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La crise du logement : Les Sénégalais face à un déficit d’habitations et à la hausse des loyers, depuis des décennies

Des réformes de complexification ont accentué l’inefficacité de l’arsenal juridique. En 2014, l’échec du système de régulation des loyers a été exprimé par le législateur sénégalais. Le président Macky Sall fait ainsi adopter la loi 2014-03 visant à baisser le prix des loyers des logements, n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée. S’en suivront deux décrets 2014- 143 /144 qui apportent des modifications à la méthode de calcul des loyers.


La crise du logement : Les Sénégalais face à un déficit d’habitations et à la hausse des loyers, depuis des décennies

En 2022, face à la crise mondiale du coût de la vie et à la non-atteinte des objectifs de 2014, malgré les efforts déployés dans la mise en œuvre, le président Macky Sall, annonce un autre projet de loi visant à baisser le prix des loyers.

I. Les causes de l’échec du système de régulation des loyers

– Evolution de la population

La population du Sénégal est caractérisée par une croissance forte, l’accroissement démographique de 1961 à 2021 est évalué à 13 millions d’habitants. La région de Dakar qui s’étend sur 550 km, soit 3% du territoire national, concentre plus de 22% de sa population. La répartition des habitants est disparate entre les différents départements, celui de Guédiawaye est fortement peuplé, alors que Rufisque a 6 fois moins d’habitants par km², comparé à la moyenne régionale.

Prolifération de normes juridiques de plus en plus complexes

• Depuis le Code des Obligations civiles et commerciales, l’Etat tente de réguler l’immobilier locatif par divers mécanismes juridiques. De 1976 à ce jour, 6 lois ont été promulguées ainsi que 9 décrets et 1 circulaire ont été appliqués, dont certains abrogent ou modifient des lois et des décrets en vigueur, dans le but d’encadrer la fixation du prix des loyers des locaux à usage d’habitation.

Les règles de calcul des loyers à usage d’habitation sont définies par un décret qui précise que le montant du loyer est fixé par rapport à l’évaluation faite de la valeur de l’immeuble ; un taux plafond selon la catégorie, est à appliquer à la valeur réelle du bien pour en connaitre la valeur locative annuelle.

Un autre décret fixe le barème du prix des terrains nus et bâtis, applicable pour la détermination du loyer des locaux à usage d’habitation et pour le calcul de l’indemnité d’expropriation pour cause d’utilité publique.

Le décret de 2014 modifie la classification des différentes catégories sans mentionner la modification ou l’abrogation du décret n° 2010-439 fixant le barème du prix des terrains nus et des terrains bâtis.

Non-application des méthodes de calcul par les structures étatiques

• L’établissement public à statut spécial, la Caisse des Dépôts et de Consignation du Sénégal commercialise des terrains à 500 000 FCfa le m² dans l’arrondissement des Almadies, le barème évalue cette zone à 100 000 FCfa le m². Le prix de vente appliqué est 5 fois plus élevé que le barème en vigueur.

La SICAP a commercialisé des appartements de 140m² à 75 000 000 CFfa dans les lotissements de liberté, soit 535 714 FCfa le m². D’après les méthodes de calcul en vigueur, cet appartement est évalué à 32 millions FCfa, avant application du coefficient de correction de la surface.

Le prix de vente appliqué par la société étatique SICAP, est plus de 2 fois plus élevé que le barème.

Défaut d’actualisation du barème de calcul par l’Etat

Cette analyse comparative des prix démontre que la valeur estimative du barème est largement en dessous des prix du marché de l’immobilier. Depuis son introduction, le barème a été actualisé 2 fois, en 1988 et en 2010 or la loi prévoit une révision tous les deux ans. Par conséquent, ce défaut de réactualisation contribue à aggraver le décalage entre la réalité du marché immobilier et l’encadrement des prix de loyer à usage d’habitation.

Le bailleur est le propriétaire, l’investisseur qui met son bien à disposition d’un locataire, en contrepartie du paiement d’un loyer. Dès lors que ce dernier achète le bien à un prix complètement déphasé du barème défini, il sera difficile de lui faire appliquer la loi en vigueur.

II. Les solutions : Plus de logements et une simplification des normes

L’exposé établi en amont, montre que : – Le système de régulation des loyers est complexe voire impénétrable pour la majeure partie de la population et décalé de la réalité du marché immobilier au Sénégal – Les structures étatiques définissent leur prix de vente de terrains, de villas et d’appartements indépendamment du barème en vigueur – L’accroissement de la population est conséquent or la répartition de la population est déséquilibrée dans les différents départements de Dakar

A court terme, garantir une applicabilité des normes :
– Actualiser le barème du prix des terrains et respecter la fréquence de révision conformément à la loi,
– Veiller à faire respecter les règles en vigueur par les structures étatiques afin d’en faire des exemples dans l’application des mesures visant à réguler les loyers.

Sur le long terme, mener un travail de fond avec le Ministère en charge de l’Habitat : – Conduire une réforme profonde afin de simplifier et centraliser l’ensemble de textes juridiques autour de l’immobilier pour en garantir une meilleure compréhension et protéger les bailleurs et les locataires de manière efficace ;

– Définir des loyers de référence par zone de manière pragmatique et dynamique, et permettre sa consultation rapide grâce à la digitalisation à l’exemple d’une carte interactive des prix au mètre carré ;

– Sensibiliser les acteurs de l’immobilier par le biais de compagnes publicitaires ;

– Augmenter l’offre de logements à Rufisque pour accroitre le taux d’occupation dans le département : Accélérer les livraisons des logements dans le cadre du programme des 100 000 logements pour atteindre 20 000 logements par année,

– Développer un système de logements locatifs sociaux destinés à des personnes à revenus modestes qui ont des difficultés à se loger sur le marché libre, ou faciliter l’accès à la terre en augmentant les cessions du foncier pour répondre au besoin de logements dans la région de Dakar.

Aissatou Diaw
Directrice Générale TOCALE Immobilier
contact@tocale.com

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