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Ce dont l’Afrique a vraiment besoin (Par Ladji Ouattara )

Lors de son discours historique à Accra, l’ancien président des États-Unis d’Amérique, Barack Obama a déclaré que « l’Afrique n’avait pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes ». En écho, lors du sommet États-Unis-Afrique à Washington, l’ex-président burkinabè Blaise Compaoré a, lui, affirmé qu’« il n’y a pas d’institution forte s’il n’y a pas bien sûr d’homme fort ». À l’instar de ces deux personnalités, différentes visions s’opposent sur les conditions de stabilité et de progrès démocratique en Afrique. Quels sont les facteurs nécessaires à la stabilité politique en Afrique ? Les évolutions récentes en cours sur le continent, ne démontrent-elles pas que l’équation est bien plus complexe et ne saurait se résoudre stricto sensu aux institutions ou aux hommes forts ?

Des régimes forts à l’aune des mobilisations populaires

De 1960 aux années 2010, des coups d’État ayant entraîné des régimes forts et la suspension des institutions furent récurrents en Afrique. Si cette pratique a profondément reculé, depuis 2011, émerge un phénomène nouveau se caractérisant par des mobilisations citoyennes pour exiger un changement politique. En effet, de l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, jeune marchand ambulant de Sidi Bouzid face aux injustices sociales en Tunisie en 2011, à l’augmentation du prix du pain dans un contexte de crise économique au Soudan en 2019, ces mobilisations populaires ont provoqué des bouleversements politiques majeurs.

Ces évolutions démontrent un changement, ni la force des hommes ni celle des institutions ne prévalent. C’est surtout leur légitimité et le contrat de confiance bâti avec le peuple qui garantissent leur stabilité. En cela, des similitudes peuvent être établies avec la Révolution française de 1789 lorsque la défiance du peuple s’accrut à l’égard de la monarchie absolue de droit divin, perçue comme responsable de l’extrême pauvreté du tiers état et aussi de la crise alimentaire. La forte hausse du prix du pain entre 1787 et 1789 n’a-t-elle pas entraîné des émeutes dans les campagnes françaises ?

Les (r)évolutions de ce début de XXIe siècle, de la Tunisie au Soudan, en passant par l’Égypte, le Burkina Faso, l’Algérie ou dans une moindre mesure la République démocratique du Congo (où les mobilisations populaires ont poussé pour la première fois à une alternance pacifique) démontrent bien que le peuple se veut désormais le maître du jeu politique. N’est-ce pas là en réalité l’essence même de la démocratie ? Un pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Les facteurs à l’origine des soulèvements populaires

Le manque de recul ne permet pas de déployer une analyse exhaustive. Il est cependant possible de déceler quelques facteurs structurels et conjoncturels à l’origine de ces révoltes depuis 2011. Elles sont au fond l’expression d’un sentiment de rejet des systèmes politiques et de ses élites. Ces évolutions intrinsèquement liées à un processus d’émergence de « nouveaux citoyens », pour la plupart des jeunes instruits et connectés, vivant souvent dans des conditions précaires, et sans espoir d’avenir. Cela s’étend également à une classe moyenne supportant de moins en moins la corruption, l’absence d’État de droit, l’appropriation des ressources du pays par un clan et la restriction des libertés qui n’offrent pas de réelles perspectives. En réaction, des revendications politiques émergent sous diverses formes d’expression populaire au cœur des espaces publics.

Dans ce contexte, les pouvoirs se sont montrés inaptes à apporter des réponses innovantes, tentant parfois de déployer les méthodes classiques de censure et de répression souvent empreintes de relent historique (comme la légitimité révolutionnaire en Algérie). Et, les réseaux sociaux sont devenus des moyens de contournement efficaces et de mobilisation qui finissent par provoquer un délitement du pouvoir.

Vers des hommes d’État et des institutions au service du peuple

Ces mobilisations peuvent s’appréhender comme un désir populaire de rupture avec les pratiques autocratiques et une volonté de redéfinir un destin commun à travers un nouveau contrat social. Le peuple veut désormais être en mesure d’édicter les règles du politique en désignant librement des personnalités d’État intègres pour édifier des institutions légitimes répondant à ses aspirations profondes. Les nouvelles dynamiques en œuvre en Algérie et au Soudan révèlent une certaine maturité, car très peu de biens publics ont été détruits et malgré la chute des « hommes forts » du régime, la pression populaire se maintient en vue d’un démantèlement complet du système et du transfert pacifique du pouvoir aux civils.

Ces évolutions prouvent que les sociétés civiles africaines ont tiré des enseignements des expériences de régimes militaires et exigent désormais que l’armée tienne son rôle réel : celui de « grande muette ». De plus, à l’image des manifestants issus de toutes les couches sociales (mais surtout de jeunes), les exigences sont portées vers le renouvellement de la classe politique, l’avènement d’un État de droit fondé sur des institutions démocratiques au service d’un peuple fort. Les tendances actuelles montrent que ces exigences sont de plus en plus partagées en Afrique. Ces (r)évolutions sont donc intéressantes à observer puisqu’elles reflètent une reconfiguration des paradigmes d’analyse politique et de nouvelles perspectives de stabilité et de progrès démocratique en Afrique. En définitive, il apparaît que ce dont l’Afrique a besoin, ce n’est pas que d’hommes forts ou d’institutions fortes, c’est surtout de peuples forts.

Ladji Ouattara

docteur en histoire des relations internationales

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