POLITIQUE

«IL FAUT DECONSTRUIRE LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE COLLEE A L’ELECTION PRESIDENTIELLE !»

Pour le commun des Sénégalais, le Conseil Constitutionnel n’est là que pour l’élection présidentielle. A savoir déclarer que tel ou tel est élu. C’est pourquoi, profitant du séminaire tenu à l’intention de la presse par le Conseil constitutionnel, en fin de semaine dernière à Saly, le professeur Babacar Kanté est revenu sur les enjeux de la justice constitutionnelle. Il a appelé à la déconstruction de « cette notion de justice constitutionnelle collée à l’élection présidentielle »

L’ancien vice-président du Conseil constitutionnel, Pr Babacar Kanté, a informé, lors du séminaire, que dans les grandes démocraties, la justice constitutionnelle n’est pas une justice chargée d’arbitrer le contentieux électoral et de proclamer les résultats des élections présidentielles.

« Quand vous prenez la décision Marbury et Madison qui constitue la matrice de ce qu’on appelle la jurisprudence constitutionnelle, c’est un fait que l’on pourrait considérer comme banal. Juste un magistrat qui a été nommé par une majorité politique déterminée. Sauf que, avant la notification de la décision, la majorité a changé. Il s’est agi de savoir s’il avait droit à une notification de la décision ou bien, du fait du changement, aurait-on pu ne pas le confirmer à son poste ? », a explosé d’emblée l’éminent juriste.

Selon le professeur de droit, la question qui se pose était la suivante. Est-ce que dans un Etat fédéral, on peut considérer qu’il y ait des Etats fédérés qui votent des lois et que ces lois ne soient pas compatibles, ni conformes à la Constitution et pourtant que le juge puisse les appliquer ?

Selon le Pr Kanté, le juge Marshall a utilisé le terme de suprématie de la constitution. « Donc la Justice constitutionnelle est une justice qui tend à garantir la suprématie de la constitution. Je ne parle pas de supériorité. Je ne parle pas de priorité. S’il y a deux mots que je voudrais retenir, c’est la suprématie de la constitution ou la primauté de la Constitution sur tout autre texte. J’insiste là-dessus parce que je veux déconstruire cette notion de justice constitutionnelle collée à l’élection présidentielle.

Pour ma part, je suis totalement révolté parce que la justice constitutionnelle n’est pas là encore une fois pour déclarer qui est proclamé élu. Elle est fondamentalement là pour défendre les droits fondamentaux » a clairement énoncé le professeur de Droit à la retraite, Babacar Kanté.

A l’en croire, l’office du juge constitutionnel est de faire en sorte que toute loi votée par les représentants du peuple puisse être conforme à la constitution.

« Encore une fois, je ne voudrais pas qu’on définisse la justice constitutionnelle comme la justice chargée de proclamer tel président élu, cela est une faiblesse consubstantielle de nos pays et que je dénonce fondamentalement. On oublie que c’est d’abord une justice chargée de défendre les droits fondamentaux des citoyens. Est-ce que les droits reconnus dans la constitution sont reconnus par la loi ? C’est là l’enjeu de la Justice constitutionnelle », dit-il.

Par ailleurs, il indique que le fameux débat entre Conseil constitutionnel et Cour constitutionnelle n’a aucun sens, aucun intérêt. Parce que si l’appellation avait de l’importance, on pourrait dire que les juridictions constitutionnelles de l’espace lusophone n’ont pas la même dignité, parce que simplement, dans ces pays, on les appelle des tribunaux, renseigne-t-il.

Conseil Constitutionnel et Cour Constitutionnelle

Selon le Pr Babacar Kanté, un Conseil comme celui de la France, par exemple, a un rang de Cour constitutionnelle. D’abord parce qu’on a formalisé la procédure devant le Conseil constitutionnel, ensuite parce qu’il est le protecteur des droits fondamentaux. Depuis que le Conseil est protecteur, il joue dans la cour des grands, c’est-à-dire qu’il est de fait une cour.

« C’est le contexte qui façonne sur le plan institutionnel la configuration de la juridiction constitutionnelle. Le contexte politique du Sénégal est assez particulier. On a tendance à oublier qu’en 1974 déjà, la Cour suprême annulait allègrement des décisions du président de la République. Et c’était Léopold Sédar Senghor.

En 1975, il y a eu un arrêté interministériel pour annuler une publication, la Cour suprême annulait cette interdiction. Il y a eu un président de la République qui a nommé son neveu administrateur civil, l’Association des administrateurs civils s’est réunie et a saisi la Cour suprême qui a annulé le décret. Je rappelle ces éléments pour montrer que le Sénégal n’est pas parti de zéro en créant sa juridiction constitutionnelle », a ajouté le Pr Kanté.

Avant de poursuivre : « Je donne ces exemples, pour revenir à cette question d’indépendance, je suis toujours frappé quand on parle de cette indépendance comme si le Sénégal était parti d’aujourd’hui. Il y a eu une étudiante de 20-21 ans à peine qui a été exclue de l’université. Elle a eu le courage d’aller à la Cour suprême et avait obtenu gain de cause. La CS avait dit au président de la République : Il n’appartient pas à une autorité politique quel que soit son rang d’exclure un étudiant de l’université. Il appartient aux assemblées de l’université de le faire. ».

Selon l’ancien vice-président du Conseil constitutionnel, le Sénégal est un contexte particulier par rapport au Bénin. « Quand vous discutez avec les membres de la Cour constitutionnelle du Bénin, ils vous disent que « nous avons connu 40 ans de dictature. Pendant ces 40 ans, absence totale d’Etat de droit. Notre rôle, c’est d’être le rempart contre le recours à l’arbitraire.

Le modèle du Sénégal n’est pas celui du Bénin parce qu’il y a le contexte qui joue. J’ai fait 6 ans, jamais le conseil n’a été saisi du Budget de l’Etat. Est-ce que quelqu’un peut me dire s’il y a un acte plus important ? », conclut-il.

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