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La Russie et l’Ukraine échangent 35 prisonniers chacun, dont le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov

Négocié en coulisse depuis des mois, cet échange concerne également 24 marins ukrainiens arrêtés par les gardes-côtes russes en 2018 au large de la Crimée.

Tout s’est accéléré ces dernières heures. Le programme d’échange de prisonniers, négocié en coulisse depuis des mois entre la Russie et l’Ukraine, s’est concrétisé samedi 7 septembre. Deux avions transportant 35 prisonniers de chaque côté ont décollé simultanément de Kiev et Moscou et ont atterri peu après midi, heure de Paris. Le cinéaste ukrainien et célèbre prisonnier politique Oleg Sentsov fait partie du convoi, a confirmé une source gouvernementale de Kiev. Volodymyr Tsemakh, un ex-chef militaire des séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine et témoin-clé dans le crash du vol MH17, fait lui aussi partie de l’échange, a ajouté cette source.

Parmi les prisonniers ukrainiens en Russie figurent notamment les 24 marins ukrainiens arrêtés par les gardes-côtes russes en novembre 2018 au large de la Crimée, et deux agents des services secrets ukrainiens SBU, capturés l’an dernier par la Russie, et plusieurs personnes considérées par Kiev comme des prisonniers politiques. Parmi les autres Ukrainiens libérés figurent également le blogueur de 21 ans Pavlo Gryb, le correspondant à Paris de l’agence de presse publique ukrainienne Ukrinform Roman Souchtchenko, le professeur d’histoire Stanislav Klykh, ainsi que Mykola Karpiouk, membre de deux mouvements ultranationalistes.

Préparatifs précipités

Depuis plus d’une semaine, les rumeurs se multipliaient sur l’imminence de cet échange que plusieurs sites d’informations, vendredi 30 août, avaient précipitamment annoncé comme déjà effectif. Depuis, la situation semblait bloquée. Mais le président Vladimir Poutine, jeudi 5 septembre, a lui-même signalé l’intensification des préparatifs.

En marge du forum économique de Vladivostok, il a déclaré qu’« il s’agira d’un échange de plutôt grande ampleur, et que ce sera aussi une bonne étape vers la normalisation [des relations russo-ukrainiennes] ». Sans entrer dans les détails, le chef du Kremlin a expliqué qu’il avait été difficile de choisir quels seraient les individus concernés par cet échange, mais que, « pour des questions d’humanité, nous sommes sur le point d’achever nos discussions ». Article réservé à nos abonnés

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Samedi matin, la télévision d’Etat russe diffusait en boucle les images de deux autocars, aux vitres teintées, quittant la prison moscovite de Lefortovo au milieu des gyrophares d’un important cortège policier. Direction : Vnoukovo, l’un des aéroports de Moscou.

A Kiev, parallèlement, les préparatifs se sont pareillement précipités. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui la semaine passée avait démenti les premières informations sur l’imminence de l’échange, a pris la soudaine initiative de gracier douze Russes condamnés en Ukraine. Une décision annoncée par l’un de leurs avocats à Kiev, tard, vendredi 6 septembre, soit quelques heures avant les préparatifs dans la prison de Lefortovo. Au même moment, les prisonniers ukrainiens ont eux-mêmes, de leur côté, été regroupés.

Du côté des prisonniers en Ukraine figurerait une majorité… d’Ukrainiens. Parmi eux : le journaliste russo-ukrainien Kyrylo Vychynsky, directeur de l’agence de presse russe RIA Novosti à Kiev, arrêté l’année dernière, inculpé de « haute trahison » et accusé de soutenir les séparatistes prorusses. Il avait finalement été remis en liberté conditionnelle mercredi 28 août. La liste pourrait aussi inclure des paramilitaires ayant participé au conflit dans le Donbass et des déserteurs de Crimée, militaires ukrainiens ayant rejoint l’armée russe lors de l’annexion de la péninsule, en 2014.

Suspect-clé dans l’affaire du vol MH17

Le plus grand flou concerne Vladimir Tsemakh, arrêté le 27 juin lors d’une spectaculaire opération des services secrets ukrainiens dans le territoire rebelle prorusse de la « République populaire de Donetsk ». Cet Ukrainien, commandant séparatiste, ancien de l’armée soviétique, a été inculpé de « terrorisme » par un tribunal de Kiev, une charge habituellement utilisée contre les rebelles. Mais c’est son rôle dans le crash du Boeing MH17 de la Malaysia Airlines, le 17 juillet 2014 (298 morts), qui semble avoir motivé son arrestation. A la surprise générale, un tribunal de Kiev l’a remis jeudi 5 septembre en liberté conditionnelle. Le Kremlin aurait exigé qu’il fasse partie de l’échange de prisonniers. C’est pourtant « un suspect-clé » dans l’enquête sur le drame du vol MH17, ont protesté 40 députés européens qui ont appelé Volodymyr Zelensky à ne pas l’extrader vers la Russie.

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Le crash du MH17 trouble l’échange de prisonniers entre l’Ukraine et la Russie

Côté russe figureraient dans la liste Nikolaï Karpiouk, Vladimir Balikh, Pavel Grib et d’autres Ukrainiens condamnés en Russie. Mais au centre de cet échange, Oleg Sentsov représente, de loin, la personnalité la plus emblématique. Emprisonné dans le Grand Nord russe, le cinéaste ukrainien a d’abord été discrètement transféré la semaine dernière à Moscou. Arrêté en mai 2014 en Crimée après avoir protesté contre l’annexion de la péninsule par la Russie, condamné en août 2015 à vingt ans de prison pour « terrorisme » mais aussi « trafic d’armes » après un procès qualifié de « stalinien » par Amnesty International, Oleg Sentsov exigeait depuis du Kremlin sa libération et celle des autres prisonniers ukrainiens en Russie.

Le réalisateur, peu connu avant son arrestation mais très engagé politiquement, a fait en 2018 une grève de la faim de 145 jours. Elle a été suivie dans l’indifférence générale en Russie même. Mais sa cause est depuis devenue internationalement célèbre.

Nicolas Ruisseau (Moscou – correspondance)

lemonde.fr

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