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La cuisine, un héritage au service du spirituel dans la famille de Serigne Babacar Sy

Tivaouane, 31 mars (APS) – La gestion de la cuisine familiale par les femmes, en appoint aux pratiques cultuelles, est un héritage qui se transmet de mère en fille dans l’entourage de Serigne Babacar Sy, fils et premier khalife de Seydi El Hadj Malick Sy, un des propagateurs de la confrérie tidiane au Sénégal.

Sokhna Astou Kane, surnommée ‘’Borom wagn-wi’’ (maîtresse de la cuisine, en langue nationale wolof), doit sa réputation dans la cité religieuse de Tivaouane, une localité de la région de Thiès (Ouest) moins au fait d’être l’épouse de Serigne Babacar Sy qu’à son art culinaire au service de la confrérie.

Si le fondateur de la cité religieuse de Tivaouane, devenue capitale sénégalaise de la tidiania, s’est imposé en son temps par son érudition dans les sciences islamiques, son premier successeur s’est distingué comme le gardien de l’orthodoxie tidiane, fixant à jamais les bases de la formation spirituelle des fidèles.

Guide religieux charismatique doublé d’un meneur d’hommes, Serigne Babacar Sy a inspiré la création des ‘’dahiras’’, ces groupements religieux qui, aujourd’hui encore, essaiment dans le pays, pour assurer la formation spirituelle des fidèles de la confrérie.

Pour l’accomplissement de sa mission, le premier khalife de Maodo a eu besoin de l’investissement à ses côtés de son épouse dévouée et engagée.

« Borom Wagn-wi » apportait sa contribution par sa bonne cuisine qui ravissait toujours autant l’entourage immédiat du khalife que les simples fidèles, raconte Sokhna Rokhaya Mbaye, qui poursuit avec ses sœurs Sokhna Nafissatou et Sokhna Kala Mbaye, l’œuvre de  leur défunte grand-mère.

Première gérante du  »Wagn-wi », Sokhna Astou Kane faisait aussi de l’élevage et cultivait de la pomme de terre. Grâce aux revenus tirés de ces activités, elle dépensait sans compter pour faire la cuisine, au grand bonheur de son époux de khalife et de ses disciples.

Sa piété et sa conduite exemplaires impressionnaient et inspiraient un grand nombre de dignitaires et de fidèles, visiteurs occasionnels ou habitués de la table de Serigne Babacar Sy, raconte sa petite-fille.

Pendant de longues années, et jusqu’à son rappel à Dieu en 1965, les notables de la confrérie, les adeptes et les populations de Tivaouane  ont goûté aux mets généreusement servis par Sokhna Astou Kane.

Après sa disparition, sa fille Sokhna Oumou Khaïry Sy a hérité de la cuisine familiale. Dans la lignée de Sokhna Astou Kane jusqu’à sa petite-fille Sokhna Rokhaya Mbaye, qui porte aujourd’hui le flambeau culinaire dans la famille, la cuisine est devenue à la fois un élément de filiation et d’allégeance spirituelle.

Sokhna Astou Kane avait très tôt transmis la passion de la cuisine et des travaux ménagers à Sokhna Oumou Khaïry Sy, une des filles qu’elle a eues avec Serigne Ababacar Sy, en l’initiant à l’art culinaire, dont les exigences et les codes n’étaient pas un secret pour elle.

Dans le cocon familial, elle avait reçu, comme il est de coutume dans de nombreuses familles religieuses, une formation traditionnelle musulmane.  Parallèlement aux travaux ménagers, qui sont un art de vivre, elle avait appris d’abord le Coran auprès de son père, avant de s’orienter vers des activités de tissage, de teinture et de maraîchage.

Donner à manger, un acte de dévotion 

Suivant les traces de sa mère, Sokhna Oumou Khaïry Sy avait veillé à impliquer ses filles dès leur bas âge à la tenue de la  cuisine familiale.

Se basant sur les recommandations islamiques, Sokhna Oumou Khaïry Sy s’employait plus que d’ordinaire à servir les personnes démunies, pendant le Ramadan, le mois du jeûne musulman.

Durant cette période, elle supervisait toujours la préparation de trois repas différents (‘’lakh’’ (bouillie de mil), ‘’tiéré’’ (couscous) et riz), ne lésinant pas sur ses moyens pour contenter ses convives.

Elle en préparait en si grande quantité qu’on avait l’impression qu’il en resterait, raconte Sokhna Daba Mbaye. Mame Marème Diop Makhtar, mère de feu Bassirou Diagne, ancien Grand Serigne de Dakar, l’interpellait souvent en ces termes : « Sokhna Oumou Khaïry Sy, tous ces plats que nous préparons vont rester ici ». Pourtant, elle en faisait toujours autant ou plus le lendemain.

Faire à manger était comme un acte de dévotion pour Sokhna Oumou Khaïry,  »Borom Wagn-wi » qui, même malade, refusait de garder le lit. Il lui arrivait souvent de prendre ses médicaments devant la cuisine pour tenir et continuer à superviser la cuisson des plats, se souvient encore sa fille.

Une vie dédiée à la cuisine bénie par Serigne Babacar Sy

Elle a contribué à la renommée de cette cuisine. Il se dit que Sokhna Oumou Khaïry Sy se réveillait toujours dès l’aurore et ne se retirait dans ses appartements privés qu’après avoir supervisé la cuisine et le service des trois repas journaliers.

Par les plats succulents qu’elle servait aux milliers de talibés qui débarquaient à Tivaouane pour des visites de courtoisie à leurs guides, elle participait à la vie de la confrérie.

Ses frères Serigne Cheikh Ahmad Tidiane Sy  »Al Maktoum », Serigne Abdou Aziz Sy “Al Amine” et Serigne Papa Malick Sy s’évertuaient à la convaincre de prendre soin de sa santé en priorité, mais elle leur répondait toujours : ‘’laissez-moi bien m’occuper de la cuisine bénie par notre vénéré père Seydi Ababacar Sy ».

Son fils Serigne Babacar Sy Cissé raconte souvent cette anecdote qui renseigne sur l’attachement de Sokhna Oumou Khaïry à la cuisine. En quittant un jour la clinique Brévier de l’hôpital Principal de Dakar où elle était internée, pour aller faire des analyses, Sokhna Oumou Khaïry s’était arrêtée longuement pour observer la cuisine de l’établissement sanitaire.

Le lendemain, elle dit à son accompagnant : ‘’Ce que j’ai vu hier, ressemble à la cuisine de l’hôpital. J’ai vu qu’il y a des bonbonnes de gaz. Quand je retournerai à Tivaouane après ma guérison, on pourrait voir comment utiliser le gaz dans notre cuisine ».

A son rappel à Dieu le 2 décembre 1991, elle n’a laissé aucun bijou de valeur, malgré ses nombreuses activités économiques jugées très florissantes. Elle a dédié toute sa vie à la cuisine bénie par son père Serigne Babacar Sy.

 »Cette cuisine est une recommandation de Serigne Babacar Sy. Considérez que vous ne serez pas seules à l’entretenir », a dit un jour à Sokhna Rokhaya Mbaye et à ses sœurs, Serigne Abdou Aziz Sy  »Al Amine » qui, réservait un traitement spécial à la gestion de la cuisine.

 »Il ne lésinait pas sur les moyens pour entretenir la cuisine ainsi que toutes les cuisinières. Il nous réservait des surprises inimaginables », se souvient Sokhna Rokhaya Mbaye, actuelle cheffe de la cuisine familiale.

Jusqu’à son rappel à Dieu le 22 septembre 2017, Serigne Abdou Aziz Sy   »Al Amine » s’était toujours distingué par son souci permanent d’une bonne gestion de la restauration.

Les héritières de Sokhna Astou Kane ont préféré renoncer aux avoirs mondains et à tout autre type de privilège auxquels elles pouvaient prétendre en raison de leur statut, pour se consacrer à la sauvegarde de l’œuvre de leur mère et grand-mère.

Soutenue par Serigne Papa Malick Sy, qui de son vivant, avait exhorté ses nièces à  »redoubler d’efforts et de sacrifices pour honorer les défuntes gestionnaires de la cuisine », la patronne de  »Wagnou Sokhna Oumou Khaïry Sy » Sokhna Rokhaya Mbaye, plus connue sous le nom de Daba Mbaye, a pris très au sérieux ces recommandations.

Aujourd’hui, elle se dit réconfortée par le soutien de l’actuel khalife général des tidjanes, Serigne Babacar Sy Mansour, et de celui de ses autres oncles.

 »Tous les petits fils de Seydi Hadj Malick sont conscients de l’importance de la cuisine [Wagne Wi]. Leurs soutiens me (renforcent) tant sur le plan affectif que spirituel », dit Sokhna Rokhaya Mbaye.

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