CARICATURES MÉDIATIQUES
Les préjugés ont la vie dure : pour les médias français, l’Afrique demeure un continent énigmatique prompt à verser, malgré les progrès dus à la croissance, dans le drame et la violence. L’effort d’analyse, y compris concernant les pays où Paris joue un rôle important, reste chétif. L’information est aussi entravée par la discrétion qui entoure encore les engagements français sur le continent.
La presse évoque peu le presque milliard d’Africains et leurs cinquante-cinq pays. Il faut attendre une catastrophe (une guerre, une maladie comme le sida, une famine, etc.) pour que les médias s’intéressent à l’Afrique. Et encore ! La République démocratique du Congo – où trois millions de personnes auraient été tuées depuis 1997 – fait rarement la «une» des quotidiens français. L’Afrique est considérée comme un sujet «non vendeur».
Même lorsque la France est impliquée, les journaux restent muets. «Entre 1990 et le 6a vril 1994, remarque Jean-François Dupaquier, l’intervention de militaires français au Rwanda ne suscite presque aucun article ou reportage télévisé (et pas une seule question écrite de parlementaire). La “surprise” du génocide de 1994 ne provoque pas davantage d’interrogations, ni de remises en cause, pas plus que l’instrumentalisation des envoyés spéciaux dans les fourgons de l’opération “Turquoise” (1). »
Parfois, les enjeux militaires et diplomatiques entravent une information libre. Ainsi, en mars 2019, le rédacteur en chef de la revue Afrique contemporaine, Marc-Antoine Pérouse de Montclos, a démissionné pour protester contre la censure exercée, selon lui, par le mécène de la revue, l’Agence française de développement, concernant un dossier, jugé trop critique, sur l’intervention française au Mali. En outre, une vision dépolitisée des événements empêche toute analyse sérieuse. Ainsi le préjugé «ethnique» sert-il encore de grille d’analyse quand les conflits reflètent de banals enjeux économiques. Qui fait le lien entre les massacres «inter communautaires» au Mali en 2019, l’effondrement de l’État dans ce pays et les politiques ultralibérales qui lui sont imposées ? Le tropisme humanitaire ne contribue pas non plus à éclaircir les enjeux. Les médias relatent complaisamment l’arrivée d’une aide alimentaire sans s’interroger sur les origines, parfois peu naturelles, des famines (2). Autre facteur d’opacité pour le public : la «politique africaine » de la France est encore trop souvent gérée directement par l’Élysée ou au sein des cabinets ministériels. L’intervention militaire au Rwanda fut ainsi décidée par le président François Mitterrand, le premier ministre Édouard Balladur prétendant même l’avoir apprise par la presse ! Le Parlement est court-circuité.
Ralliement au «consensus de Washington»
Dans nombre de pays, la présence française est désormais associée à la dégradation des indicateurs économiques et sociaux, car Paris n’a pas tenu ses promesses de défendre une «autre mondialisation», dont le discours de Cancún de Mitterrand fut une illustration. Si, au sein de l’Union européenne, Paris plaide pour l’aide au développement, la France n’a pas empêché la destruction des accords de Lomé. Grâce aux fonds Stabex et Sysmin, ceux-ci s’attaquaient au problème fondamental de la stabilité des prix mondiaux des matières premières. Et les accords de Cotonou entérinent le ralliement de l’Union au «consensus de Washington». Pourtant, malgré sa schizophrénie, qui la conduisait à coloniser au nom des droits de l’homme, la France s’était historiquement identifiée à d’autres valeurs que les valeurs libérales (3) ! Il est d’autant plus regrettable que ce soit une France impériale et non celle de 1789 (de 1793?) qui se manifeste en Afrique. De plus en plus, les opinions publiques locales se tournent vers les États-Unis. Ce qui signifie encore plus de libre-échange destructeur. Dans la nouvelle géopolitique mondiale, seule une France qui pratique ce qu’elle prêche dans un vrai partenariat avec les pays africains pourrait retrouver du crédit et proposer une autre voie.