Drame de Melilla : Amnesty International dénonce une « tuerie de masse »
Six mois après la mort d’au moins 23 migrants qui tentaient d’entrer à Melilla, Amnesty International a recueilli des témoignages et analysé des données. L’ONG accuse le Maroc et l’Espagne de vouloir cacher la vérité et de minimiser le nombre de victimes. Selon elle, au moins 37 personnes seraient décédées dans le drame et 77 auraient disparu.
Une « tuerie de masse sur le sol européen ». C’est ainsi qu’Amnesty International a qualifié, mardi 13 décembre, la mort d’au moins une vingtaine de migrants, ayant tenté de pénétrer fin juin à Melilla.
« Nous sommes ici aujourd’hui pour faire état d’une tuerie de masse, de disparitions forcées, d’actes de torture, de discrimination et de racisme, d’une violation du principe de non-refoulement. Tout cela sur le sol européen », a dénoncé la secrétaire générale d’Amnesty, Agnès Callamard, lors de la présentation, à Madrid, d’un rapport de l’organisation sur les incidents de juin. Cette dernière a également accusé les autorités espagnoles et marocaines d’avoir « violé » le droit international, et de vouloir « couvrir leurs meurtres » en « dissimulant » la vérité, près de six mois après les faits.
Le 24 juin dernier, près de 2 000 clandestins, en majorité originaires du Soudan, avaient tenté d’entrer dans l’enclave espagnole, située sur la côte nord du Maroc. Les vidéos amateurs de ce drame sont insoutenables : amoncellement de corps inertes gisant au sol, visages de migrants en souffrance, coups de matraque distribués par des forces de l’ordre sur des hommes déjà à terre…
Cette tragédie représente le bilan humain le plus lourd jamais enregistré lors de tentatives d’intrusion de migrants dans cette enclave ou dans celle de Ceuta, qui constituent les deux seules frontières de l’UE sur le continent africain.
Amnesty et l’ONU donnent un bilan de 37 morts
L’ONG a recueilli de nombreux témoignages de migrants présents le 24 juin à la frontière entre le Maroc et Melilla et analysé vidéos et images satellites. D’après le rapport tiré de la compilation de ces données, « les méthodes employées par les autorités marocaines et espagnoles (…) ont contribué à la mort d’au moins 37 personnes », conclut Amnesty international.
Le bilan des autorités marocaines fait, lui, état d’au moins 23 morts. Amnesty assure par ailleurs que 77 migrants sont « toujours disparus » depuis ce drame.
Ce n’est pas la première fois que les autorités espagnoles et marocaines sont pointées du doigt après ce drame. La tragédie de juin avait provoqué l’indignation internationale, notamment de l’ONU qui avait dénoncé un « usage excessif de la force » de la part des autorités des deux pays concernés.
Comme Amnesty, des experts indépendants nommés par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU ont remis en question la version officielle des faits, évoquant eux aussi un bilan d’au moins 37 morts. L’ONU a aussi dénoncé le manque de responsabilités concrètes établies, aussi bien en Espagne qu’au Maroc.
Accusations de torture rejetées
« Certaines actions des agents espagnols et marocains, comme frapper des personnes immobilisées (…), refuser des soins médicaux d’urgence aux personnes blessés, l’usage répété de gaz lacrymogène contre des personnes se trouvant dans un espace clos dont elles ne pouvaient s’échapper, peuvent constituer une violation du droit à ne pas subir de torture et autres mauvais traitements », a encore dénoncé Amnesty international mardi.
Le ministère espagnol de l’Intérieur a « fermement rejeté », dans un communiqué, les « accusations (…) sans preuve » de torture, qu’il a qualifiées d' »affirmations fausses d’une extrême gravité ».
Pourtant, les enquêtes s’accumulent contre les autorités espagnoles et marocaines. Deux d’entre elles, publiées en novembre par la BBC et le consortium européen de journalistes Lighthouse Reports, avaient dénoncé la brutalité des forces marocaines et questionné l’action des forces espagnoles.
Elles avaient notamment conclu à la mort d’au moins un migrant en territoire espagnol, ce que le ministre de l’Intérieur espagnol a nié à plusieurs reprises.
En Espagne, un Défenseur des droits enquête, lui aussi, sur ces faits. Ce dernier a jugé que les explications du ministère de l’Intérieur n’avaient « pas été suffisantes » jusqu’ici, selon l’AFP.