Dr Abdoul Aziz Ly sur le Diabète au Sénégal : « Une pathologie sous diagnostiquée »
Au Sénégal, la prévalence globale du diabète est de 2,1%. Au-delà de 45 ans, elle augmente à 5,4 %. Les hommes sont plus touchés que les femmes avec 2,5% contre 1.6 %. Le diabète est plus fréquent en zone urbaine avec 2 ,9 % contre 1,3% en zone rurale selon les informations de l’enquête (STEPS 2015). Ces statistiques ont évolué, selon le ministère de la Santé et de l’action sociale qui a commandé une nouvelle enquête nationale sur la prévalence des maladies chroniques non transmissibles dont la publication est attendue incessamment. Avec la Journée mondiale du diabète qui est célébrée, ce jeudi 14 novembre, par la communauté internationale, le prétexte est tout trouvé pour parler à nouveau de ce mal qui répand la terreur. Selon Docteur Abdoul Aziz Ly, Endocrinologue-Diabétologue-Nutritionniste ; Spécialiste des maladies métaboliques et actuellement en service à l’hôpital de Tivaouane dans la région de Thiès, le diabète est une pathologie chronique, qui est grave et évolutif en constante augmentation. Néanmoins, il reste sous-diagnostiqué. Le spécialiste estime que la prise en charge du diagnostic au suivi en passant par le traitement ne doit souffrir d’aucune faille car il est responsable d’une mortalité élevée. A cet effet, Dr Ly soutient : « De réelles politiques sont nécessaires afin de le maitriser, de le contrôler et de le prévenir ». Entretien…
Qu’est-ce que le diabète ?
Selon l’Organisation mondiale de la santé (Oms), le diabète est un état d’hyperglycémie chronique en rapport avec un défaut de sécrétion et/ou d’action de l’insuline, en rapport avec des facteurs génétiques et/ou environnementaux agissant souvent de concert. Cette affection est caractérisée par un trouble continu de la régulation du taux du sucre sanguin encore appelé glycémie. Cela se traduit par un excès de sucre ou glucose dans le sang et là, on parle d’hyperglycémie.
Comment se manifeste cette hyperglycémie ?
Quand on mange, le taux de sucre dans le sang augmente, les glucides sont alors transformés essentiellement en glucose. Le pancréas détecte l’augmentation de la glycémie et sécrète de l’insuline. Elle fonctionne comme une clé et permet au glucose de pénétrer dans les cellules de l’organisme, dans les muscles, dans les tissus graisseux et dans le foie où il va pouvoir être transformé et stocké. Le glucose diminue alors dans le sang. Une autre hormone, le glucagon, permet de libérer le glucose lors d’une baisse de la glycémie. En cas de diabète, ce système de régulation ne fonctionne pas.
Quelle est la différence entre un diabète de type 1 et de type 2 ?
Le diabète de type 1 qui touche environ 6% des diabétiques, appelé autrefois diabète insulinodépendant (DID), est habituellement découvert chez les personnes jeunes dont les enfants, adolescents ou jeunes adultes. Le diabète de type 2 qui en touche 92 % des diabétiques, apparaît généralement chez les personnes âgées de plus de 40 ans. Cependant il peut être précoce. Le surpoids, l’obésité et le manque d’activité physique sont la cause révélatrice du diabète de type 2 chez des personnes génétiquement prédisposées.
En dehors de ces types de diabète, y a-t-il eu d’autres ?
Les autres types de diabète concernent les 2 % restants. Ils sont répartis entre le diabète gestationnel qui se développe au cours de la grossesse, le diabète secondaire à certaines maladies ou prises de médicaments ou encore la dépigmentation.
Comment dépister le diabète ?
En règle générale, tout le monde doit bénéficier d’un dépistage au moins une fois dans sa vie. Le dépistage doit être réalisé par un test de glycémie veineuse à jeun, effectué au laboratoire. Un dépistage opportuniste ciblé des sujets de plus de 45 ans, doit être réalisé tous les 3 ans. Il devra être rapproché à tous les ans si des facteurs de risques sont présents.
Quels sont ces facteurs de risques ?
Les facteurs de risques sont généralement l’excès de poids, l’hypertension artérielle, le diabète familial lorsqu’on a des diabétiques dans la famille ; le diabète gestationnel ou enfants de poids de naissance de plus de 4 kg, des troubles du bilan lipidique.
Comment diagnostiquer le diabète ?
Le diagnostic du diabète peut être posé devant le syndrome cardinal : Polyphagie, Amaigrissement Polydipsie, Polyurie. Chez les diabétiques, une carence de l’insuline est observée. Malgré une hyperglycémie récurrente, soit un taux de glucose particulièrement élevé dans le sang, le signal de satiété n’arrive pas jusqu’au cerveau et la faim perdure, aboutissant à une polyphagie. En l’absence d’insuline, le patient diabétique n’arrive pas à métaboliser les glucides. Les cellules métabolisent donc les réserves lipidiques et protéiques, aboutissant à un amaigrissement paradoxal, malgré l’augmentation des apports caloriques oraux. Le diabète induit également un dérèglement du centre hypothalamique de la soif aboutissant à une polydipsie (augmentation des liquides absorbés) et une polyurie (augmentation du volume des urines).
Quel traitement pour le diabète ?
Le traitement du diabète repose sur une triade. Il faut d’abord une alimentation riche, diversifiée et équilibrée. A cet effet, on recommande chez le patient une alimentation « saine et équilibrée » et d’éviter les restrictions. Les conseils diététiques sont la répartition de la prise d’hydrates de carbone en trois repas à horaires relativement fixes. De ce fait, il faut favoriser les aliments riches en fibres dont les céréales complètes, consommer des fruits et des légumes tous les jours, éviter de consommer des boissons sucrées, éventuellement des boissons édulcorées, privilégier les huiles végétales avec acides gras insaturés, les sources de protéines végétales comme les légumes secs, noix ou animales provenant du poisson et de la volaille mais peu de viande rouge et produits dérivés. Il faut éviter la consommation d’alcool. En dehors de l’alimentation, une activité physique régulière, adaptée est recommandée. Il s’agit, en plus de participer à la perte de poids, augmenter la sensibilité à l’insuline et diminuer la graisse abdominale, même en l’absence de perte de poids. Il est recommandé ainsi au patient diabétique de pratiquer une marche rapide 30 mn cinq fois par semaine. Il y a aussi le traitement médicamenteux par voie orale ou injectable notamment l’insuline. Le traitement s’adapte en permanence au profil du patient et à l’évolution de la maladie. Il n’y a donc pas de traitement “unique” contre le diabète mais un ensemble de mesures qui composent le traitement antidiabétique.
Quelles sont les complications qui peuvent découler du diabète ?
Le diabète est responsable de 6,7 millions de décès dans le monde, soit 1 toutes les 5 secondes. Les complications du diabète peuvent se traduire par une cécité, des atteintes des pieds pouvant conduire à des amputations, des crises cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux, des troubles de l’érection ou une insuffisance rénale.
En parlant d’amputation, le pied diabétique est très redouté par les patients ?
Dans les cas les plus graves, les plaies du pied peuvent s’étendre, s’aggraver et s’infecter, conduisant parfois à une hospitalisation voire à une amputation. Les personnes diabétiques ont les pieds plus fragiles, on parle de « pied diabétique » pour parler des complications liées au diabète et qui apparaissant au niveau des pieds. Cette fragilité est due à plusieurs facteurs dont une mauvaise circulation du sang dans les artères des membres inférieurs, une diminution de la sensibilité au niveau des pieds et une déformation des pieds.
A quel moment le patient diabétique ressent-il la dépression ?
Le risque d’être dépressif est deux fois plus élevé chez les diabétiques de type 2 que chez les personnes qui n’ont pas de diabète. Une souffrance psychologique menant à une dépression peut apparaître à différents moments de la maladie. Il peut se manifester dès le diagnostic, lors de l’apparition d’un handicap ou de douleurs, lors du passage à un traitement par insuline ou lorsque des complications apparaissent.
Quel est votre plaidoyer à l’endroit de la tutelle et des autorités étatiques ?
Aujourd’hui, il est primordial de sensibiliser la population sur l’intérêt de connaitre son statut glycémique et définir des programmes nationaux de dépistage. La tutelle doit travailler à unir les parties prenantes par la collaboration, y compris les diabétiques pour la maitrise du diabète au Sénégal sous la houlette de la direction des maladies non transmissibles du ministère de la Santé autour d’un programme commun. Ce qui manque, c’est un programme commun assorti d’objectifs et de cibles clairement définis autour desquels toutes les parties prenantes s’uniront et prendront des mesures dans leurs propres domaines d’expertise. Il faut aussi intégrer la prévention et la prise en charge du diabète dans le cadre des soins de santé primaires et de la couverture sanitaire universelle afin de rendre accessibles les médicaments à moindre coût et instaurer le dépistage au plus bas de la pyramide sanitaire. Il faut qu’il y ait une appropriation du diabète par les diabétiques par l’instauration d’un programme national d’éducation thérapeutique.
REALISE PAR DENISE ZAROUR MEDANG