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La honte ne tue pas en politique au Sénégal

Heureusement la mort ne tue pas en politique au Sénégal sinon nos cimetières seront remplis des cadavres de nos gouvernants, de nos politiciens et beaucoup de nos concitoyens.

Parce qu’il résonne comme un paradoxe, une provocation qui nous oblige à penser. Inscrire d’emblée la honte dans une dimension collective et politique permet de ne pas la réduire à un sentiment de tristesse et de souffrance morale, à ce poison de l’âme qui tue au petit feu de la dévalorisation de soi que beaucoup ont déjà parfaitement décrit en expliquant qu’il fallait s’en débarrasser, en s’en libérant par la parole. Mais la honte, c’est aussi une forme de colère qui déploie l’horizon d’un programme politique. Et à ce titre il parait comme révolutionnaire. Dans le sillage des réflexions de Hannah Arendt sur le cas Eichmann, on soutenait alors que la désobéissance comme acte courageux d’insubordination, supposait avant tout une pensée critique, une reprise réflexive. Mais c’était minorer le rôle des passions dans les luttes ; or la honte, comme rage d’impuissance ou d’indignation explosive, est un moteur des révolutions. On se bat à la fois par honte et pour ne plus avoir honte.

Qu’en est-il alors dans mon cher Sénégal, depuis l’annonce, samedi, par le Chef d’Etat sénégalais de la suspension sine die de l’élection présidentielle prévue le 25 février, marque une rupture avec la longue histoire démocratique du pays ce qui constitue évidemment une honte pour un pays qui s’est toujours distingué pour ses valeurs démocratiques en Afrique.

Dans une Afrique de l’Ouest secouée par les avancées du djihadisme, les coups d’Etat militaires et l’ingérence russe, le Sénégal est une exception. Depuis son indépendance en 1960, l’armée n’y a jamais menacé le pouvoir ; une véritable liberté d’expression y nourrit un débat politique dynamique qui a permis des alternances politiques sereines dans un cadre institutionnel plutôt stable. Les évènements de 1962 n’étaient qu’une parenthèse institutionnelle résultant d’un conflit entre deux personnalités rivales Mamadou DIA et Senghor.

C’est dire si l’annonce surprise, samedi 3 février, par le président de la République, Macky Sall, à trois semaines de l’élection présidentielle prévue le 25 février, de son report sine die, marque une dangereuse rupture avec une longue histoire démocratique. Depuis 1963 au Sénégal, les scrutins présidentiels ont toujours eu lieu à la date prévue.

M. Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, s’était déjà signalé par un comportement alarmant lorsqu’il avait laissé longuement planer le doute sur son intention de briguer un troisième mandat au mépris de la Constitution. En y renonçant formellement en juillet, il semblait avoir entendu la colère de la rue qui, lors d’émeutes réprimées dans le sang en juin, avait manifesté contre cette perspective et contre la condamnation pénale d’Ousmane Sonko, le populaire leader d’un parti anticorruption aux accents et aux élans antifrançais.

L’interdiction brutale de cette formation politique, fin juillet, menant à l’interdiction de candidature de M. Sonko, avait marqué un nouveau raidissement. Le bon score prêté à Bassirou Diomaye Faye, le remplaçant de M. Sonko à la présidentielle, et la piètre performance dans la campagne du premier ministre, Amadou Ba, successeur désigné du président, semble avoir décidé M. Sall à renverser la table.

Pour justifier le report de la présidentielle, Macky Sall prend prétexte de la mise en cause à l’Assemblée nationale, par des élus proches de M. Wade, de l’intégrité des juges constitutionnels qui ont invalidé sa candidature, et semble soutenir cette démarche.

Mr Sall prend ainsi le risque de mettre le feu aux poudres. Quelle honte au moment du départ de laisser son pays à feu et à sang après plus d’une décennie de pouvoir. Un président sortant qui se sert de députés pour mettre en cause les juges chargés de valider les candidatures à sa succession…

En déclenchant cette crise institutionnelle au mépris de la séparation des pouvoirs, Macky Sall dit vouloir éviter des troubles qu’occasionnerait une future élection contestée. Alors que le pays a les nerfs à vif, du fait de ses manœuvres et d’une opposition de plus en plus radicale, dans un contexte de pauvreté endémique où la jeunesse est laissée en rade et sans perspective autre que l’émigration, il risque en réalité de mettre son pays dans une instabilité terrible.

A vrai dire, cette suspension de l’élection présidentielle confirme que la perspective du jeu de la roulette russe Medvedev/Poutine en Russie, déjà évoqué en 2022/2023 dans les colonnes de sunuker.net n’avait plus de chance d’aboutir devant la baisse drastique dans les sondages du candidat du pouvoir Amadou BA.

Et si MACKY nous jouait à la roulette russe de Poutine/Medvedev !

Ainsi dans la précipitation, à la vieille du début de la campagne électorale et avec la complicité du parti démocratique sénégalais et des fourberies de Karim Wade tout est suspendu plongeant le pays dans la surprise et dans des lendemains incertains. Alors que de vrais nationalistes croupissent dans les geôles des prisons sénégalaises.

En témoignent les incidents qui, dimanche déjà à Dakar, ont opposé les forces de l’ordre à des manifestants protestant contre l’annulation du scrutin du 25 février.

Il s’ensuit une annulation de son décret par le conseil constitutionnel lui-même impliqué dans cette affaire d’imbroglio politico-judiciaire. Par-dessus tout et par comble de malheurs ne fixe même pas de nouvelles dates, de nouvelles modalités d’organisations des prochaines élections avant le 2 Avril 2024 fin du mandat du président actuel.

Que dire de ces candidats qui ont juré sur l’honneur d’être exclusivement de nationalité sénégalaise, alors que c’était faux. Quelle honte pour eux et pour ces sénégalais, ces députés qui les soutiennent dans leur forfaiture et leur nihilisme de la nation sénégalaise.

Macky Sall, en n’indiquant aucune date de report, laisse planer la menace de son maintien au pouvoir au-delà de son mandat, qui s’achève le 2 avril. Que le phare de la démocratie dans la région donne pareil signal ne peut qu’inquiéter sur la pérennité du « modèle sénégalais », imparfait mais vivant. Et ravir les militaires qui, dans les pays voisins, choisissent, eux, de rester aux commandes sans plus s’embarrasser de scrutin populaire qui paraît de plus en plus ridicule avec l’expérience du Sénégal.

Hélas, mille fois hélas que faire maintenant ? Il est quasi impossible d’organiser des élections présidentielles avant le 2 Avril 2024. Macky Sall doit quitter le pouvoir à cette date s’il joue le jeu de respecter les règles établies par le peuple sénégalais ou tout simplement de démissionner et laisser la place au président de l’Assemblée Nationale organiser entièrement de nouvelles élections en six mois.

Il faudra en ce moment reprendre tout à zéro et vérifier les candidats surtout dans leur nationalité et supprimer exceptionnellement par une loi ce système de parrainage citoyen qui pourrait rallonger la date de clôture des candidatures.

Vive le Sénégal dans la paix, la dignité, l’honnêteté et aussi dans la prospérité.

Amadou Diallo

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