Cent ans de la République turque: l’opposition critique Erdogan pour des célébrations a minima
Ce dimanche 29 octobre, la République de Turquie célèbre son centenaire. Un siècle d’existence pour le régime fondé par Mustafa Kemal Atatürk sur les ruines de l’Empire ottoman, aujourd’hui dirigé par Recep Tayyip Erdoğan. Mais l’actuel président, au pouvoir depuis 20 ans, n’entend pas demeurer dans l’ombre du père fondateur.
De nombreux Turcs estiment que les célébrations annoncées par le pouvoir ne sont pas à la hauteur de l’événement. C’est notamment le cas du Parti républicain du peuple, le CHP, créé par Mustafa Kemal Atatürk, aujourd’hui principal parti d’opposition. Le CHP accuse le président Erdoğan de se contenter de simples « commémorations », au lieu de célébrations en bonne et due forme.
Feux d’artifice et cérémonies sont au programme, notamment au mausolée d’Atatürk à Ankara, comme le veut la tradition. Mais certains n’ont pas pu s’empêcher de faire la comparaison : alors qu’il avait convié ses homologues du monde entier à sa réinvestiture en juin, Recep Tayyip Erdogan n’a pas jugé bon de donner au centenaire de la République une résonance internationale. Les ambassadeurs en poste en Turquie ont attendu jusqu’au dernier moment une invitation à une éventuelle réception, veillant à rester disponibles en cas de sollicitation impromptue. La présidence a démenti les critiques de l’opposition, assurant que la République serait « célébrée comme il se doit ».
Mais ces derniers jours, de nombreux événements festifs ont été annulés en raison des bombardements de l’armée israélienne sur Gaza. Samedi, Recep Tayyip Erdogan a convoqué à Istanbul un « grand meeting pour la Palestine ». Là encore, les opposants du président turc n’en doutent pas : cette date n’a pas été choisie au hasard, à la veille du centenaire.
Selon eux, c’est une façon pour Recep Tayyip Erdoğan d’occuper le devant de la scène, de ne surtout pas rester dans l’ombre de Mustafa Kemal Atatürk. Car célébrer le centième anniversaire de la République impose de convoquer le souvenir de son père fondateur et premier président. Ce dimanche matin, les journaux pro gouvernement illustrent très bien l’effet recherché: la plupart consacrent la majeure partie de leur première page au grand meeting sur Gaza, et un encadré plus ou moins grand au centenaire de la République.
Alors certains se posent la question : Tayyip Erdogan et ses partisans cherchent-ils à effacer la mémoire d’Atatürk ? Mais la division se fait surtout entre ceux qui voient Atatürk comme l’initiateur d’une rupture, un révolutionnaire et un précurseur unique et inégalable, et ceux qui replacent le fondateur de la République dans une lignée de grands hommes incluant notamment le sultan seldjoukide Alparslan et Mehmet II le Conquérant. Recep Tayyip Erdogan est de ceux-là.
Il insiste sans cesse sur la continuité – celle de « la présence millénaire des Turcs en Anatolie » – et convoite pour lui-même une place parmi ces héros, guides et bâtisseurs. Ses opposants l’accusent par ailleurs de chercher à détricoter une partie de l’héritage d’Atatürk, notamment sa conception de la laïcité. Ils citent la résurgence du religieux dans l’espace public et le discours politique ces 20 dernières années, la multiplication des lycées religieux, ou encore l’influence grandissante des confréries au sein des institutions.
Il faut dire aussi que ce centenaire intervient au cours d’une année éprouvante pour bon nombre de Turcs. Avec deux séismes dévastateurs dans le sud-est en février qui ont tué plus de 50 000 personnes, une campagne électorale au printemps qui a polarisé la société plus que jamais, et une crise économique marquée par deux années d’inflation record, l’ambiance n’est pas vraiment à l’unité nationale en Turquie. Et le cœur n’est, en effet, pas toujours à la fête.