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De la retenue dans la tenue, pour que force reste à la loi

Les incidents malheureux survenus entre le commissaire des Parcelles Assainies et le pharmacien de l’officine Fadilou Mbackè, le « jakartaman » de Thiès et le supposé agent de la police, doivent nous servir de leçons au-delà de l’émotion et de la passion qu’ils ont générées. Tout le monde y va de ses commentaires depuis l’éclatement de ces affaires, ce qui est tout à fait normal. Mais on doit aller au-delà de l’appréciation circonstancielle à laquelle on se plait souvent et essayer de voir par quels mécanismes il faudra passer pour éviter ce genre de comportements, aussi bien de la part des agents de sécurité que des civiles.

Meurtre de Mafatim à Thiès : La police brise le silence !Sélectionné pour vous :
Meurtre de Mafatim à Thiès : La police brise le silence !

Pour que force reste à la loi, il faut de la retenue dans la tenue. Porter l’uniforme de la police ou de la gendarmerie n’est pas chose facile puisqu’il repose sur des valeurs et principes encadrés par la loi. Tous les agents en uniforme reconnaissent les exigences liées à ce sacerdoce et n’ignorent pas que lorsqu’on est détenteur de la force, on est censé être au-dessus de la mêlée et avoir de la retenue.

En vérité, être investi de la force publique ne veut nullement dire être plus fort si l’on évolue en dehors de la loi. Un agent de sécurité publique n’est pas détenteur de pouvoir, mais plutôt d’autorité. Et il ne doit aucunement en abuser. Qu’il s’agisse d’agents de la police, gendarmerie ou simple citoyen, quand on rame à contre-courant des textes et règlements qui régissent notre vie en société, on devient de facto un hors-la-loi. Alors que pour l’achèvement d’un Etat de droit réel, il faut des policiers policés et des civils civilisés.

Il relève d’une redondance que d’affirmer que nos forces de défense et de sécurité sont professionnelles. Par contre, l’excès de zèle ou de rigueur dont certaines font parfois montre, à bout de nerfs, ne se justifie pas. Certains agents de sécurité et leurs collaborateurs aiment regarder de haut la population sous nos tropiques et cela demeure leur péché mignon à côté des prouesses qu’ils accomplissent pour le maintien de l’ordre à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

Si, en famille, les policiers et autres agents de sécurité ont bonne presse car magnanimes et longanimes, aussi humains que n’importe quel autre Sénégalais, qu’est-ce qui les empêche de faire preuve de la même tenue et retenue qu’ils ont dans la vie sociale. On n’a pas besoin de se gendarmer contre un administré pour lui faire entendre raison alors qu’on dispose d’une batterie de moyens de le persuader sans causer de dommages. Quand l’usage de la force est humanisé, il n’y a plus de place au corps-à-corps entre agents de police et simples citoyens.

Il faut noter pour le déplorer que ce genre d’incidents n’est pas un fait isolé dans les rangs de la Police. Une hirondelle ne fait pas le printemps dit-on, mais la répétition des errements et erreurs ou fautes des agents de police instaure une situation complexe et compliquée à apprécier. Certains parmi ceux qui doivent protéger sont passés maîtres d’abus de pouvoir et se mettent ainsi en dehors de la loi. On se rappelle encore du fameux policier « gifleur » qui avait défrayé la chronique pour son comportement peu circonspect à la gare de Ziguinchor, l’année passée. Aujourd’hui c’est un commissaire qui est mis en cause et un supposé indicateur de la Police qui serait à l’origine de la mort d’un conducteur de moto Jakarta à Thiès.

Pour que force reste à la loi, il faut de la retenue dans la tenue. Quelles que puissent être les circonstances, l’homme de tenue ne doit pas « perdre le contrôle » comme certains ont tenté de l’expliquer. Il n’est certes pas un extraterrestre, mais il n’est pas ordinaire non plus. Sinon, il n’aurait pas le privilège ou le pouvoir de mettre aux arrêts n’importe quel citoyen qu’il juge fautif. Dans les commissariats ou dans les rues, tout comme sur les routes pour contrôler le trafic ou dans nos maisons mêmes pour perquisitionner, la police et la gendarmerie sont au centre de notre quotidien. C’est grâce à elles si l’on parvient à dormir comme un loir. Cependant, l’honorabilité de leur mission ne les place nullement au-dessus des lois mais plutôt sur un pied d’égalité avec les citoyens envers la loi.

Quid de la responsabilité du citoyen lambda? Les rapports entre administrateurs et administrés sont devenus extrêmement tendus en ces temps qui courent. Et ce fléau n’échappe aucun corps du service public, victime de son arrogance déplacée. Tout comme les autorités, les citoyens arrivent parfois à péter les plombs pour un rien. Pressés de toutes parts par les réalités sociales, beaucoup regardent ces policiers et gendarmes comme complices de leurs bourreaux, ces leaders politiques qui gouvernent par la force et parfois par la répression. Et pourtant ces deux entités, citoyens comme forces de l’ordre, ont besoin d’une franche collaboration pour une société en sécurité. De ce point de vue, l’humanisation du métier du maintien de l’ordre doit figurer parmi les priorités de notre administration qui se veut plus moderne.

Au lieu de relations fraternelles et partenariales, les forces de l’ordre et les citoyens entretiennent des rapports heurtés et cela découle d’une absence totale de tenue et de retenue. Peut-être est-ce le moment de plus travailler dans le sens de rétablir cette confiance rompue depuis quelques années entre usagers et hommes de tenue. Il va de soi que ces deux parties continueront de se regarder en chiens de faïence si l’introspection qu’il faut n’est pas faite en même temps qu’une prise de conscience professionnelle approfondie. Il ne pourrait en être autrement puisque la crainte de l’homme de tenue, alkaati, en temps colonial et au début des indépendances a cédé la place à la phobie justifiée ou non de cet agent préposé à la sécurité publique.

De la retenue dans la tenue et de la tenue chez les citoyens, voilà le seul moyen pour prévenir ce genre d’incidents malheureux. Les relations conflictuelles notées aujourd’hui ne sont que le fruit d’un excès de zèle et d’un harcèlement que certains agents de l’ordre, la Police notamment, opposent à l’entêtement ou à l’abus de langage de certains justiciables. Pourtant, le Président Macky Sall avait appelé les agents, lors d’une allocution à l’Ecole nationale d’administration (ENA), à privilégier l’administration par management en lieu et place de l’administration par commandement.

La force publique ne doit souffrir d’aucune faiblesse certes, elle doit s’assumer et assumer toute la charge qui lui est assignée de peur de perdre son autorité. Mais jusqu’à quel point faut-il pousser le bouchon? Seul le professionnalisme de ceux investis de responsabilité publique et leur retenue dans la tenue peuvent faire toute la différence. Après tout, nul n’est au-dessus de la loi.

Par Ababacar Gaye/SeneNews

kagaye@senenews.com

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