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Centrafrique, la visite prometteuse de Touadera à Paris

La visite du Président Faustin-Archange Touadera à l’Élysée, jeudi 5 septembre 2019, semble avoir été plus féconde que sa précédente rencontre avec Emmanuel Macron, qui datait du 25 septembre 2017. La situation actuelle en Centrafrique n’incite-t-elle pas la France à soutenir davantage le régime en place afin de prévenir un nouvel embrasement du pays ?

Le Président Faustin-Archange Touadera semblait réconforté par sa rencontre avec Emmanuel Macron, le 5 septembre 2019, alors qu’il avait été déçu lors de sa précédente visite à l’Élysée, qui datait du 25 septembre 2017. A l’époque, la Feuille de route pour la paix et la réconciliation de l’Union africaine, du 17 juillet 2017, n’avait suscité chez Emmanuel Macron que des encouragements polis et des soutiens hypothétiques, notamment en matière de livraison d’armes. On connaît la suite, avec la visite du Président Touadera et de Firmin Ngrebada, son chef de cabinet et futur Premier ministre, à Sotchi le 7 octobre 2017.

Les mauvaises appréciations de la diplomatie française avaient permis à la Russie de s’engouffrer dans cette ouverture inespérée pour le Kremlin.

Vers un réinvestissement de la France

La relance de la coopération française a certes pour objectif de contenir l’influence grandissante de la Russie, mais c’est surtout la situation actuelle, sept mois après la signature de l’Accord de Khartoum et quinze mois avant les élections générales, qui motive ce réengagement multisectoriel. A certains égards, la situation actuelle rappelle celle qui prévalait en 2011-2012, alors que Faustin-Archange Touadera était le premier ministre du président Bozize. Il est toujours plus facile de prévenir que de guérir.

Outre les appuis traditionnels indispensables et irremplaçables auprès du FMI, des institutions financières internationales, de l’ONU, notamment du Conseil de sécurité, et de l’Union européenne, la France pourrait accroître la coopération bilatérale multisectorielle. Si la coopération militaire passe surtout par l’Union européenne et l’EUTM, où un général français a pris le commandement, la coopération pour le développement du pays ne passera plus principalement par le Fonds européen Békou. La formation, comme celle des fonctionnaires avec le renforcement de l’ENAM de Bangui et l’accroissement significatif des bourses, les appuis à la restauration et à la modernisation des administrations, l’aide au secteur de santé et à la protection civile, l’appui aux fonctions régaliennes et l’aide alimentaire sont à l’agenda.

Ce réinvestissement de la France en Centrafrique n’est pourtant pas un chèque en blanc pour le Président Touadera. Outre les  échéances électorales de 2020-2021, qui commencent à susciter des inquiétudes, le chef de l’État français a probablement rappelé à Faustin-Archange Touadera les attentes de la France pour le retour de la paix. En ce domaine également, les inquiétudes se multiplient notamment en provenance des pays voisins de la République centrafricaine, comme l’a probablement rappelé le président congolais Denis Sassou Nguesso, dans sa rencontre avec Emmanuel Macron, le 3 septembre 2019. 

La fragilité de l’accord de Khartoum

L’accord de Khartoum connaît de grandes difficultés d’application, surtout dans les zones sous contrôle des groupes armés, jadis alliés dans la Séléka. Les quatorze groupes armés signataires ont chacun leurs propres intérêts opportunistes et n’ont pas une stratégie convergente pour une gouvernance du pays. Comment peut-on concilier dans un accord global ce patchwork d’intérêts peu compatibles ? Le chef de l’État et son Premier ministre, grand organisateur de l’Accord de Khartoum, veulent la paix pour leur réélection en 2020-2021. Chacun des quatorze groupes armés souhaite avoir la paix pour continuer leur implantation territoriale et l’exploitation des ressources locales, en toute impunité. 

Au même titre que le gouvernement et les ministères qui le composent, les groupes armés ne connaissent pas une véritable organisation hiérarchique. Les ordres donnés ne sont plus vraiment exécutés aussi bien dans les administrations comme dans les groupes armés.

Faute de contrôles et des éventuelles sanctions, les petits chefs des groupes armés sont peu ou pas concernés par un accord dont ils ne voient aucune retombée sur leurs conditions de vie. Vont-Ils abandonner leurs moyens de subsistance quotidiens pour un accord politique concernant principalement leurs leaders ?  Quelles seront les compensations financières pour la démobilisation et le désarmement des groupes armés ? 

Deux poids, deux mesures

Le ressentiment d’une grande partie de la population affecte l’appropriation de l’accord. Beaucoup de Centrafricains condamnent la mansuétude accordée aux seigneurs de la guerre de l’ex-Séléka, pourtant passibles de la Cour Pénale Internationale (CPI) ou de la Cour Pénale Spéciale.

Les chefs anti balaka ne bénéficient pas, eux, de la même considération, à l’image de Patrice-Édouard Ngaïssona et de Alfred Yekatom Romhot, emprisonnés à La Haye dans le cadre d’une instruction pour crimes de guerre et contre l’humanité. L’expression « deux poids, deux mesures » revient souvent dans les conversations

Vers un retour vers les années 2011-2012

.Les préparatifs des élections de 2020-2021 commencent à ressembler à ceux des élections de 2011, qui furent qualifiées de hold up électoral. Le camp présidentiel regroupent déjà les principaux acteurs de cette mystification de 2011 qui risque fort de se renouveler en 2020-2021. Les principaux leaders de l’opposition sont également regroupés dans une plateforme pour s’inquiéter de l’évolution de cette situation pré-électorale.
Plusieurs groupes armés, signataires de l’Accord de Khartoum, reprennent leur liberté d’action et sont menaçants pour le pouvoir de Bangui. Les chefs rebelles Sidiki (3R) et Al-Khatim ( MPC) ont abandonné leur fonction de ministre-conseiller à la primature et Abdoulaye Miskine ( FDPC) a refusé d’exercer les fonctions de ministre chargé de la  » modernisation de l’administration » pour reprendre les armes, cette fois-ci dans le nord-est du pays. Dans cette région de l’extrême nord-est le FPRC ( Rounga) de Nourredine Adam et le MLCJ (Kara) du ministre chargé des relations avec les groupes armés, Gilbert Deya Ntoumou,  s’affrontent autour de Birao. Fin août, Nourredine Adam avait préventivement limogé Abakar Sabone, fondateur du MLCJ, de son poste de porte-parole du FPRC. Quant à Ali Darass ( UPC), adoubé par l’Union africaine et l’ONU,  il « administre » en toute quiétude un territoire de plus en plus vaste en interdisant les « ingérences » de l’État ! La lecture de l’Accord de Khartoum semble bien différente selon les signataires. 

L’ombre menaçante de Bozizé

Y aura-t-il une nouvelle alliance de certains de ces groupes armés, jadis membres de l’ex-Séléka, qui ne se reconnaissent plus dans l’Accord de Khartoum et qui affichent une vive hostilité envers le président Touadera ? Le parti KNK de l’ancien président Bozize va-t-il sortir du jeu électoral pour rejoindre cette nouvelle alliance ?

Au-delà des discours convenus qui saluent une amélioration de la situation et les avancées de l’Accord de Khartoum, il y a les réalités du terrain et les difficultés de concilier des intérêts divergents, peu favorables à la paix et à l’amélioration des conditions de vie de la population. La politique de l’autruche de l’ONU et de l’Union africaine ne peut durer longtemps. Le président Macron, adepte du parler vrai, a probablement assorti le réengagement de la France de conseils, qui pourraient être pris pour des avertissements, au président Touadera. Le respect d’un processus électoral inclusif et transparent et une plus forte implication dans l’application des sanctions figurant dans l’Accord de Khartoum pourraient être des contributions attendues du président Touadera…afin de maintenir le climat de confiance de la rencontre du 5 septembre 2019.

mondafrique.com

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