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De Gaulle et l’Afrique : les linéaments d’une relation ambiguë

Le président Senghor avait décrété une semaine de deuil national à la mort De Gaulle, et s’était fendu d’un éditorial dans Le Soleil du lendemain, le 11 novembre 1970. Cinquante ans plus tard, De Gaulle en Afrique, c’est d’abord la politique coloniale de la IVe République française. Après les indépendances des pays africains intervenues généralement autour de 1960, le résistant en France symbolisait la politique africaine, et la politique de coopération de la Ve République dans le continent noir, avec des tares comme la françafrique. Dans le diagnostic du sentiment anti-français actuel dans plusieurs capitales africaines, il y a des symptômes qui remontent à ce passé. Retour sur les caractéristiques d’une relation trouble.

Figure de la résistance à l’occupation nazie en France, initiateur d’une nouvelle constitution qui instaura la Ve République et l’élection du président au suffrage universel, de la décolonisation en Algérie et en Afrique noire et de la force de dissuasion nucléaire française, Charles de Gaulle est devenu une figure tutélaire française célébrée de l’extrême-droite à l’extrême-gauche française. Un unanimisme qui n’est pas forcément partagé en Afrique, notamment au Sénégal.

La Bataille de Dakar

Capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF), Dakar est une plaque tournante de l’atlantique. Ce qui en fait une zone stratégique très convoitée durant la seconde guerre mondiale. A partir de juin 1940, Pierre Boisson est nommé haut commissaire de l’Afrique française prenant sous son aile, l’AOF, l’AEF et les territoires du Togo et du Cameroun.

De ce fait, il devenait l’homme fort de l’Afrique, une place lorgnait le Général De Gaulle, figure de la France libre en opposition à celle de Vichy, collaboratrice de l’Allemagne nazie. De Gaulle s’associe avec les Anglais afin de maîtriser et de contrôler Dakar. C’est de là qu’est advenue la bataille de Dakar entre le 23 et 25 septembre 1940. Elle s’est soldée par un échec des envahisseurs c’est-à-dire de De Gaulle et des Anglais.

De Brazzaville à la communauté franco-africaine

Alors que le gouverneur Pierre Boisson avait maintenu un moment le Sénégal dans l’orbite de Vichy, De Gaulle allait revenir au premier plan au Sénégal et en Afrique fort de l’auréole du libérateur de la France. Un statut que lui confère la fameuse conférence de Brazzaville (Congo), ouverte par le général de Gaulle au Cercle civil de la capitale congolaise, le 30 janvier 1944. Albert Bourgi la qualifiera plus tard de « jalon important dans le processus d’extinction de l’ère coloniale », « date importante dans l’histoire de la fin des Empires ». La conférence de Brazzaville n’est pas une fin mais un commencement.En effet, la loi-cadre de 1956, dans la mise au point de laquelle François Mitterrand et Gaston Defferre jouèrent un rôle décisif, est un autre commencement à partir duquel Charles de Gaulle élabora la future et éphémère communauté franco-africaine. A la lumière des débats de ces grandes assises politiques que furent les congrès du Rassemblement démocratique africain (R.D.A.) de septembre 1957 à Bamako et du Parti du regroupement africain (P.R.A.) de juillet 1958 à Cotonou, apparemment sévèrement jugés parce que mal compris ou interprétés, De Gaulle proposa aux dirigeants africains l’alternative de la Communauté ou de la sécession.
Les pancartes de la Place Portet
Dans le pays de la Téranga, le « libérateur » de la France n’a pas reçu un accueil enthousiasme à la place Portet (actuelle place de l’Indépendance) de Dakar, en août 1958. C’est l’épisode historique des porteurs de pancartes. Le défunt Mbaye Jacques Diop et ses camarades s’étaient « spontanément organisés », et « brandissaient des pancartes réclamant tapageusement l’indépendance immédiate, au point d’irriter le grand et prestigieux Charles De Gaulle. » Le président français fera montre d’un orgueil touché et de sous-entendus : » Je veux dire un mot d’abord aux porteurs de pancartes. Je veux leur dire ceci ; s’ils veulent l’indépendance, qu’ils la prennent le 28 septembre… mais s’ils ne la prennent pas, alors qu’ils sachent ce que la France leur propose : la communauté franco-africaine. Qu’ils le sachent en toute indépendance, indépendance de l’Afrique et indépendance de la France. Qu’ils le sachent avec moi pour le meilleur et pour le pire. Qu’ils le sachent dans les conditions que j’ai évoquées d’une manière précise, en particulier l’autre jour à Brazzaville, conditions dont je n’admets pas qu’on mette en doute la précision ni la sincérité »
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De Gaulle, père de la France-Afrique

Le 30 janvier 1944, De Gaulle réfute l’idée d’émancipation des colonies lors de son discours à la Conférence de Brazzaville. Il émet des recommandations en défaveur de « toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’Empire : la constitution éventuelle, même lointaine, de self-governments dans les colonies est à écarter. » Voici les jalons de ce qui finira par devenir la françafrique. L’expression « France-Afrique » est employée, dès 1955, par le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, pour définir le souhait d’un certain nombre de membres de l’ »élite » africaine de conserver des relations privilégiées avec la France après l’accession de leur pays, anciennes colonies françaises, à l’indépendance. Elle est incarnée par Jacques Foccart, secrétaire général de l’Elysée aux affaires africaines et malgaches de 1960 à 1974. A travers Foccart, la France-Afrique est mise en place par De Gaulle et se caractérise par le rôle des réseaux extra-diplomatiques (services de renseignement, entreprises, « barbouzes », militaires etc.) et l’ingérence directe des autorités françaises dans les affaires intérieures en Afrique. Quant à l’expression « Françafrique » et au système mafieux auquel elle renvoie, elle est nommée et mise à jour, décryptée pour la première fois par François-Xavier Verschave à travers son ouvrage « La Françafrique. Le plus long scandale de la République » (1988, Stock), et par l’association Survie, dont F. X. Verschave fut l’un des présidents historiques, de 1995 jusqu’à sa mort en 2005. Dans son ouvrage, complété par : « Noir silence : qui arrêtera la Françafrique » en 2000, Verschave décrit un système caractérisé par des pratiques de soutien aux dictatures, de coups d’Etat et d’assassinats politiques mais aussi de détournements de fonds et de financement illégal de partis politiques.
Moussa DIOP
De Gaulle et Dakar, une relation singulière
Charles De Gaulle entretenait une relation particulière avec Dakar. Son attachement pour la capitale de l’AOF était certes politique, mais une once de nostalgie se notait dans ses discours relatifs à Dakar.
« Je vois que Dakar est une ville vivante et vibrante. Je ne me passerais pas de la saluer en raison, d’abord, des souvenirs qui m’y attachent, en raison, aussi, des espérances que j’y ai placées », avait-il déclaré en août 1958 à Dakar lors du discours sur la proposition d’indépendance totale ou partielle aux colonies.
Ce discours tenu à Dakar a semblé convaincre puisque le Sénégal a accepté la communauté franco-africaine. De ce fait, les premiers traités de coopération pour l’économie, l’enseignement, la culture, la défense, les communications ont été signés l’année suivant le discours de 1958. De Gaulle a donc réussi la transition de la colonisation à la « coopération moderne ». Il disait noter à Dakar une certaine assurance des populations vis-à-vis de sa personne. « A Dakar on dit : » De Gaulle, je constate aussi que quand il est là et qu’il parle, les choses sont précises, qu’on ne doute pas et qu’on ne s’ennuie pas « .
Sa relation avec Dakar s’est illustrée lorsque Senghor a décrété une semaine de deuil national suite à son décès en novembre 1970. Bien qu’il adorait montrer une affection manifeste pour Dakar, De Gaulle entretenait en réalité un désir de prendre le pouvoir sur les colonies, à travers la capitale de l’AOF. Il s’est rendu plusieurs fois en Afrique mais les voyages les plus comptés sont ceux qu’il avait fait à Dakar. Cette zone très convoitée de l’Atlantique a été, à un moment terreau d’affrontements entre De Gaulle et Pierre Boisson, haut-commissaire de l’Afrique française en septembre 1940, comme expliqué plus haut.

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