, en coulisses pour redessiner les contours d’une nouvelle architecture juridico-politique censé redonner de l’énergie à une démocratie qui s’essouffle.

Son nom : Ismaïla Madior Fall. Ce juriste de renom, réputé talentueux et compétent revient aux affaires à la faveur du dernier remaniement ministériel consécutif à la nomination d’un nouveau Premier ministre, Chef de Gouvernement. Pour autant il reste controversé.

Ses contempteurs dénigrent son inconstance et les variations dans ses prises de positions. L’opposition le raille, le taquine en lui souhaitant « la bienvenue dans la galère » lorsqu’il a osé affronter les suffrages à Rufisque, sa ville natale. Ses collègues universitaires lui reprochent son égo et sa quête solitaire de notoriété. Une chose reste constante : la lassitude gagne les Sénégalais devant la frénésie de changer les lois et les textes au gré des humeurs des politiques au pouvoir.

A force de retouches, l’arsenal juridique du pays polarise les opinions et les attentions (cela va de soi) avec des risques de retournement mal appréciés des dirigeants, inspirateurs des modifications sujettes à caution. Le danger couve de voir nos compatriotes douter de la validité de notre arsenal juridique. Soumis à de fréquentes variations, le droit s’édulcore et perd de sa substance en ne dégageant plus une force de consensus.

Or le projet de révision en cours pour amorcer l’amnistie fait débat et suscite des polémiques naissantes qui iraient crescendo à mesure que se rapproche l’horizon de l’élection présidentielle de février 2024.

Tout finira par se ramener à un débat d’opinion quand il serait plus pertinent de s’attaquer aux urgences socio-économiques dans le pays et au basculement dans une affligeante pauvreté de personnes de plus en plus nombreuses. Ces interrogations paraissent plus légitimes.

En écoutant les guides religieux et les sermons des imams dans les grandes mosquées, l’on est saisi par leur perception uniforme des déliquescences de la société sénégalaise. Par devoir, ils rappellent les préceptes et invitent au respect des règles de conduite. Ce sont nos sages.

Et il commence à en manquer dans un pays tenaillé par des urgences et qui, de ce fait, demeure exposé aux incertitudes liées aux crispations qui se multiplient. Ainsi, les politiques devraient être les premiers à appréhender le phénomène. Car pour vivre ensemble, il y a lieu de définir un projet (Sénégal) commun sur lequel s’accordent les forces vives afin de conjurer les forces du mal. Car celles-là existent, donc inutile de le nier aujourd’hui.

La faible pénétration du discours politique interpelle. Il a cessé de mobiliser. Il a renoncé à être une projection. Les politiques ne sont plus dans la construction, synonyme de temps long. Ils adorent les combinaisons dans le temps court, synonyme d’empressement et de course contre la montre dépourvue d’aiguilles ! Autant dire que nous ne sommes pas à l’abri d’une tourmente d’ordre politique à ramifications multiples.

Que nous réserve le projet d’amnistie ? Sera-t-il unanimement accueilli dans les différentes chapelles politiques ? Y verra-t-on une manœuvre politique « de plus » des tenants du pouvoir ? Est-ce une belle opportunité que devrait saisir l’opposition aux fins de garder l’initiative et la cohérence stratégique ? Elle doit donner d’elle-même l’impression qu’elle est unie et que les intérêts supérieurs de la nation priment sur les ambitions personnelles.

A quels freins s’attaquer en priorité ? D’abord aux immobilismes. Au sein de l’Assemblée, les lignes politiques ne se démarquent pas avec netteté. Des attitudes clivantes vont apparaître bientôt en fonction des textes soumis au Parlement. Les votes seront intéressants à diagnostiquer afin de détecter les penchants des uns et des autres suivant les sessions.

Mais au-delà, pouvoir et opposition doivent s’écarter de la belligérance permanente coincée entre « le politique et la politique… » pour emprunter l’image à un analyste de l’échiquier politique. Entre raison et passion, la frontière est ténue.

En d’autres termes la dimension influence cristallise les rapports entre les forces au point de négliger les ressorts de la démocratie. Cette dernière est une œuvre collective qui se consolide au gré des conjonctures et au fil des générations. Chacune d’elles apporte sa pierre à l’édifice non sans une farouche lutte contre les facteurs de dégradation.

L’ancien Première Ministre Mimi Touré quitte le pouvoir et se cherche désormais une légitimité politique. L’initiative d’une proposition de loi qu’elle introduit ce jour inaugure une démarche de rupture avec sa famille politique d’origine. Elle s’y sentait à l’étroit.

En se démarquant, gagne-t-elle en autonomie et en liberté plus qu’elle n’en avait acquises ? Elle retrouve néanmoins une parole politique qui, par moment, fait mouche. Parviendra-t-elle à concilier discours et action politiques ? À elle de donner du sens à sa nouvelle démarche, synonyme de… réengagement ! La force de vérité rôde comme ultime sentence entre acteurs masqués.

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