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La mort, la prison et les incertitudes( Par Adama Gaye)

La mort, la prison et les incertitudes
Par Adama Gaye*

Les moments que nous vivons ont de quoi rendre dérouter l’homme le plus stable mentalement qui soit tant ils charrient des charges de souffrances matérielles, des morts, des privations en tous genre, dont celles de la liberté individuelle, pour être la plus frappante, n’est pas la plus lourde.
Je n’ai pas besoin d’être au Sénégal pour sentir, depuis mon lieu d’exil, ce climat pesant, d’angoisses et d’incertitudes sur son présent et notre avenir.
Qui ne peut le flairer ? Nos actes quotidiens nous auraient trahi. Sous la pression des tensions qui l’entretiennent, il n’est pas inhabituel que nous nous retrouvons, ainsi, sous l’empire des réactions impulsives, instantanées, instinctuelles pour réagir au flot des secousses qu’elles provoquent.
Tout devient précaire. Est-ce parce que nous vivons une atmosphère de fin de règne ? Peut-être.
Ce qui me fait écrire ce texte, en cette fin de journée, c’est le souci de participer à la réduction des haines et des ressentiments ; le rêve de voir un humanisme oublié revenir sur nos rives nationales. Un prétexte : la mort, tragique, de trois membres de l’équipe du groupe de presse, Leral. Des jeunes, partis à la fleur de l’âge. Violemment. Loin de leurs racines territoriales.
Bien qu’ayant souvent été la victime de ses tirs de barrages sans raison, je décide cependant, en ces heures tragiques, ce jour, de lui pardonner ses écarts, de prier pour les victimes et, en ainé, d’inviter les acteurs œuvrant au sein de cette plateforme digitale à participer à la reconstruction du discours harmonieux afin que les fils sociaux, détruits, puissent retrouver leur place au service d’une société solidaire.
La mort est un moment spécial pour les Sénégalais. C’est quand ils se résignent, renvoyant tout à la volonté divine, dans un sursaut métaphysique, et où ils choisissent de ne plus réfléchir à quoi que ce soit. Elle efface tout. C’est le temps du pardon. Celui où la foi dicte de passer l’éponge.
Or, dans le contexte que vit notre pays, la mort devrait plutôt être un temps de réflexion non seulement pour mesurer la vanité de la vie mais avoir un regard critique sur les actes que nous posons, ceux des défunts, pendant notre passage sur terre.
En l’occurrence, c’est le lieu de militer pour que ce métier fantastique qu’est le journalisme cesse d’être pour le pouvoir spécialisé dans la division et l’utilisation des moyens de l’Etat pour ourdir des complots contre ses adversaires en se servant de plateformes médiatiques, prêtes à jouer son jeu, qu’il enrôle sans tenir compte des dégâts qui en résultent dans ses campagnes de destruction et de privation de libertés qu’il réservent à ses adversaires politiques.
La mort, par respect pour Dieu, doit être un moment de remise en question des fragilités humaines et d’amélioration de notre vie en société, notamment dans nos pratiques politiques et nos stratégies de développement.
Je veux être clair : même si aujourd’hui je paie au prix fort le sacrifice d’une vie d’exile, dont la voiture pourrit devant son domicile, qui se tue pour faire face à ses charge, qui est tenaille par les incertitudes, y compris la crainte de mourir en solitude, à l’oubli, loin des siens, simplement parce qu’un pouvoir a eu le tort de me détenir illégalement, avec le soutien bruyant de ses réseaux sociaux, médiatiques, sécuritaires, judiciaires ou autres, il n’empêche que, croyant, je n’ai aucun sentiment négatif contre quiconque a participé à la curée qui me vaut mon sort actuel.
Je pardonne. Et prie. Seulement pardonner sans attirer l’attention sur les effets des actes que posent des sites au service du pouvoir serait ne pas honorer la mémoire des victimes.
Au moment où ces lignes sont couchées, un autre journaliste, un cadet, Pape Ndiaye, que je ne connais pas, fait l’objet d’une menace d’emprisonnement d’un an parce qu’il a affaire à un Procureur qui, au-delà de ses fautes individuelles, veut le faire taire pour des raisons qu’il ne veut pas que nous sachions.
La presse se doit de parler de ces dérives. Il est essentiel que notre démocratie se redresse. Que les détournements cessent d’être couverts par une presse aux ordres. Que notre Quotidien national, Le Soleil, ne nous serve plus, comme ce matin, de UNES qui parlent du beau temps, du soleil, de la mobilisation populaire autour de la visite électoraliste de Macky Sall quand l’actualité était, hier, les jets de pierre sur son convoi à Koungheul, dans le Ndoucoumane. Que les infrastructures routières défectueuses, comme celle sur laquelle ont péri les trois jeunes professionnels des medias ce matin, ne soient plus célébrées en modèles d’une émergence économique inexistante lorsqu’elles sont des routes qui tuent.
Les incertitudes dans le ciel de notre pays, le gâchis qui embrument son avenir, les dettes et la mal-gouvernance qui plombent son présent, cet avion et ce navire de plaisance, pour les beaux yeux d’un amateur de nouba, dictent que nous devenions sérieux sur les affaires de notre nation.

Au lieu de s’énerver ou de nourrir une colère quand par un mot, une formule, un moment d’abandon, qui ne signifient aucun oubli des victimes, on feint d’ignorer que ce dont il s’agit c’est la survie de notre pays, place sur une rampe de violences sanglantes, meurtrières et d’incertitudes qui crispent les attitudes de ses citoyens. Jusqu’à devenir incapables de poser les questions difficiles. En voulant les empêcher au nom d’une émotivité hostile à toute volonté de le tirer d’une impasse qui n’a pas fini de nous surprendre par de tristes nouvelles.
Sommes-nous capables de ce sursaut, sans verser dans la polémique stérile ? Là est l’enjeu. Ce débat dur, contradictoire, même sur les sujets qui fâchent, dans les moments de douleur, aussi, qui assurera la pérennité de notre société. Ne nous trompons pas de combat en versant dans l’attitude dérisoire qui consiste à voir le doigt là où il montre la lune…Les morts des marches, sur les routes, par balles, par déficience dans les hôpitaux, par les détournements des moyens de l’Etat nous invitent avec gourmandise, dans leur silence, à l’oser.
Yes, we can…

Adama Gaye*, Opposant au régime de Macky Sall vit en exil loin du Sénégal.

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