EMIGRATION / DIASPORAINTERNATIONAL

Ibrahim, migrant sénégalais en Libye : « Dans les prisons, j’ai vu plusieurs personnes battues à mort sous mes yeux »

InfoMigrants a reçu le témoignage d’Ibrahim, un jeune migrant sénégalais de 20 ans bloqué en Libye depuis trois ans. Vendu et torturé dans les prisons libyennes, il dit être « fatigué de cette vie » et songe à renter dans son pays.

Ibrahim* à 20 ans. Il a quitté le Sénégal fin 2016 avec l’espoir de rejoindre l’Europe. Fils aîné de la famille, le jeune homme voulait subvenir aux besoins de ses proches, notamment sa mère qui est malade. Ibrahim revient pour InfoMigrants sur ces trois années passées en Libye rythmées par les arrestations, les tortures, les tentatives de traversée de la mer Méditerranée et les déceptions. Témoignage.

« Je ne peux pas tout raconter car il y aurait trop de choses à dire, j’ai vu trop d’atrocités ici. La Libye, c’est pire que l’enfer !

Quand je suis arrivé fin 2016 dans le pays, j’ai d’abord été enfermé un mois par des Libyens à Sabha, au sud de la Libye. Nous étions cinq personnes dans un petit conteneur. Chaque jour, nos geôliers nous frappaient et appelaient nos familles. Sous les coups, j’appelais ma mère, qui m’entendait crier, pour lui demander de m’envoyer de l’argent afin de sortir de là. Ma mère pleurait à l’autre bout du fil, c’était très dur.

Un ami de la famille a payé ma rançon pour que je sois libéré.

« Chaque jour on te torture »
J’ai ensuite payé un passeur pour rejoindre la capitale libyenne mais le chauffeur m’a déposé à Bani Walid, au sud de Tripoli. J’ai compris plus tard que j’avais été vendu. J’ai été directement envoyé en prison. Bani Walid, c’est le pire endroit sur terre. C’est là-bas que j’ai vécu les pires moments de ma vie.

Chaque jour on te torture : on te frappe avec des tuyaux ou on te met des décharges électriques sur le corps. Là encore, ils appelaient nos familles pour leur demander de l’argent en échange de notre libération.

Plusieurs personnes ont été battues à mort sous mes yeux. Les corps sont ensuite enterrés dans le désert. J’ai moi-même été obligé de le faire, sous la menace d’armes. Si tu ne fais pas ce qu’ils disent, ils te tuent.

Les femmes disparaissent de la prison de 19h à 7h du matin, elles sont violées toutes les nuits à l’extérieur. C’est très difficile pour nous les hommes, mais pour les femmes c’est encore pire. J’ai vraiment pitié pour elles.

Ma mère a payé la rançon, soit 2 000 dinars libyens (environ 1 200 euros, NDLR), et j’ai quitté la prison deux mois après mon arrivée.

J’ai ensuite rejoint Tripoli où j’ai travaillé dans un café pendant sept mois. J’avais réuni assez d’argent pour payer le passeur qui me ferait traverser la mer Méditerranée.

« On a marché toute la nuit pour rejoindre Tripoli »
Fin 2017, je suis allé à Sabratha (ville côtière libyenne où de nombreux départs de migrants sont organisés, NDLR). On était des centaines de personnes parquées dans un campo. On ne faisait rien de nos journées à part attendre de prendre la mer.

Après cinq mois sur place, j’ai décidé de rejoindre Zouara car les trafiquants de Sabratha avaient été arrêtés par la police et on savait qu’aucun départ n’aurait lieu.

À Zouara, j’ai travaillé sur des chantiers. Là-bas, tu sors dans la rue et tu peux trouver du travail dans le bâtiment. J’ai passé beaucoup de temps dans cette ville afin de réunir assez d’argent pour payer le passeur.

Fin 2018, j’ai donc pris la mer avec une centaine d’autres personnes dont des femmes et des enfants. Après deux jours et deux nuits en mer, on craignait de mourir noyés, on a appelé les garde-côtes libyens qui sont venus nous chercher et nous ont emmenés dans la prison de Tajourah.

À Tajourah, la détention se passe un peu mieux qu’à Bani Walid. Là-bas, on ne te frappe pas tous les jours. On te frappe seulement si tu fais des ‘erreurs’ comme bavarder avec ton voisin par exemple. Moi, je n’ai reçu aucun coup dans cette prison.

Une nuit, deux mois après mon arrivée, on a cassé la porte de la cellule avec d’autres détenus et on a réussi à s’enfuir de prison. Les gardes n’étaient pas là.

On a couru et on a marché toute la nuit pour rejoindre Tripoli. On ne s’est pas arrêté une seule fois car on avait trop peur d’être arrêtés par les Libyens et renvoyés en prison.

« Je suis fatigué de cette vie »
Avec l’aide de travailleurs nigériens rencontrés dans la capitale libyenne, j’ai appelé un ami sénégalais qui vivait à Tripoli et travaillait comme mécanicien. Il est venu me chercher et m’a hébergé plusieurs mois dans son appartement.

Il m’a aussi donné de l’argent pour payer le passeur. Comme la première tentative avait échoué, je devais repayer pour retenter ma chance. J’ai repris la mer depuis Gasr Garabulli (ville située à une soixantaine de kilomètres à l’est de Tripoli, NDLR) mais j’ai été une nouvelle fois intercepté par les garde-côtes libyens et envoyé dans la prison de Tarik al-Sikka, à Tripoli.

Je ne suis pas resté longtemps car mon ami sénégalais chez qui je m’étais réfugié a encore payé pour ma libération. Je suis resté quelque temps chez lui, la journée je travaillais dans un café.

Depuis le mois de décembre, je suis dans un campo de Gasr Garabulli, dans l’attente de rejoindre l’Europe. L’arabe qui doit nous faire passer nous avait promis qu’il y aurait un départ hier mais c’était faux. Il dit que la mer est trop agitée.

J’en peux plus d’être ici, tu manges qu’une seule fois par jour, il fait très froid en ce moment, on n’a nulle part ou s’allonger pour dormir. Je suis fatigué de cette vie.

Si aucun départ n’est bientôt organisé je vais m’enfuir et retourner dans la capitale. Au mois là-bas, tu peux trouver à manger.

Cela fait trois fois que je paye pour traverser la mer, j’ai tout perdu. Je me demande même si je vais ne pas rentrer chez moi car ici c’est trop compliqué. Mais Inch’Allah, nos rêves seront réalisés un jour. »

*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page