Dégradation successive de la note du Sénégal par les agences de notation Moody’s et standard & Poor’s la solidité de l’économie sénégalaise en question
Deux des trois principales sociétés de notation financière à l’échelle mondiale, à savoir Moody’s et Standard & Poor’s, ont dégradé successivement la note du Sénégal à la suite de la publication du rapport de l’Inspection Générale des Finances (IGF), remettant en cause la fiabilité des chiffres annoncés par le régime sortant de Macky Sall.
Les nouvelles autorités politiques du Sénégal ont décidé de faire le point sur la situation économique du pays. Ainsi, un audit de l’IGF, commandité par le Président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, a révélé que le déficit budgétaire serait de 10,4 % du Produit Intérieur Brut (PIB) et la dette publique de 83,7 % du PIB en 2023, contre respectivement 5,5 % et 65,9 % annoncés précédemment par le régime de Macky Sall. Ce diagnostic des finances publiques, établi par l’IGF et soutenu par le chef du gouvernement, Ousmane Sonko, privilégiant la transparence budgétaire au risque de voir la note du Sénégal abaissée, a rapidement produit des effets. Dix jours seulement après la publication du rapport de l’IGF, l’agence Moody’s, spécialisée dans les solutions de gestion des risques et l’analyse financière, plus connue pour ses notations financières standardisées, a dégradé la note du pays de deux crans à B1. Comme si cela ne suffisait pas, un peu plus de deux semaines plus tard, l’agence américaine Standard & Poor’s, réputée pour ses analyses financières sur les actions et les obligations, a placé le Sénégal sous perspectives “négatives”. Toutefois, l’agence S&P précise que la note sur les emprunts à long et court terme du pays a été maintenue à “B+/B”.
Elle (agence S&P) estime que cette «incertitude importante sur les données budgétaires réelles » ainsi que le « manque de clarté sur le profil d’endettement, d’amortissement et les besoins de financement » menacent la solvabilité du pays.
Cependant, l’agence de notation précise qu’elle pourrait « relever la note du Sénégal ou réviser les perspectives à “stables” si les indicateurs budgétaires et extérieurs s’améliorent plus rapidement que prévu grâce à la mise en œuvre de mesures correctives énergiques ».
Comprendre la baisse de la notation souveraine du Sénégal
L’économiste du développement et de l’incertain, non moins assesseur à la faculté des sciences économiques et de gestion (FASEG), a d’emblée précisé que la notation souveraine donne une idée du niveau de solvabilité d’un pays. En matière de notation, les pays peuvent être considérés soit comme des voitures neuves, soit comme des voitures d’occasion, en termes de fiabilité.
Convaincu de l’importance de la note attribuée par ces agences de notation, il soutient que les agences de notation (comme Moody’s, S&P ou Fitch) fournissent des scores et des classements qui permettent d’évaluer la solvabilité d’un pays. Ces notations influent sur le taux d’intérêt auquel un pays peut emprunter.
Les notations de Moody’s comprennent deux grandes catégories : le grade “investment” (investissement) pour les pays réputés très sûrs et solides, et le grade “speculative” (spéculatif) pour les pays risqués.
La première catégorie est composée de 10 niveaux et la seconde de 11 ; au total, il faut donc gravir 21 échelons pour atteindre le sommet (pays très sûr).
Il convient de noter que tant qu’on n’a pas encore dépassé le 11e niveau, on est encore considéré comme un véhicule d’occasion, qui peut être en bon état ou présenter une défaillance cachée.
Le Sénégal était classé Ba3, c’est-à-dire au 9e niveau ; il vient d’être rétrogradé à B1, soit au 8e. Mais il fait toujours partie des véhicules d’occasion. Selon le professeur titulaire des universités, lorsqu’un pays est classé Ba (Ba1, Ba2 ou Ba3 avec Ba1 étant le meilleur), prêter de l’argent à ce pays implique déjà la présence d’éléments spéculatifs et de risques de crédits importants. Lorsqu’il est classé B (B1, B2 ou B3, avec B1 étant le meilleur), le prêteur sait que le risque est carrément spéculatif et élevé. Dans les deux cas, les taux d’intérêt peuvent être conséquents.
Une baisse de notation à prendre au sérieux, mais à relativiser
L’économiste agrégé rappelle que c’est en 2017 que le Sénégal est passé de B1 à Ba3. En 2024, il y retourne ; ce qui n’est pas une bonne nouvelle, et cela fait consensus. Mais cette baisse résulte d’un exercice de communication du gouvernement sur les finances publiques ; elle est donc mécanique. De plus, le Sénégal devance toujours un pays comme le Rwanda, souvent cité en exemple en termes d’attractivité en Afrique.
Entre 2003 et 2019, la Banque mondiale a publié chaque année le fameux classement “Doing Business”, qu’elle a abandonné en 2020 après des révélations sur des manipulations de données visant à faire apparaître certains pays comme plus attractifs que d’autres en matière d’investissement (soit 17 ans de tromperie !).
Aujourd’hui, le Sénégal est classé B1, mais devance toujours un pays comme le Rwanda, qui est classé B2, malgré sa réputation positive sur le plan économique en Afrique.
JEAN PIERRE MALOU