DOMINIQUE STRAUSS-KAHN SUR LA FIN DU F CFA : « LE SYSTEME NE POUVAIT PLUS DURER »
Dominique
Strauss-Kahn, économiste de renom, salue la décision des États de
l’UEMOA de tourner la page du CFA. « Oui, le système ne pouvait plus
durer, en raison des symboles dont il était lesté. Les références au
passé colonial [NDLR : avant 1958, l’acronyme CFA signifiait Colonies
françaises d’Afrique], les obligations de placer les réserves à la
Banque de France, la présence de Français dans les instances monétaires
africaines », a-t-il expliqué dans un entretien avec Paris Match.
A
la question de savoir pourquoi il n’avait pas pris la décision lors du
passage à l’euro, quand il était ministre des Finances ?
« Lionel
Jospin a été nommé en 1997, six mois avant le passage à l’euro. Lorsque
je me suis retrouvé à Bruxelles, la question du franc CFA n’avait jamais
été abordée. Nos partenaires européens sont tombés de l’armoire et il a
fallu batailler pour qu’ils acceptent quelque chose de bizarre, à
savoir qu’une monnaie extérieure soit rattachée à l’euro, avec un lien
avec le Trésor français. Mettre fin au CFA à ce moment-là aurait créé un
deuxième problème. Il aurait fallu prendre cette décision bien plus tôt
ou bien plus tard », a répondu l’ancien ministre et conseiller du
plusieurs présidents africains.
Alors pourquoi attendre plus de vingt
ans, interroge mon confrère ? « D’un côté, la France avait une position
d’attente, sur le thème “nous sommes ouverts”. De l’autre, les
Africains, qui sont bénéficiaires d’une garantie monétaire de la France,
pouvaient difficilement agir seuls. Une démarche unilatérale de leur
part pouvait être perçue par les marchés comme un facteur d’instabilité
sur la valeur de la monnaie. Le risque d’ouvrir une brèche à la
spéculation était réel. Il ne l’est plus, car les Français et les
Africains ont bougé en même temps, et Paris continue d’assurer la
garantie monétaire de la zone », a-t-il répondu.
Le CFA sera remplacé
l’ECO, mais la nouvelle monnaie sera elle aussi garantie par la France.
« N’est-ce pas une autre forme de tutelle ? », réplique mon confrère. «
Cela n’a rien à voir. Le compte d’opération libellé en francs CFA a été
fermé. Le dernier cordon ombilical a été coupé. C’est un vestige du
passé qui ne se justifiait plus. La souveraineté monétaire des Africains
est totale. A eux de déterminer l’ancrage de nouvelles modalités. A eux
de développer les échanges autour de cette monnaie unique et de créer
un espace d’intégration que le CFA n’a pas été capable de faire. A eux
d’intégrer, s’ils le souhaitent, d’autres pays, comme le Ghana, la
deuxième puissance économique de l’Afrique de l’Ouest enclavée dans la
zone ECO », a expliqué Dominique Strauss-Kahn.
Lansana SYLLA