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En Tunisie, l’arrestation du candidat Nabil Karoui bouleverse la campagne présidentielle

Le magnat de l’audiovisuel est accusé de « blanchiment d’argent » et d’« évasion fiscale ». Il figure parmi les favoris du scrutin dont le premier tour est prévu le 15 septembre.

C’est un tournant dans la campagne électorale en vue du scrutin présidentiel en Tunisie, dont le premier tour est prévu le 15 septembre. Le flamboyant et controversé magnat de la télévision Nabil Karoui, candidat figurant parmi les favoris selon les sondages, a été arrêté vendredi 23 août dans le cadre d’une affaire d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent.

L’arrestation a eu lieu à un péage autoroutier à une soixantaine de kilomètres de Tunis, alors que Nabil Karoui retournait d’une visite à Béja (nord-ouest) où il avait supervisé l’ouverture d’un bureau local de son parti Qalb Tounes (« cœur de la Tunisie »). Une trentaine de policiers l’ont interpellé pour le conduire à la prison de Mornaguia proche de la capitale, en vertu d’un mandat de dépôt émis par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Tunis.

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L’arrestation de Nabil Karoui alourdit l’atmosphère politique alors que le petit pays d’Afrique du Nord, pionnier et seul rescapé de la vague des « printemps arabes » de 2011, est sur le point d’entrer en campagne pour un double scrutin – présidentiel et parlementaire – censé consolider sa transition démocratique. « Une telle arrestation est dangereuse pour le processus démocratique en Tunisie, a aussitôt dénoncé Sadok Jabnoun, membre du comité politique de Qalb Tounes. Cela rappelle de mauvais souvenirs aux Tunisiens. »

Un peu plus tard dans la soirée, le parti a publié un communiqué dénonçant l’« enlèvement » de M. Karoui assimilé à une « pratique fasciste » et appelant la population à « s’unir pour arrêter cette bande dirigeante qui a dépassé toutes les limites en abandonnant les coutumes,
les lois démocratiques et les principes des droits de l’homme ».

La « lutte contre la misère », son cri de ralliement

Nabil Karoui, 56 ans, a créé la surprise ces derniers mois en s’imposant comme un « outsider » bousculant le jeu des partis établis, dans un contexte de désenchantement de l’opinion publique à l’égard de la politique. La plupart des instituts de sondage le classaient en tête des intentions de vote. Issu du monde de la publicité, M. Karoui avait lancé sa chaîne de télévision Nessma en 2007 sous le régime de Zine El-Abidine Ben Ali, avant de connaître de notables succès d’audience après la révolution de 2011.

Proche de l’ex-président de la République Béji Caïd Essebsi, décédé le 25 juillet avant la fin de son mandat, M. Karoui avait mis sa chaîne au service des intérêts électoraux du parti Nidaa Tounès, fondé en 2012 par M. Essebsi sous la bannière du « modernisme » hostile au camp islamiste. Avant l’été, celui qu’on a souvent présenté comme un « Berlusconi tunisien » avait décidé de convertir sa notoriété, due notamment à des activités caritatives soigneusement mises en scène sur ses écrans, en capital électoral en vue du double scrutin de l’automne. Lire aussi la nécrologie : Le président Essebsi, symbole des ambivalences de la révolution

Il avait entamé une précampagne en sillonnant les villages pauvres de la Tunisie intérieure auxquels il multipliait dons et cadeaux au nom de la « lutte contre la misère », thème dont il fait son cri de ralliement. Inquiet par sa percée dans les sondages, le gouvernement de Youssef Chahed avait inspiré l’adoption à la mi-juin d’une nouvelle loi électorale écartant de facto M. Karoui de la course à la présidentielle. L’initiative avait toutefois fait long feu en raison du refus de l’ex-chef d’Etat Béji Caïd Essebsi de signer avant son décès la promulgation du texte.

Le dossier judiciaire qui lui vaut aujourd’hui l’arrestation remonte à une plainte déposée contre lui en 2016 par I-Watch, association tunisienne affiliée à Transparency International, pour blanchiment d’argent et évasion fiscale. Après un long silence, l’affaire a opportunément été réactivée ces dernières semaines. Le 8 juillet, Nabil Karoui et son frère Ghazi, auquel il est associé depuis le début de leur carrière dans la communication, étaient inculpés par un juge d’instruction qui avait également décidé le gel de leurs avoirs et l’interdiction de voyager. Les deux frères avaient interjeté appel.

Vendredi matin, la chambre d’accusation auprès de la cour d’appel de Tunis a non seulement refusé l’appel mais a en outre émis un mandat de dépôt visant les deux inculpés. « La motivation politique de cette décision ne fait pas l’ombre d’un doute », selon Nezih Souei, l’un des avocats de Nabil Karoui. Il n’aura en tout cas fallu que quelques heures pour appliquer le jugement au bord d’une autoroute.

Frédéric Bobin (Tunis, correspondant)

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