Carte ADA : « Beaucoup de familles payent leur loyer en liquide et maintenant ce n’est plus possible »

La rédaction d’InfoMigrants a reçu de nombreux messages de demandeurs d’asile concernant la nouvelle carte ADA qui devient exclusivement une carte de paiement. Beaucoup de personnes se plaignent du manque de liquidités qui leur permettaient de régler de petits achats et, pour certains, leurs loyers. Témoignages.
Depuis la mise en service, le 5 novembre 2019, d’une nouvelle carte bancaire qui permet aux demandeurs d’asile de percevoir l’allocation de demandeur d’asile (ADA), le retrait d’espèces n’est plus possible et seuls les paiements via des terminaux bancaires sont autorisés. En conséquence, la vie quotidienne des concernés s’est compliquée. Témoignages.
Amadou*, demandeur d’asile ivoirien, vit à Paris avec sa compagne et leur jumelles de 4 ans
« Je suis demandeur d’asile ivoirien et je ne suis pas satisfait du nouveau fonctionnement de la carte de l’Ofii.
Je vis actuellement dans une pièce de 5 m2 à Paris que nous louons [à un marchand de sommeil, NDLR] avec ma femme et mes deux filles, des jumelles de 4 ans. La propriétaire des lieux veut que nous payions chaque mois le loyer de 400 euros en espèces. Je touche un peu plus de 550 euros par mois d’allocation ADA pour ma famille. Comment vais-je faire si je ne peux pas retirer de liquide ? Ce n’est pas possible.
Cette même propriétaire nous a demandé il y a quelques jours de partir, de libérer les lieux. Nous avons jusqu’au 5 décembre pour nous en aller… Je ne sais pas quoi faire.
Nous sommes énormément de familles de demandeurs d’asile à payer nos loyers en liquide. On se loge beaucoup comme ça en région parisienne. Tout se règle en espèces.
Si je ne trouve pas de solution, j’ai peur de devoir dormir dans la rue. Et ça, ce n’est pas possible : les filles sont trop petites et il fait bien trop froid dehors.
Nous appelons régulièrement la Cafda [structure de l’État qui oriente les familles de demandeurs d’asile vers des hébergements d’urgence, NDLR] mais ils n’ont jamais de places… Ce n’est vraiment pas une bonne idée d’avoir changé la carte ADA. »
Rami, demandeur d’asile syrien, vit à Paris
« J’ai 34 ans. Je bénéficie de la carte ADA depuis un peu plus d’un an. Je touche 420 euros par mois.
J’avais l’habitude de retirer la somme totale au distributeur en début de mois et je réglais mes achats petit à petit. Parfois je prête de l’argent à d’autres demandeurs d’asile dans le besoin et surtout je payais mes cartes SIM de téléphone en liquide. J’achète mes recharges [dans des épiceries de proximité] à 5 euros par mois. Je ne peux pas payer en carte. Et je ne peux pas me permettre de mettre plus…
Ça m’embête beaucoup. Je ne sais pas trop comment faire. Le téléphone est mon seul lien avec ma famille. C’est un détail mais pour nous, les demandeurs d’asile, c’est très important d’avoir des petites sommes de 2 euros, 3 euros, 5 euros, sur nous. On arrive à vivre grâce à des petites économies. »
Ousmane, ancien demandeur d’asile, vit à Amiens en colocation avec plusieurs demandeurs d’asile.
« Je viens de Guinée-Conakry. J’ai été demandeur d’asile pendant plusieurs mois et là, je viens d’obtenir mon statut de réfugié. J’habite à Amiens avec des amis demandeurs d’asile, des Afghans, des Éthiopiens, des Guinéens. Je vois que c’est très dur pour eux depuis la mise en place de la nouvelle carte ADA.
Pour les achats de moins de 5 euros, ce n’est pas possible. Ils ne peuvent rien faire
C’est moi qui les dépanne, je peur paye des canettes dans les épiceries, du pain à la boulangerie. La plupart des commerces n’acceptent pas les paiements par carte en dessous de 10 euros. Comment tu fais si tu veux quelque chose à 3 euros ? Tu es obligé d’acheter des produits dont tu n’as pas besoin.
De plus, on ne peut plus contrôler son budget, on ne sait jamais combien il reste sur le compte bancaire. Avant, on pouvait voir son solde. Aujourd’hui, c’est terminé.
L’autre fois, mon ami afghan est parti dans un magasin, il n’a pas pu payer, il avait atteint son plafond sans le savoir.
J’ai aussi des amis qui dorment dans des studios, loués au noir, ils payent donc en liquide. Mais depuis qu’ils ne peuvent plus retirer de l’argent, ils savent qu’ils vont être virés. Ils disent qu’ils vont aller dormir dans la gare.
Je pense que cette nouvelle carte pousse les demandeurs d’asile dans un plus grande précarité. Cette carte, c’est pour décourager les gens de venir en France. »
Aliou, 29 ans demandeur d’asile ivoirien, vit à Melun, en région parisienne
Personne ne peut être satisfait par cette nouvelle carte ADA. Quand tu vas acheter des produits au supermarché et que tu sors la carte, les gens te regardent mal, les caissiers, les clients… Ils comprennent que tu es un demandeur d’asile. Je vous assure, le comportement n’est pas le même.
Je n’aime plus aller chez Carrefour ou chez Lidl à cause de ça. Avant, j’étais un anonyme, personne n’était au courant de ma situation administrative. Maintenant, les gens m’identifient comme un « migrant ». Mais je n’ai pas le choix. Il faut bien que je fasse des courses.
À quoi sert cette carte à part à nous compliquer la vie et attiser la haine anti-migrants ?
*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé