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Incendies dans les camps de migrants : « Beaucoup de feux sont provoqués par des branchements électriques sauvages »

Incendies dans le camp de Moria, en Grèce, de Lipa, en Bosnie, de Nijar, en Espagne, de Napier, en Angleterre… Ces derniers mois, de nombreux feux se sont déclarés dans des camps de migrants un peu partout en Europe, détruisant totalement ou partiellement leurs espaces de vie. Si certains sont criminels, la majorité de ces incendies sont accidentels, arguent les ONG.

Le 9 septembre 2020, un gigantesque incendie ravageait le camp de Moria, sur l’île de Lesbos en Grèce, détruisant les habitations – vétustes – des 13 000 migrants qui y (sur)vivaient. Quatre mois plus tard, à des centaines de kilomètres de là, un autre immense incendie se déclarait : cette fois-ci à Lipa, en Bosnie. Il balayait le camp laissant près de 1 500 personnes sans toit, en plein hiver, sous des températures glaciales.

Les semaines suivantes, d’autres feux se déclarent : l’un dans le camp de Nijar, dans le sud de l’Espagne, un autre à Thèbes non loin d’Athènes, un autre encore dans le camp de Kara Tepe à Lesbos ou dans la caserne de Napier en Angleterre. Dernièrement, le 10 mars, un incendie a été signalé dans un immeuble abandonné de Thessalonique, en Grèce. Trois migrants y ont perdu la vie.

Des migrants fuient l'incendie du camp de Moria, en Grèce, en septembre 2020. Crédit : Reuters

Depuis, les enquêtes policières se sont enchaînées et les premières explications sont arrivées : certains incendies ont été allumés volontairement. Deux Afghans ont ainsi été reconnus coupables le 9 mars d’avoir déclenché les feux de Moria. Ils ont été condamnés à cinq ans de prison ferme.

Désespoir et colère

Quatorze migrants ont également été arrêtés fin janvier suite à l’incendie d’un bâtiment du centre de Napier au Royaume-Uni. Ils sont accusés d’avoir délibérément mis le feu au centre. En Bosnie, les investigations sont toujours en cours pour déterminer les causes de la destruction du camp de Lipa, mais la police laisse peu de place au doute. « Nous supposons qu’il s’agit d’un acte criminel et que des résidents du camp en sont à l’origine », avait déclaré un porte-parole de la police, Ale Siljdedic, quelques heures après l’incendie.

Le camp de Lipa a été détruit par un incendie le 23 décembre. Début janvier 2021, près d'un millier de personnes migrantes vivaient toujours dans ce camp malgré le froid et la pluie. Crédit : REUTERS/Dado Ruvic

Généralement, ces feux criminels s’expliquent par le désespoir – et la colère – de migrants entassés depuis des mois, voire des années, dans des camps insalubres ou dans des bâtiments surpeuplés sans aucune perspective d’amélioration de leurs conditions de vie.

A Moria comme à Lipa, la dignité des migrants était constamment mise à mal : l’accès à l’eau potable, à des sanitaires, à des soins médicaux, à un toit décent n’étaient pas – ou si mal – assuré. Dans la caserne anglaise de Napier, des témoignages ont fait état de migrants « à bout », se disant « abandonnés » par les pouvoirs publics.

Une partie du centre de Napier a été incendié vendredi 29 janvier. Crédit : Care4Calais

« Brûler du bois sous des tentes face au froid extrême »

Contactées par InfoMigrants, les ONG présentes dans les différents camps européens reconnaissent que les incendies d’origine criminelle existent mais elles estiment qu’ils restent minoritaires.

Selon les associations, les départs de feux – plus ou moins importants et pas toujours relayés dans les médias – sont souvent provoqués par des imprudences. Généralement, ils sont le fait de migrants voulant cuisiner ou se réchauffer sous leurs tentes.

Un incendie a détruit une partie du camp de Vathy sur l'île de Samos, en Grèce, au mois de novembre 2020. Crédit : Ayhan Mehmet/AA/Picture-alliance

« A Lesbos, dans le camp de Kara Tepe, nous avons comptabilisé quatre feux le mois dernier, et à Samos, dans le camp de Vathy, il y a eu cinq feux depuis le mois de mars 2020 », énumère Dora Vangi, responsable de la communication pour Médecins sans frontières (MSF).

« On ne peut pas toujours savoir quelles sont les causes de ces feux mais ce que l’on sait, c’est que […] lorsque les gens doivent faire face seuls au froid extrême en brûlant du bois à l’intérieur des tentes pour se chauffer ou pour cuisiner, pour avoir quelque chose de chaud à manger […] alors les incidents comme les incendies ne sont pas une surprise. »

Et MSF d’insister : « Ces feux ne sont pas nouveaux, en tout cas, pas à Lesbos et Samos. Il y en a toujours eu. Peut-être sont-ils mieux documentés aujourd’hui… ».

Câbles électriques défectueux et branchements sauvages

Les câbles électriques défectueux et les branchements sauvages augmentent aussi les risques d’incendies. « Beaucoup de feux ont pour cause des dysfonctionnements électriques, parce que les branchements sont mal faits et qu’ils sont exposés sans protection au vent, à la pluie, aux éléments naturels », développe encore Dora Vangi. « Ces incendies sont surtout traumatisants pour les migrants. » Au mois de février, un incendie dans le camp de Thèbes, au nord d’Athènes, avait provoqué la mort d’un enfant de 6 ans.

Les flammes ont ravagé une partie du camp de migrants de Nijar, dans le sud de l'Espagne, samedi 13 février. Crédit : Capture d'écran de la BBC

A Nijar, dans le sud de l’Espagne, la police joue elle aussi la carte de la prudence. Les causes de l’incendie qui s’est déclaré dans la soirée du 13 février dans le camp de travailleurs immigrés sont pour l’heure inconnues. Ce qui est certain, c’est que les tôles en plastique des cabanons de fortune ont favorisé une propagation très rapide des flammes. Deux cents personnes se sont retrouvées sans abri et ont perdu leurs biens.

Même son de cloche du côté de l’Organisation internationale des migrations (OIM) en Bosnie. Selon l’institution onusienne, le récent incendie, au mois de janvier, qui a partiellement détruit le centre d’accueil de Blazuj, en banlieue de Sarajevo, était un accident.

« Il arrive que les migrants débranchent certains câbles pour y mettre leur chargeur de téléphone portable à la place. Cela peut provoquer des problèmes d’incompatibilité à cause des différences de voltage et, avec la neige ou la pluie, cela peut créer des accidents », développe Laura Lungarotti, responsable de l’OIM dans la région. « Nous organisons régulièrement des exercices anti-incendie et des exercices d’évacuation. » Le centre surpeuplé de Blazuj accueille actuellement plus de 3 000 personnes, pour une capacité maximale de 2 400 places.

En Bosnie, des migrants font des feux dans les tentes pour se réchauffer. Crédit : REUTERS/Dado Ruvic
En Bosnie, des migrants font des feux dans les tentes pour se réchauffer. Crédit : REUTERS/Dado Ruvic

« Ces incidents montrent que les camps ne sont pas sûrs »

Plutôt que de se focaliser sur les coupables de ces actes, les ONG insistent sur la recherche de solutions. « Ces incidents montrent surtout que de tels camps ne sont sûrs pour personne. Les gens doivent être déplacés dans d’autres États de l’Union européenne. »

En France, depuis le démantèlement de la ‘jungle’ de Calais et l’incendie du camp de la Linière à Grande-Synthe, en 2017, aucun feu n’a été répertorié. Pour François Guennoc, directeur de l’Auberge des migrants dans le nord du pays, la raison est simple : « En France, il n’y a plus de camps, en tout cas, il n’y a plus d’immenses campements comme ceux de Lesbos ou ceux en Bosnie. A Calais et à Grande-Synthe, les migrants sont aujourd’hui dispersés. Ils vivent par petits groupes dans différents endroits cachés [sur le littoral nord]. Quand il n’y a pas de camps, il n’y a pas d’installations électriques, il y a donc peu de risques d’incendie. »

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