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CHRONIQUE « EN TOILE DE FOND » I Eco : l’espoir des peuples de la Cedeao sera-t-il douché ?

Si l’expression «la montagne a accouché d’une souris» devrait choisir un continent où élire domicile, nul doute que l’Afrique sera sa principale résidence, tant des politiques, des initiatives et des projets porteurs d’espoirs y ont été lancés pour finalement engendrer déception et amertume. En sera-t-il de même avec l’Eco, le projet de monnaie unique de la Cedeao ? Au vu de la tournure des évènements, l’inquiétude est grande de voir le projet mourir de sa belle mort.

Discuté depuis presque trois décennies, l’Eco devrait renforcer l’intégration de la Cedeao en en faisant un bloc économique puissant à l’image de l’Union européenne. Après plusieurs reports, son lancement avait été fixé au 1er juillet 2020 mais à la condition que les pays respectent les critères de convergence suivants : un déficit de 3% en dessous du Produit intérieur brut, une inflation de 10% au maximum et une dette inférieure à 70 % du Pib. Et au début de janvier 2020, seuls 4 à 5 pays, tous francophones, sur les 15 de la Cedeao avaient satisfait à ces critères. Ce qui faisait déjà planer une incertitude sur la date de lancement de la monnaie commune.

Cependant, surprise, le 21 décembre 2019, lors d’une visite à Abidjan, le président français Emmanuel Macron et son hôte et homologue ivoirien Alassane Ouattara vont annoncer la fin du FCfa et son remplacement par l’Eco en 2020. Dans l’esprit de leur déclaration, il s’agira simplement dans un premier temps de changer le nom du FCfa en Eco sans toucher à la monnaie. En clair, si l’on ne joue pas à cache-cache, les pays francophones (sauf la Guinée) de la Cedeao vont faire bande à part en attendant que les autres viennent les rejoindre au sein de l’Eco ex-FCfa. Etant donné que l’Eco a été un projet commun à la Cedeao, on peut se demander si le lieu et le moment étaient bien choisis pour faire l’annonce susmentionnée. Qu’est-ce qu’il y avait également de si pressé pour la faire ? La présence du président Macron qui représente la France objet de plusieurs critiques pour son implication dans la gestion du FCfa, était de nature à faire naître des soupçons chez les autres pays de la Cedeao non membres de l’Uemoa, particulièrement le géant nigérian, des soupçons de coup fourré pour «éloigner» les pays francophones. Ce qui peut installer un climat de méfiance qui peut saboter le lancement de la monnaie commune. D’ailleurs, le Nigéria et plusieurs autres pays ouest-africains notamment anglophones avaient immédiatement dénoncé une décision «unilatérale» de remplacer le FCfa par l’Eco.

Représentant 70% de l’économie de la Cedeao et 52% de sa population, le Nigéria avait alors demandé une prolongation du délai pour le lancement de la monnaie unique en attendant que les critères de convergence soient atteints par la majorité des pays. Son président Muhammad Buhari a même averti dernièrement contre le «risque de dislocation de la Cedeao» en cas d’adoption unilatérale de l’Eco par l’Uemoa. Allons-nous mettre en pièces 45 ans d’intégration régionale et pour quels intérêts ?

Les dirigeants de la Cedeao et ceux de l’Uemoa en premier lieu, ont-ils seulement le droit par des décisions inappropriées de faire échouer le projet de monnaie unique qui avait suscité l’espoir chez tous les peuples d’Afrique de l’Ouest. Pouvons-nous nous parler entre Africains sans témoin ou tuteur étranger ?

Nous savons que la monnaie est quelque chose de très technique, mais tout cela était supposé avoir été discuté entre les dirigeants et les experts. La France avait accepté de transférer à la Bceao les 50% de réserves de change des pays de l’Uemoa qu’elle gardait dans son Trésor public comme garantie, de fermer le compte d’opérations et de retirer ses représentants des organes de gestion et de décision de l’Union monétaire ouest-africaine. Cependant, le maintien du taux de change fixe de l’Eco par rapport à l’Euro (qui assure la parité actuelle avec le Fcfa) et la garantie de convertibilité illimitée de la monnaie par la France, sont considérés par des pays comme le Nigéria et le Ghana, comme des vestiges inacceptables du FCfa.

L’impression qui se dégage est qu’on veut créer à défaut de le tuer, un Eco de l’Uemoa et un autre du reste de la Cedeao. Ce qui reviendrait pratiquement à la situation antérieure. C’est pourquoi l’économiste camerounais Martial Ze Belinga a dénoncé l’annonce de MM. Macron et Ouattara en parlant d’un «détournement » de l’Eco dans la mesure où elle ne concerne que la monnaie envisagée par la Cedeao.

La date du 1er juillet pour le lancement de cet Eco est devenue caduque à cause des difficultés économiques engendrées par le Covid-19, même si d’aucuns croyaient bien avant la pandémie que l’échéance ne pourrait pas être respectée.

C’est l’occasion donc de remettre les pendules à l’heure et de s’accorder entre dirigeants de la Cedeao pour éradiquer le poison de la division qui est inoculé le plus souvent dans toutes les initiatives capables d’émanciper et de rendre plus forts nos pays. Après 60 ans d’indépendance, nous ne devons plus être comme les poissons qui, depuis des milliers d’années, sont toujours pêchés de la même façon, sans qu’ils puissent en tirer des leçons et éviter le piège.

Les peuples de la Cedeao ne veulent pas d’une monnaie lancée précipitamment avec la certitude de ne pas les servir. Il faut donner du temps au temps. Le monde entier regarde nos dirigeants et le moment est arrivé d’agir avec intelligence et «patriotisme africain» en pensant aux générations futures.

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