POLITIQUE

Côte d’Ivoire :La boite de Pandore

La boîte de Pandore vient d’être ouverte à nouveau et la bête immonde s’en est échappée. Qui pourra la rattraper et la remettre dans la boîte ? En 1994, M. Bédié croyait neutraliser son adversaire qu’il craignait le plus en faisant adopter cette loi qui réservait le poste de président de la république aux citoyens ivoiriens étant de père et de mère eux-mêmes ivoiriens de naissance. On avait à l’époque beaucoup discuté de cette notion d’Ivoirien de naissance pour les parents de personnes comme lui-même Bédié qui étaient nées sous la colonisation française. En le faisant, M. Bédié ne réalisait pas qu’il ouvrait une boîte de Pandore qui allait dévorer une partie de notre pays. Ignorait-il que le concept de l’ivoirité allait sortir du cadre culturel qu’il lui avait assigné pour devenir un instrument de classification des Ivoiriens entre « vrais » et « faux », un instrument de marginalisation d’une partie de la population de son pays, de chasse aux étrangers ou supposés tels ? Il l’ignorait peut-être. Mais il ne réagit point lorsque ce fut le cas, et surtout lorsque les exactions ne se firent plus clandestinement mais sur la place publique. Il ne dit aucun mot lorsque des dizaines de milliers de Burkinabé ou supposés tels furent expulsés de la région de Tabou. Personne ne se demanda ce qu’allaient devenir ces milliers de personnes que l’on privait brutalement de leurs moyens de subsistance sans qu’ils n’aient la moindre voie de recours. Pouvait-on s’étonner qu’ils rejoignent la rébellion qui allait éclater quelques années plus tard, une rébellion qui proclamait se battre pour leurs droits ? Personne ne se posait ce genre de question. On disait qu’ils étaient des étrangers et qu’ils devaient rentrer chez eux, sans se rendre compte que pour bon nombre de ces personnes, leur chez eux était justement l’endroit d’où on les chassait. Le pays, faut-il le rappeler, fut profondément divisé et nous apprîmes à nous détester. Des journaux furent spécialement créés pour injurier ceux qui étaient devenus des ennemis. Des adversaires politiques furent emprisonnés. Et c’est dans ce climat de haine et de violence qu’un groupe de militaires s’empara du pouvoir pour le gérer à sa façon, c’est-à-dire dans le chaos.
De l’eau passa sous les ponts et en 2010, Henri Konan Bédié referma lui-même la boîte de pandore qu’il avait ouverte en appelant ses militants à voter pour M. Ouattara. M. Ouattara fut élu président de la république et il accorda tous les honneurs à M. Bédié. Et les deux hommes se donnèrent du « mon jeune frère » et du « mon aîné ». Toute la Côte d’Ivoire soupira d’aise. Le monde entier applaudit. La bête avait été domptée et ramenée dans sa cage. Mais voici que la boîte vient d’être ouverte à nouveau et la bête libérée. A qui la faute ? Peu importe ! Les extrémistes de tous bords sont lâchés.
Certaines personnes ont gommé cette histoire de leur mémoire. D’autres, par ignorance, par pure irresponsabilité, par esprit criminel ou par simple stupidité, sont en train de réécrire la même histoire, de réveiller les mêmes haines qui ne s’étaient qu’assoupies. Les injures volent à nouveau, des journaux sont entrés dans la danse, avec cette fois-ci l’appui des réseaux sociaux. Chacun s’arcboute sur sa raison, car chacun est certain d’avoir forcément raison. Chacun se fait un point d’honneur de ne plus céder. C’est à qui montrera qu’il est plus « garçon » que l’autre. Devons-nous accepter cela comme étant une fatalité à laquelle nous ne pouvions pas échapper ? Certainement pas. Nous devons nous battre de toutes nos forces pour que des inconscients ne mettent pas encore le feu à ce pays qui n’est pas leur propriété privée. Et nous ne devons surtout pas nous décourager. Pensons à toutes ces souffrances endurées durant ces longues vingt dernières années, à tous ces morts, à toutes ces femmes violées, à tous ces orphelins, à tous ces blessés, à toutes ces personnes qui avaient tout perdu mais qui ne se sont pas découragées et qui tentent de construire une nouvelle vie, à toutes ces personnes qui avaient recommencé à espérer, à rêver, et dont on veut voler les rêves. Pensons à nos enfants. Et citons Rudyard Kipling : « Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie, et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, ou perdre en un seul coup le gain de cent parties, sans un geste et sans un soupir…. Si tu peux supporter d’entendre tes paroles travesties par des gueux pour exciter des sots, et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles sans mentir toi-même d’un mot. » Rappelons-nous comment le pouvoir fut perdu par ceux qui se battaient pour lui et comment il se retrouva entre les mains de celui que l’on n’attendait pas. Abidjan ici ? Jouez seulement…
Il y a encore dans ce pays des femmes et des hommes dont les paroles ont le don d’apaiser. Qu’ils se fassent entendre pour l’amour de ce pays.

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