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« Dans leur pays, certains risquent la mort » : La Réunion, ultime choix d’exil pour les migrants sri-lankais

Le 14 janvier, un bateau de pêche chargé de 69 migrants en provenance du Sri Lanka a accosté à La Réunion, au sud de l’océan Indien. Un énième débarquement survenu trois semaines après l’arrivée par la mer de 53 autres exilés. Malgré le peu de chance d’obtenir l’asile sur l’île, tous tentent leur chance afin de fuir persécutions et marasme économique.

C’est le premier bateau de l’année. Samedi 14 janvier, vers 4h40 au matin, un bateau de pêche de 16 mètres de long en provenance du Sri Lanka a atteint La Réunion, dans l’océan Indien. Repéré au large depuis plusieurs jours déjà, l’embarcation a finalement été escortée vers le port de la pointe des Galets, à l’ouest de l’île, par la gendarmerie nautique. Escortés par des agents de la police aux frontières, ses 69 passagers ont ensuite été transférés, dans deux bus, à Sainte-Marie.

C’est dans cette petite ville, à une trentaine de kilomètres de leur lieu d’accostage, que tous les exilés, dont sept femmes et six enfants, ont été installés dans le gymnase du lycée le Verger. « Fatigués, visages éprouvés, ces Sri-Lankais sont descendus des bus pieds nus. La plupart n’ont plus de chaussures et très peu de vêtements, indique la chaîne Réunion La Première. Tous ont quitté leur pays avec leur vie rassemblée dans un maigre sac. »

À l’intérieur du gymnase, « des chaises, des tables et des lits de camp » ont été installés pour aménager cette grande salle en zone d’attente, d’ordinaire situé dans l’aéroport Gillot mais trop petite pour accueillir autant de personnes. Depuis samedi soir, une permanence de SOS Médecins veille par ailleurs sur la santé des occupants. D’après Vittoria Logrippo, responsable océan Indien à La Cimade, les conditions de vie dans le bâtiment y sont « moins terribles qu’à l’aéroport ou au Select Hotel » de Saint-Denis, où sont parfois hébergés les migrants. « Ce qui est choquant, en revanche, c’est que les exilés ne sont pas identifiés par leurs noms et prénoms mais par un numéro, inscrit sur un bracelet. » Une pratique « déshumanisante », dénonce la responsable.

C’est dans ces conditions que les exilés s’entretiennent par téléphone avec des agents de l’OFPRA, chargés du bien-fondé la demande d’asile. Leur avis est transmis ensuite au ministère de l’Intérieur, qui établira si la personne peut, ou non, déposer une demande d’asile. « S’ils n’ont pas vocation à rester », les exilés seront « renvoyés au Sri Lanka dans une semaine », a fait savoir la veille de leur arrivée le préfet de l’île Jérôme Filippini lors d’une conférence de presse. « Notre message est : La Réunion n’est pas une bonne destination pour ces odyssées dangereuses. »

Ce jour-là, 46 migrants, également sri-lankais, ont été reconduits dans leur pays après avoir débarqué à La Réunion le 24 décembre, soit le quatrième navire de l’année 2022.

« Menaces » sur la communauté tamoul

Depuis 2018, La Réunion a vu débarquer plusieurs bateaux de pêche en provenance du Sri Lanka. En quatre ans, 397 personnes sont arrivées sur ses côtes. Mais toutes ont débarqué en 2018 et 2022, lorsque, respectivement, 275 et 122 migrants ont été comptabilisés.

Les expulsions, opérées dans le cadre d’un accord de réadmission signé en 2002 entre l’Union européenne et le Sri Lanka, sont nombreuses : depuis mars 2018, 276 personnes ont été reconduites dans leur pays, et seuls 121 ont été autorisées à rester sur le territoire français – dont 40 ont depuis obtenu l’asile.

Parmi les raisons qui poussent ces personnes à parcourir en bateau les 4 000 km qui les séparent de La Réunion, « les menaces et les persécutions » qui pèsent sur « les communautés tamoul » dans le pays, affirme Vittoria Logrippo. « La présence rassurante » de cette même communauté à La Réunion peut alors « jouer un rôle, dans un territoire connu pour sa diversité », relate le site d’informations Zinfos974.

La violente répression qui s’est abattue sur les participants aux manifestations du printemps dernier contre le président sri-lankais Gotabaya Rajapaksa est également en cause. Cinq migrants, arrivés à La Réunion le 31 juillet 2022, avaient tous participé à la contestation. Lors d’une audience au tribunal administratif début août, l’un d’eux avait affirmé « avoir été passé à tabac lors d’une manifestation contre la politique du gouvernement », raconte La Réunion La Première.

Inflation de la nourriture à 90,9%

Aux menaces d’ordre politique s’ajoute l’effondrement de l’économie sri-lankaise, qui contraint elle aussi ses citoyens à envisager l’exil. « Depuis des mois, la population souffre de graves pénuries alimentaires et se bat pour avoir accès aux soins de santé, tandis que l’inflation galopante exacerbe les inégalités existantes », a déclaré dans un rapport publié début octobre Sanhita Ambast, chercheuse sur les droits économiques, sociaux et culturels à Amnesty International.

D’après le Programme alimentaire mondial, en juillet 2022, l’inflation de la nourriture a bondi de 90,9% au Sri Lanka, et 28% de la population, soit 6,2 millions de personnes, sont dans une « insécurité alimentaire aigüe ». Le prix d’un dal de lentilles, plat très populaire sur l’île, a grimpé, lui, de 183%.

Les autorités sri-lankaises discutent actuellement avec les créanciers de la restructuration de la dette du pays estimée à 46 milliards de dollars. Mais en attendant, la population doit faire face. « Si nous préparons le déjeuner, nous n’avons pas de dîner, et si nous n’avons pas de dîner, alors il n’y a rien non plus pour le petit-déjeuner. Certains jours, nous ne mangeons pas du tout », témoigne Aruni, mère de famille de trois enfants, dans le rapport d’Amnesty International.

Des retours dangereux

Un contexte politique et économique très difficile, dont ne s’émeut pas Jérôme Filippini. Après le renvoi, début novembre, de 13 migrants au Sri Lanka sur un groupe de 17 personnes, le préfet l’avait assuré : « chaque fois que les juges m’autoriseront à considérer que des personnes qui sont en situation irrégulière doivent partir, nous organiserons le départ. Il n’y a pas de possibilité de venue régulière pour ces migrants ».

Parcourir le chemin en sens inverse est pourtant inenvisageable pour les exilés. Quitter le territoire sri-lankais étant considéré comme un délit, les migrants de retour s’exposent à des peines de prison. La peur des représailles des autorités fait aussi partie de leurs craintes. En octobre dernier, le propriétaire d’un bateau de migrants avait affirmé à la justice être « sûr de mourir s’il rentrait au Sri Lanka ».

« Beaucoup de personnes avec lesquelles nous avons échangé disent avoir très peur de rentrer, confirme Vittoria Logrippo. Ils ont fui la prison, la torture, voire, pour quelques-uns, la mort. Ce sont les mêmes menaces qui les attendent à leur retour. » La situation est particulièrement préoccupante pour certains migrants expulsés en 2022, s’inquiète La Cimade. Depuis leur retour au Sri Lanka, ni l’association ni leurs proches n’ont eu de nouvelles de ces anciens exilés.

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