COIN DES COUPLES

La vie à deux, une construction délicate qui pousse au dépassement de soi

Deux personnes sur trois sont en couple. Moteur d’engagement, d’affirmation de soi et de soutien mutuel, la vie à deux est aussi un chemin semé d’embûches.
Julien Gracq disait du couple qu’il était «chose plus compliquée et plus confondante que l’harmonie des sphères». Et en effet, si l’on en croit les fantasmes qu’il génère encore, il ne paraît guère plus simple qu’à l’époque du poète. À la fois puissant fantasme – chacun cherchant Le ou La partenaire idéal(e) avec qui il sera enfin possible d’emménager et de vivre longtemps heureux – et objet de crainte ou de rejet – les histoires d’amour finissant mal en général…-, le couple ne cesse d’interroger.

Peut-être est-ce parce que les fictions – romans, films, séries – se sont depuis toujours concentrées sur les mille et une occasions de souffrir qu’y rencontrent les partenaires ; les trains «qui arrivent à l’heure» n’intéressant, paraît-il, personne, les bénéfices de la vie à deux sont souvent passés à l’arrière-plan. Pourtant, lorsqu’une certaine harmonie a été trouvée, ils existent bel et bien. Cela s’observe sur différents plans: physique, psychologique et, bien sûr, relationnel.

Des bienfaits observés sur la santé

Les études les plus récentes se concentrent sur l’état de santé de ceux qui vivent en couple, notamment mariés et hétérosexuels. Elles ont permis de découvrir que ceux-ci mouraient moins de cancer, de maladies cardiovasculaires, et souffraient moins de dépression que les célibataires. Les chercheurs attribuent cette meilleure santé des couples mariés au soutien mutuel continu qu’ils s’apportent, ceux-ci partageant de nombreuses activités. Ils s’encouragent l’un l’autre à faire cesser les mauvaises habitudes (addictions…) et à initier et poursuivre les bénéfiques (régimes, activité physique…). La mise en commun des ressources économiques est aussi un facteur de mieux-être (1).

«Vivre à deux rend possible une initiation sexuelle sur le long terme. Auparavant, cette dimension était minorée, mais depuis les années 1970, elle occupe une place prépondérante» 
Bernadette Bawin-Legros, coauteure de Le Couple rythmé par ses crises

Il y a quelques années, une enquête de l’Insee avait fait grand bruit (2). On y apprenait en effet que ceux qui vivent en couple avaient davantage de chances de vivre plus longtemps, et en bonne santé, que les célibataires. Pour les partenaires entre 40 et 50 ans, la vie à deux s’avérait presque «magique», le taux de mortalité s’y trouvant deux à trois fois moins élevé que chez les personnes vivant seules.

Autre dimension physique – normalement – favorisée dans une vie de couple: l’équilibre sexuel. «Vivre à deux rend possible une initiation sexuelle sur le long terme, rappelle la sociologue Bernadette Bawin-Legros, coauteur avec la psychothérapeute Hannelore Schrod, de Le Couple rythmé par ses crises. Auparavant, cette dimension était minorée, mais depuis les années 1970, elle occupe une place prépondérante». Avoir un partenaire privilégié permettrait de faire grandir l’intimité, la connaissance de soi et de l’autre dans l’union sexuelle, et donc le plaisir. Rester en couple suppose donc qu’on l’a trouvé.

Le couple pousse à se dépasser

Qui dit couple dit, à durée plus ou moins longue, expérience de l’énamoration, une transformation psychique et émotionnelle précieuse que le sociologue Francesco Alberoni a explorée. «Lorsqu’on tombe amoureux, l’autre apparaît toujours plein d’une vie débordante, écrit-il dans son best-seller Le Choc amoureux. Il est en effet l’incarnation de la vie dans l’instant de sa création, dans son élan, la voie vers ce que l’on n’a jamais été et que l’on désire être.»

C’est donc ainsi que «poussent des ailes» aux amoureux. Qu’ils se retrouvent à monter des projets jusque-là insensés ou à envisager des changements de vie majeurs, période de «lune de miel» psychique qu’il sera bien utile de se remémorer lorsque les difficultés de la vie en «ménage» arriveront. S’il y a toujours autant de candidats à cette expérience amoureuse, c’est peut-être parce qu’elle agit bien comme une drogue dure, nous poussant à nous dépasser. «Nous n’avons jamais autant qu’aujourd’hui rêvé à l’amour», nous rappelle le sociologue Jean-Claude Kaufmann qui, depuis des décennies, étudie les enjeux du couple.

Plusieurs niveaux d’engagement

Lorsque l’impression d’avoir trouvé le bon ou la bonne partenaire de jeu conjugal s’impose, il s’agit alors de «s’engager», affaire complexe qui suscite chez certains autant de doutes que de joie, leur faisant goûter aux affres de l’ambivalence.
Une équipe de psychologues de l’université de Californie a montré l’importance de la qualité de cet engagement sur la durée du couple. «Quand les personnes disent: “je suis engagé dans cette relation”, ils peuvent signifier deux choses différentes», observe Benjamin Karney, qui a co-dirigé cette étude menée auprès de 172 couples mariés depuis plus de onze ans (3). Premièrement: «j’aime beaucoup cette relation donc je souhaite la poursuivre». Ou bien: «je suis engagé à faire ce qu’il faudra pour faire marcher la relation», ce qui implique un niveau d’engagement plus profond, et permettant de prévoir moins de risques de ruptures et de problèmes conjugaux.

«Quand les conflits arriveront dans votre couple, serez-vous prêt à faire ce que vous n’avez pas envie de faire? Vous lèverez-vous à deux heures du matin pour nourrir le bébé? Voilà ce à quoi permet de répondre ce deuxième type d’engagement»,précise le psychologue Thomas Bradbury. Pour les chercheurs, les couples engagés à ce niveau, où il s’agit de faire plus de sacrifices, se montreront, même lorsque les choses tournent mal entre les deux partenaires, plus habiles à trouver des solutions dans leur vie quotidienne et à rendre leur mariage heureux.

Accepter de tisser un «monde commun»

Grâce à cet engagement du début, les partenaires peuvent affronter leurs peurs et les dépasser en étant soudain capables de faire un vrai choix. Puis, peu à peu, ils doivent apprendre à délimiter leur territoire commun, à construire ensemble tout en se préservant un espace personnel… sans violence ni récrimination, c’est mieux!

«Choisir un conjoint, c’est toujours faire le choix d’une certaine mutation intérieure»
Jean-Claude Kaufmann, sociologue

«Il faut savoir que choisir un conjoint, c’est toujours faire le choix d’une certaine mutation intérieure, analyse Jean-Claude Kaufmann. Et s’engager, ensuite, est une réelle mise en mouvement personnelle. Car le couple ne sera viable que si l’on accepte de rentrer dans le monde de l’autre pour tisser peu à peu, et jour après jour, un monde commun.»
Ainsi, vous êtes-vous déjà demandé quelle personne vous seriez devenue si vous aviez vécu avec un autre partenaire? Même notre manière de cuisiner (modifiée par les recettes de cuisine de sa famille, les goûts auxquels l’autre nous initie…) est renouvelée parce que nous vivons avec lui, sans parler de notre lieu d’habitation, notre famille lorsqu’il y a des enfants… Ainsi, à chaque couple sa création originale.

Le couple, une occasion de se transformer en profondeur

Il s’agit donc de se lier sans perdre son identité, de construire une communauté sans délaisser sa propre évolution… «Freud a révélé que le fait même d’être en couple demande de céder sur sa satisfaction autocentrée qui nous isole de l’autre», rappelle la psychanalyste Christiane Alberti. Exercice de haute voltige, parfois, qui oblige à davantage de tolérance, et surtout à l’acceptation de la différence.

Car si, au départ, on veut «du même», peu à peu, chacun doit bien se rendre compte des différences de son partenaire. «C’est d’ailleurs cette part toujours mystérieuse de l’autre qui nourrit le désir, ajoute la psychanalyste. Ce qui est essentiel, aujourd’hui, c’est comment chacun s’arrange à sa façon avec un partenaire qui ne correspond jamais parfaitement à son idéal». Cela, cette manière de s’accommoder de ce qui est imparfait (différent) chez l’autre, est aussi une rare occasion de se transformer soi-même en profondeur.

«Ce qui est essentiel, aujourd’hui, c’est comment chacun s’arrange à sa façon avec un partenaire qui ne correspond jamais parfaitement à son idéal»
Christiane Alberti, psychanalyste

Car pour beaucoup l’union amoureuse permet de repérer, prendre conscience et dépasser les relations dysfonctionnelles inconsciemment mises en place. Florence Lautrédou, psychanalyste, explore dans son essai L’Amour, le vrai, à travers huit histoires, ces véritables enjeux qui font de la vie de couple une occasion rare et précieuse de «guérir»: «tel est pris dans son passé, tandis que sa compagne est maternante et motivée par des projets ; telle souffre d’abandon tandis que l’autre a besoin d’air, explique l’auteur… Tant que les partenaires ne reconnaissent pas ces forces obscures à l’œuvre dans leur couple, tant qu’ils se laissent téléguider par elles, ce qui n’est pas réglé, à la moindre crise, risque encore de s’aggraver… et cela, même s’ils changent de partenaire!»

«Le couple est un lieu de production émotionnelle privilégiée, estime dans le même sens la psychothérapeute familiale Hannelore Schrod, allant même jusqu’à le qualifier de «meilleure thérapie qui soit». «Vivre à deux est l’acte le plus créatif que l’on puisse poser dans la vie, ajoute-t-elle, car à partir de lui peut s’enclencher la réparation individuelle de chacun.»

Vers une réinvention du couple?

«Il y a une sorte de nouvelle fonction thérapeutique de l’amour conjugal qui me semble devenue essentielle»
Jean-Claude Kauffmann, sociologue

De nombreux thérapeutes familiaux considèrent en effet que les couples ne sont pas uniquement constitués de deux personnes. Symboliquement, chacun arrive dans la vie conjugale avec les mythes hérités de ses propres parents, voire ceux rapportés de ses unions précédentes… et il s’agit alors d’inventer un mythe nouveau. «Jusque là, observe Hannelore Schrod, lorsqu’on s’unissait à un autre, on portait inconsciemment les valeurs héritées de mythes familiaux anciens: l’idée qu’il faut rester ensemble, solidaires, assumer la sécurité familiale, s’entraider… Mais aujourd’hui, dans le couple contemporain, c’est comme si l’on devait s’aider réciproquement à s’épanouir!»… Lire plus sur sante.lefigaro.fr

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