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Le Maroc dans la course au vaccin anti-Covid-19

Lemonde

Philippe Escande

Par Sandrine Berthaud-Clair et Ghalia Kadiri

Monté à la hâte début septembre dans le centre hospitalier universitaire (CHU) Ibn Rochd de Casablanca, le chapiteau de toile blanche était passé inaperçu jusqu’à cette annonce surprise du cabinet royal, lundi 9 novembre. Le Maroc s’apprête à lancer une opération massive de vaccination contre le coronavirus. Mais le chemin est encore long avant une vaccination de masse.

Sous la grande tente du CHU, l’équipe du professeur Kamal Marhoum El Filali, chef de service des maladies infectieuses, procède jusqu’au 15 novembre aux dernières prises de sang qui permettront de vérifier le niveau d’immunité acquise par les 200 volontaires qui participent à la phase 3 de tests du candidat vaccin du chinois Sinopharm. Un essai vaccinal pour lequel le Maroc a signé un partenariat le 20 août et auquel participent l’Egypte, les Emirats arabes unis, Bahreïn, la Jordanie, le Pérou ou encore l’Argentine. De quoi rassembler une cohorte de plus de 50 000 participants. Et une première pour le royaume. Lire aussi Covid-19 : où en sont les expérimentations de vaccins ?

Ce mardi d’octobre, une vingtaine de jeunes hommes et de femmes, badge autour du cou, patientent en silence. Principalement issus des services de sécurité, ils ont été tenus au secret et ont interdiction de communiquer avec les médias. Courant septembre et octobre, ils ont reçu deux doses du vaccin à trois semaines d’intervalle, selon le protocole de Sinopharm. Aujourd’hui, c’est la dernière étape. Tour à tour, ils passent derrière d’épais rideaux, où des infirmières prélèvent des échantillons sanguins. La même opération est réalisée au CHU Avicenne de Rabat et à l’hôpital militaire de la capitale. En tout, 600 ressortissants du pays se sont prêtés à ces essais en double aveugle. « Nous avons encore des prélèvements à effectuer pour analyser les anticorps et nous assurer ainsi de la réponse immunologique, indique l’infectiologue, qui coordonne l’expérimentation à Casablanca depuis plus de deux mois. Mais on peut déjà dire qu’il est bien toléré. Les patients ont été surveillés de très près. »

« Envergure inédite »

Quant à la future campagne de vaccination, présentée comme une opération d’une « envergure inédite » par le cabinet royal, elle visera en priorité « les personnels de première ligne » comme les soignants, les autorités publiques et les forces de sécurité, ainsi que les « personnes âgées ou vulnérables au virus », avant d’être élargie à tous les adultes, selon le communiqué. Lire aussi A Marrakech vidé de ses touristes, « c’est comme si la carte postale était déchirée »

Dans le milieu hospitalier, l’empressement du gouvernement à annoncer une campagne qui ne pourra pas se faire avant plusieurs mois, laisse dubitatif. « Avoir un vaccin, c’est une chose, organiser une campagne massive, c’en est une autre !, confie un médecin de Casablanca, sous couvert d’anonymat. Il faut déjà préparer le terrain, identifier les zones de vaccination et les ressources humaines qui vont s’en occuper. Et puis surtout convaincre la population. Ce n’est pas demain la veille ! ». Ce sera d’autant plus compliqué que les autorités ambitionnent de vacciner 80 % des citoyens de plus de 18 ans, soit plus de 20 millions de Marocains, à raison de deux doses par personne.

A Casablanca, le 28 mai 2020.

Si aucune date ni origine du vaccin ne sont précisées dans le communiqué officiel, l’accord sino-marocain pour les essais de phase 3 prévoit la livraison de 10 millions de doses au royaume avant la fin de l’année en cas de résultats probants. Le ministre de la santé, Khalid Ait Taleb, a par ailleurs confirmé qu’un accord a également été signé le 18 septembre avec le britannique AstraZeneca sous pavillon européen, prévoyant la fourniture de 17 millions de doses, plus 3 millions supplémentaires en option, ce qui porterait la capacité du Maroc à vacciner entre 13,5 et 15 millions de personnes à raison de deux doses par personne. Enfin, selon la presse marocaine, le gouvernement est actuellement en négociation avec les laboratoires Pfizer, Johnson & Johnson et CanSino Biologics pour augmenter encore la couverture de sa population. Article réservé à nos abonnés Lire aussi Pfizer relance l’espoir d’un vaccin rapide contre le Covid-19

Malgré ces options sur les approvisionnements, l’heure n’est donc pas à une vaccination de masse avant le début de l’année 2021. Même si Sinopharm a fait savoir dans un communiqué mercredi que les résultats obtenus suite aux essais cliniques « sont meilleurs que prévu », pour le laboratoire chinois comme pour AstraZeneca ou Pfizer, seuls les analyses des phases 1 et 2 (sécurité et tolérance du produit) ont été publiées dans des revues scientifiques. Une fois la phase 3 bouclée et après analyse de son efficacité, il faudra encore passer la barre de l’homologation par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), seule habilitée à donner son feu vert à un laboratoire, quel qu’il soit, pour une fabrication à grande échelle. Et face à l’emballement dans la course aux vaccins et aux annonces qui se succèdent depuis l’été, l’agence onusienne a tenu à rappeler que cette homologation est l’aboutissement de « procédures rigoureuses ».

Urgences

Mais, pour le Maroc, l’urgence est bel et bien là et le gouvernement en a bien conscience. Urgence sanitaire d’abord car le pays est confronté à une recrudescence de la pandémie. Le royaume, qui comptabilise 270 626 cas de contamination au coronavirus et 4 506 morts dues au Covid-19 depuis le début de la crise sanitaire, a enregistré ces derniers jours des chiffres records avec plus de 5 000 nouveaux cas quotidiens de contamination. Actuellement, 42 690 personnes sont des cas « actifs », dont 959 en réanimation, accentuant la pression sur les hôpitaux déjà rudement mis à l’épreuve.

Urgence économique ensuite puisque le Maroc est officiellement entré en récession fin juin et que la croissance menace de baisser de presque 7 points par rapport aux prévisions de début d’année. Selon les statistiques gouvernementales, près d’un Marocain sur deux est aujourd’hui au chômage et le revenu des ménages a été divisé par deux. Lire aussi A Marrakech vidé de ses touristes, « c’est comme si la carte postale était déchirée »

Urgence commerciale enfin. Car, en signant un accord de partenariat avec le géant chinois, le royaume chérifien se fait une place dans la course à la fabrication du vaccin sur son sol, après avoir assuré un approvisionnement rapide à sa population dès l’autorisation d’urgence de mise sur le marché du vaccin chinois. « L’essai vaccinal a été introduit au Maroc dans un cadre global de coopération stratégique qui comprend l’essai vaccinal lui-même, l’approvisionnement, a détaillé le ministre de la santé Ait Taleb sur le média Radio 2M, le 28 septembre, mais aussi le transfert technologique pour que le pays devienne un producteur de vaccins. »

Le continent en ligne de mire

Avec en ligne de mire la possibilité à terme de produire pour d’autres pays du continent.Car l’industrie pharmaceutique marocaine, parmi les plus dynamiques du continent avec celles de l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Kenya, l’Egypte, la Tanzanie, a les moyens de son ambition. Avec ses 33 sites de production et ses 40 enseignes, le royaume fabrique environ 70 % de sa demande intérieure tout en exportant entre 8 % et 10 % de sa production, notamment vers l’Afrique subsaharienne.

Le ministre de la santé a d’ores et déjà annoncé sur Média 24 que la Cité Mohammed VI Tanger Tech avait été retenue pour développer l’expertise marocaine dans le transfert de technologie prévu pour une production durable, si le coronavirus devait devenir endémique et nécessiter des campagnes régulières de vaccination, comme pour la grippe saisonnière. Lire aussi Les géants de la pharmacie misent sur l’Afrique

En attendant cette seconde phase de production, le Maroc a d’ores et déjà la capacité industrielle de mettre en flacons la matière première du vaccin et même de faire ce que l’on appelle dans le jargon pharmaceutique du « fill and finish » pour produire plusieurs millions de seringues préremplies. La société Sothema, seule à avoir ce type de chaîne de fabrication déjà en activité, avait inauguré en janvier 2019 à Bouskoura trois nouvelles unités de production d’actifs anticancéreux pour le Maroc et le reste du continent. De bonne source, l’industriel, qui a conseillé le gouvernement marocain dans la mise en place de l’essai vaccinal chinois, a été approché ces derniers jours par le géant chinois Sinopharm.

Sandrine Berthaud-Clair(Casablanca, envoyée spéciale) et Ghalia Kadiri(Casablanca, correspondance)

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