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Interdiction des abayas: En France être un musulman « visible veut dire devenir étranger » (Tariq Ramadan)

AA/Nice

Le débat autour de l’interdiction de l’abaya en milieu scolaire, fait rage en France depuis le printemps dernier mais s’est davantage tendu avec la rentrée scolaire.

Dans un contexte politique particulièrement marqué par les considérations identitaires, la France apparaît très fracturée, et radicalise son application et sa lecture de la laïcité.

Le professeur Tariq Ramadan, qui enseigne auprès des jeunes générations et aborde ces questions depuis des décennies, est revenu, auprès d’Anadolu, sur son analyse de la situation.

Il identifie plusieurs points majeurs, susceptibles d’expliquer la mise en œuvre de mesures restrictives visant principalement la minorité musulmane en France.

– La « distraction stratégique » d’un Exécutif aux abois

Si beaucoup ont évoqué une diversion orchestrée par le gouvernement pour détourner l’attention des masses, Tariq Ramadan pointe lui aussi un lien entre l’apparition de cette polémique et le contexte politique du pays.

« Le pouvoir est très diminué, n’a pas de majorité parlementaire et est, d’une certaine façon, dans un travail d’attraction de l’attention par rapport à l’extrême-droite », note l’islamologue suisse.

Qualifiant l’interdiction de l’abaya de « distraction stratégique », il rappelle que « pendant toute l’année dernière, la France a eu un ministre de l’éducation nationale, supposé être la représentation de la diversité (Pap Ndiaye), avant d’être finalement débarqué au bout d’une année ».

« Le problème de l’école en France, n’est pas lié à la visibilité de certains élèves mais bien à des difficultés liées au nombre d’enseignants, à leurs salaires, aux structures scolaires et à la réalité de certaines zones prioritaires qui n’ont pas la possibilité de répondre aux défis de l’éducation » égrène Tariq Ramadan.

De ce fait, il considère que la diversion opérée par le gouvernement vise à utiliser « l’Islam comme distraction stratégique pour déplacer le centre de gravité et attiser des émotions et amoindrir les idées ».

– La visibilité des musulmans et leur intégration au centre du débat

Beaucoup d’observateurs dénoncent depuis des années, les polémiques ciblant les communautés musulmanes, et qui s’attaquent en réalité à leur visibilité.

Cette analyse est naturellement partagée par Tariq Ramadan qui note que « le discours français est en train de s’enfermer dans l’instrumentalisation de tout ce qui relève de l’expression de la visibilité d’une présence » et conclut que « visible signifie devenir étranger ».

« Dès qu’un musulman, dès qu’un noir, dès qu’un arabe a une visibilité dans la société, ça veut dire que sa visibilité exprime la non-intégration ou le refus de son intégration et son étrangeté » poursuit le professeur pour qui ce raisonnement conduit « à la stigmatisation » contrairement « à ce qui se passe dans les autres pays du monde où la visibilité est perçue comme un signe qu’on s’installe et pas qu’on refuse » l’intégration.

S’agissant des différences de traitement entre les jeunes filles musulmanes et les non-musulmanes au sujet du port de l’abaya, Tariq Ramadan fustige des « situations sidérantes où il a été demandé à des jeunes filles de l’enlever pour conclure que si elles ne peuvent pas l’enlever, ça veut dire que c’est religieux ».

« À partir d’une expression culturelle qui dépasse le fait religieux, on va essayer de trouver des prétextes, ou des biais de confirmation qui sont liés à la religion, à la couleur de peau et à une attitude morale de refuser de l’enlever » poursuit l’enseignant, pointant « une détermination beaucoup plus présente que pour le foulard puisque ça illustre un problème, non pas avec le vêtement ample mais avec les arabes et l’Islam ».

– Quelle attitude pour les jeunes musulmanes ?

Selon les informations recueillies par Anadolu depuis la rentrée scolaire, des dizaines d’élèves ont été évincées de leurs établissements et enjointes à aller changer de tenue vestimentaire pour avoir porté des abayas, des kimonos ou encore des chemises longues.

Certaines sont tellement affectées qu’elles refusent de retourner en classe, tandis que d’autres, se sont pliées aux injonctions, pour ne pas se retrouver au cœur d’incidents qui pourraient les dépasser et faire d’elles de véritables épouvantails.

« Ceux qui veulent faire tomber les jeunes filles dans un piège d’affirmation fière de leur identité, vont ensuite l’instrumentaliser pour affirmer qu’ils montrent un problème » analyse à cet effet Tariq Ramadan, considérant qu’il est question ici d’utiliser « les principes des musulmans contre leur présence ».

L’islamologue plaide par ailleurs pour « avoir l’intelligence non pas de rapporter le discours dominant, mais de prendre conscience qu’à l’intérieur de la société française, les gens ne sont pas dupes ».

« Ce qui est en train de se créer, c’est un noyau de personnes qui comprennent que ce qui se passe est absolument délirant. Et ce noyau s’agrandit » grâce notamment « aux voix discordantes et au dialogue avec les concitoyens » qui permettent de « faire ressortir l’excès » des courants identitaires, conclut enfin Tariq Ramadan qui plaide pour agir « avec confiance et patience ».

À noter qu’au-delà de l’analyse politique de la situation des élèves musulmanes en France, plusieurs procédures juridiques sont en cours pour tenter de faire condamner le dirigeants d’établissements qui se seraient livrés à des discriminations religieuses liées au port de vêtements amples.

Mais en dépit des dérives, le ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, interrogé mardi par Anadolu, a assumé sa décision, et assuré que les équipes éducatives « ne distinguent pas les élèves selon leur religion ».

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