Dans les salles du scandale
De l’arrêt de la plupart de ses chantiers, aux multiples reports de son inauguration prévue il y a six ans, l’Université du Sine Saloum El hadj Ibrahima Niass (Ussein) annoncée en grande pompe, par l’Etat du Sénégal, s’est révélée être un creuset de désillusions pour des milliers d’étudiants.
Il y a le coût et les coups. Le premier qui a grimpé de 65 milliards FCfa au lancement des travaux, en 2015, à 132 milliards, en 2018, pour la réalisation des campus sociaux, pédagogiques et administratifs. Et les autres, multiformes, qui ont perdu Etat et étudiants, piégés dans les dédales d’une université Sine Saloum, dont les édifices, loin de sortir de terre, sont disséminés entre les régions de Kaolack, Fatick et Kaffrine. Le détour dans les chantiers de cette université qui a été, entre-temps, baptisée au nom de El Hadji Ibrahima Niass, l’érudit de Médina Baye, est bouleversant.
Sur la route nationale, à la périphérie de Kaolack en venant de Dakar, se dresse un vaste espace désert parsemé de poutrelles en bois, de barres de fer. Çà et là, entre les arbustes, sautent aux yeux des tas de gravats côtoyant des amas de sable. Fraîchement déversés sur les lieux, ces matériaux de construction constituent l’actuel décor du site ayant abrité, en avril 2015, la pose de la première pierre de l’Université du Sine Saloum El hadj Ibrahima Niass (Ussein). Sept ans après le passage du chef de l’Etat, Macky Sall, sur ces lieux devenus fantomatiques, aucun pan de mur n’est sorti de terre. Pas l’ombre d’un ouvrier alentour.
«La recherche de salles de cours c’est notre quotidien d’étudiants»
En cet après-midi de lundi, un silence de cathédrale règne sur les lieux. Il faut marcher quelques mètres, sur l’autre côté du site pour rencontrer un interlocuteur. Dans une école qui fait office de campus provisoire de l’Université du Sine Saloum, on y trouve un professeur, qui a la tête pleine d’interrogations. Il ne comprend pas pourquoi, plus rien ne bouge sur le site. «Le chantier avait déjà été entamé. D’ailleurs, ce sont les locaux du Rectorat qui devaient être construits sur ce site. Mais cette année-ci, à notre grande surprise, on s’est réveillé un beau jour et nous avons aperçu des ouvriers sur place en train de raser le début des constructions. Officiellement, aucune information n’a été fournie à ce sujet. Cependant, il se susurre qu’il s’agirait là encore d’un nouveau projet qui n’a rien à voir avec l’idée de base», regrette-t-il, impuissant.
Une situation que les étudiants traînent comme un lourd fardeau. Faute d’amphithéâtres et sans salles de cours, ils sont des centaines dans cette Université dans l’attente d’un hypothétique achèvement des travaux dont la livraison était pourtant prévue en 2016. Étudiant à l’Ufr des sciences agronomiques, Aliou Dieng en connait un rayon. Dans un lycée franco-arabe de Kaolack avec ses camarades, ils attendent un professeur. «La recherche de salles de cours c’est notre quotidien d’étudiants. La plupart de notre programme se résume à prier très fort afin de tomber sur un professeur. Et depuis des années, c’est la même situation de précarité que nous vivons. Nous avons tout fait : protester, brûler des pneus, saccager les salles qui servent de siège de l’administration, mais rien n’a été fait pour nous sortir de ce calvaire. Finalement, nous faisons avec», se résigne-t-il. Derrière lui, ses camarades ont la bouche pleine de protestations contre les autorités en charge de l’Enseignement supérieur qui, voulant trop embrasser, en disséminant les différents amphis et filières dans les deux régions (Fatick et Kaolack) que constitue le Sine-Saloum, en plus de la région de Kaffrine, étreignent mal le cœur des apprenants et du personnel enseignant.
FATICK : «Nous faisons cours dans une discothèque abandonnée»
A Fatick également, l’une des trois régions choisies pour abriter le projet de l’université du Sine Saloum, c’est le même décor. La situation des étudiants frôle le supplice. Ici, pour pallier le vide infrastructurel auquel fait face l’établissement, c’est le siège de l’ancienne mairie de la ville qui accueille la cohorte d’apprenants. Sur les lieux, une dizaine de tables bancs amassées en bloc ornent le décor. Situé dans l’arrière-cour de cet ancien siège de l’administration locale, un grand bâtiment, qui frappe par sa vétusté, fait office de salle de classe. Ses alentours grouillent de monde. Tous des étudiants de l’université du Sine Saloum.
Etudiant en droit maritime, Amat Diouf, 24 ans, s’extrait de cette foule, une pile de documents en main. En ralliant Ndoucoumane pour poursuivre ses études après l’obtention de son baccalauréat, ce natif de Thiès ne s’attendait pas à vivre ce qu’il qualifie de tromperie. «En mettant ‘’Université Sine Saloum El hadji Ibrahima Niass’’ comme choix sur la plateforme d’orientation des nouveaux bacheliers, ils nous ont trompé. Car concrètement, il n’existe pas d’université Sine Saloum. Ici, c’est dans une discothèque abandonnée que nous faisons cours. A l’intérieur, nous sommes envahis par des moisissures sans parler des coupures d’électricité intempestives. Parfois, nos cours sont programmés au collège Khar Ndoffene Diouf situé au cœur du marché avec tout le tapage», explique l’étudiant, montrant la rouille sur les portes du bâtiment. Au beau milieu de la forêt, à la périphérie de Fatick, le site devant accueillir un des campus pédagogiques de l’université du Saloum, a laissé place à un chantier à l’arrêt, jonché d’arbustes. Des briques en lambeaux, une grue envahie par la poussière, quelques murs à peine sortis de terre, témoignent de la suspension des travaux. A une centaine de mètres de là, contrairement au chantier du campus pédagogique, celui destiné à l’hébergement des étudiants est en pleine construction. Mais sur place, pendant que les ouvriers s’activent à la tâche, impossible de tirer la moindre explication de l’ingénieur en chef des travaux.
KAFFRINE : «Plusieurs de nos camarades ont préféré abandonner les études»
A l’instar de Kaolack et de Fatick, le chantier du campus pédagogique de l’Université du Saloum, dont les travaux sont confiés au groupement d’entreprise chinois, est lui aussi à l’arrêt à Kaffrine. De l’autre côté de cette ville, casés dans des locaux provisoires, faute d’équipements pédagogiques, les étudiants orientés dans cette région sont plongés dans le néant. Dans une des maisons mises à leur disposition par les services universitaires, c’est autour d’une théière que Daouda Marone et ses voisins de chambre ont choisi de se pencher sur leur désillusion. Après les présentations d’usage, il passe la parole au plus ancien du groupe invité à décrire avec précision, le calvaire auquel ils font face. «Dans cette université, on nous parle de Licence professionnelle. Ce qui est, en réalité, un rêve vendu aux milliers d’étudiants que nous sommes. Comment expliquer le fait que depuis 3 ans passés dans une université qui se veut technique, mes camarades et moi n’avons fait que quatre cours pratiques. Et faute de salles de cours, c’est la même situation que traversent tous les étudiants des différents départements de l’université du Saloum», raconte, l’étudiant en Licence 3. Très écœurés, ils veulent tous prendre la parole. Dans ce vacarme, Daouda Marone, replié au fond de la pièce rajoute : «La situation est devenue tellement intenable que plusieurs de nos camarades ont préféré abandonner leurs études. En début d’année, nous étions à peu près 80 étudiants en Licence 2 de sociologie. Après quelques mois de cours, ne voyant pas de sérieux dans cette université, une dizaine ont tout bonnement quitté. Même moi, je n’attends que le rappel de ma bourse pour arrêter. D’ailleurs, notre département a fini de se vider.»
ATAPE MANE, CHARGE DE REVENDICATIONS AU SAES : «Il y a des départements qui n’ont que trois enseignants»
Enseignant à l’Ussein et chargé de revendications au sein du syndicat des enseignants du supérieur (Saes), Atape Mané décrit la situation qui prévaut au sein de l’établissement.
«La situation est devenue monotone. On ne sait plus le nombre de fois que l’Etat a repoussé la date de l’inauguration de l’université du Sine Saloum El hadj Ibrahima Niass (Ussein). La livraison était normalement prévue en janvier 2016. Après, ils ont reporté pour 2017 puis février 2019. En réalité, c’est depuis 2013 qu’on a commencé à parler de cette université. D’ailleurs même, c’est à cette époque, plus précisément le 25 janvier 2013 qu’a été nommé le premier recteur de l’Ussein. Mais malgré cela, c’est toujours l’omerta et des visites de chantiers à n’en plus finir. Et c’est la raison pour laquelle le syndicat autonome des enseignants du supérieur (Saes) a décidé de porter le combat. Le premier point de revendication constitue la livraison des chantiers, ensuite vient la revalorisation du budget, le recrutement du personnel enseignant et administratif et la question de l’équipement pour mettre fin à la souffrance des étudiants. Nous ne sommes que 46 professeurs à dispenser des cours dans cet établissement. Et dans ce lot, la majeure partie est composée de vacataires. Pourtant, l’université du Sine Saloum regorge de près de 4000 étudiants. Alors que son budget, pour l’année 2021-2022, est de 2,100 milliards F Cfa. Ce qui s’avère insignifiant au regard de nos besoins en équipement, en recherche, sans compter la charge salariale. L’université compte 35 Licences professionnelles. L’année dernière, quand les étudiants sont montés au créneau pour fustiger leurs misérables conditions d’études, le gouvernement avait promis une rallonge budgétaire d’un milliard F Cfa. Au finish, on s’est rendu compte que cette annonce n’était que de la poudre aux yeux pour calmer leurs ardeurs, car nous travaillons toujours dans la précarité. Il y a même des départements qui n’ont que de deux à trois enseignants à l’image de celui de l’hydraulique, génie rural, machinisme et énergies renouvelables. Pire, ce dernier ne dispose que de trois salles de classe. Faute de locaux, nous nous déployons un peu partout dans la ville pour pouvoir faire cours. Cependant, avec l’abnégation du personnel enseignant, on arrive à terminer le programme. Même sur le plan administratif, ce sont les enseignants qui font le gros du travail. En plus des cours que nous dispensons, on s’occupe également des tâches administratives telles que la conception des emplois du temps, la programmation des examens et autres. C’est dire à quel point la situation est devenue intenable dans cette université.»
SALIOU DIAMANKA, DIRECTEUR DU PATRIMOINE ET DE LA MAINTENANCE DE L’UNIVERSITE SINE SALOUM De KAOLACK : «Nous travaillons d’arrache-pied pour le redémarrage de ces travaux»
Saliou Diamanka, directeur du Patrimoine et de la maintenance en charge du déroulement des chantiers de l’Université de Sine Saloum, s’est voulu rassurant quant au redémarrage des travaux.
«Ces chantiers étaient gérés par mon prédécesseur. A mon arrivée à la tête de la direction du Patrimoine bâti et de la maintenance, j’ai trouvé quelques chantiers à l’arrêt. Il s’agit des chantiers gérés par le groupement d’entreprise chinoise. Et c’était un problème d’ordre administratif entre l’Etat du Sénégal et l’Etat chinois. Les travaux sont subdivisés en deux lots que sont le campus de Kaolack (lot 1) et le campus de Fatick et de Kaffrine (lot 2). Cependant, seuls quelques chantiers du deuxième lot sont à l’arrêt. Et actuellement, nous travaillons d’arrache-pied pour le redémarrage de ces travaux. Il y a également un suivi quotidien que nous faisons sur ce cas. D’ailleurs, c’est une question déjà réglée parce qu’à plusieurs niveaux, la situation s’est décantée. Plusieurs étapes ont été franchies. Et d’un jour à l’autre, les travaux vont reprendre.»
FALILOU MBALLO
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