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Le parrainage en question. Comment sortir de l’impasse ?

Comme tout le monde le constate aujourd’hui, le processus électoral sénégalais traverse de sérieuses difficultés à cause du parrainage. Certains acteurs politiques sont allés jusqu’à proposer sa suppression pure et simple. Mais, faisons attention et gardons-nous de jeter le bébé avec l’eau de bain !

Le problème qui se pose avec le parrainage, c’est moins son principe que son application. En revisitant l’histoire du parrainage au Sénégal, on s’aperçoit qu’il a revêtu plusieurs formes. Au début de notre indépendance en 1960, il fallait recueillir la signature de dix (10) parrains qui étaient des élus, pour pouvoir participer à l’élection présidentielle. C’était à l’époque du parti unique ou unifié. Les élections présidentielles de 1963 à 1973 ont été remportées par Senghor, avec des scores qui frôlaient les 100%.

L’autre forme de parrainage que notre pays a connu plus tard avec l’avènement du Code électoral consensuel de 1992, admettait la participation des candidatures indépendantes à certaines élections seulement – présidentielles et législatives.

Quelques années plus tard, en 1986, cette forme parrainage a été élargie à tous les types d’élections (présidentielles, législatives et locales). Ce parrainage pour les candidatures représentant des personnalités  indépendantes,  est dit citoyen, pour être différencié des candidatures provenant des partis politiques légalement constitués qui ont un statut juridique spécifique, avec la loi n° 81- 17 du 6 mai 1981, qui fixe les règles relatives à la création et au fonctionnement des partis politiques. C’est la raison pour laquelle, il leur était demandé, d’avoir un certain nombre de signatures d’électeurs représentant au moins dix mille (10 000) inscrits domiciliés dans six régions à raison de cinq cents (500) au moins par région, pour justifier leur représentativité, pour pouvoir candidater aux élections.

Mais, pour contourner cette disposition, certains candidats indépendants ont imaginé une stratégie consistant à se soustraire de la tâche de collecte des signatures en s’abritant derrière le récépissé de « petits partis », moyennant diverses transactions (financières ou autres)  pour candidater aux élections.  Finalement, on a assisté à une homogénéisation entre toutes  les candidatures.

C’est cette réalité qui a poussé les acteurs politiques à s’accorder sur la nécessité de généraliser finalement la pratique du parrainage citoyen à « toute candidature à une élection, présentée par un parti politique légalement constitués, par une coalition de partis politiques légalement constitués ou une entité regroupant des personnalités indépendantes » (Art L. 57 du Code électoral).

Si on tient compte de la définition très élastique du candidat indépendant dans le Code électoral, « celui qui n’a jamais milité dans un parti ou qui a quitté son parti pendant un (01) an au moins » (art L. 57), on peut considérer que tous les Sénégalais sont potentiellement des candidats indépendants car l’immense majorité de la population ne milite dans aucun parti.

L’extrême engouement que nous constatons aujourd’hui dans la course effrénée sur la route des candidatures aux élections mérite réflexion. Si des mesures de rationalisation ne sont pas prises pour réguler le jeu électoral, il arrivera un moment où il sera absolument impossible d’organiser matériellement des élections au Sénégal.

Notre pays compte aujourd’hui plus de 300 partis légalement constitués. Les listes aux différentes  élections  ne cessent d’augmenter de façon exponentielle. Pour les quatre dernières locales par exemple, le tableau est le suivant : 1150 listes en 2002, 1600 listes en 2009, 2709 listes en 2014 et 3300 listes en 2022. Pour les législatives du 31 juillet 2017, il y avait 47 listes en compétition et lors de la dernière élection présidentielle du 25 février 2019, il y avait 139 candidats à la candidature. Finalement 05 (cinq) seulement ont été validées par le Conseil constitutionnel à cause du filtre du parrainage. (Le Quotidien du 18 décembre 2018). 

On constate que même les personnes qui ont déjà des responsabilités enviables et enviées veulent encore en avoir, au moment où beaucoup de citoyens, singulièrement les jeunes de moins de vingt-cinq ans, qui représentent plus de 65% de la population, peinent à trouver un emploi.

Le parrainage citoyen apparaît aujourd’hui, comme un impératif majeur si nous voulons que les élections dignes de ce nom soient organisées. Il est devenu  incontournable dans notre pays, pour deux raisons majeures : d’une part, les conditions matérielles de management des élections et, d’autre part, leur coût exorbitant pour les contribuables sénégalais.

Les leçons de la simulation faite par l’ONG 3D le 19 juin 2017 gardent encore leur actualité. Il a  été établi qu’avec 47 listes aux législatives du 30 juillet 2017,  à raison de 4 minutes seulement par électeur, dans un bureau de vote de 300 électeurs, le vote n’allait matériellement pas pouvoir se dérouler, conformément à la loi électorale  qui dispose que « le vote dure un seul jour et il a lieu un dimanche » (art L. 63).  Cela signifie que n’eût été la décision du Conseil constitutionnel, de permettre à chaque électeur de choisir 5 bulletins de son choix sur les 47 pour voter, tous  les citoyens sénégalais n’auraient pu s’acquitter de leurs devoirs civiques.

Pour ce qui concerne le coût des élections, on a pensé que la caution pouvait servir de moyen pour limiter les candidatures fantaisistes. C’est ainsi que de trois (3) millions de FCFA de 1960 à 1988 (présidentielles et les législatives couplées), elle est passée à six (6) millions en 2000, puis à vingt-cinq (25) millions en 2007 et à soixante-cinq (65) millions en 2012, pour tomber à 30 (trente) millions à la présidentielle de 2019.

Et lorsque le représentant du PDS a été interpellé sur la somme de 100 millions qu’il avait proposée  lors de la concertation sur le montant de la caution pour la  présidentielle du 26 février 2012, à l’hôtel Ngor Diarama le 29 août 2011, la réponse servie était que les élections étaient devenues très couteuses sur le budget de l’Etat. Dans la synthèse des travaux de la concertation, le ministre en charge des Elections et les techniciens avaient effectivement confirmé que le coût des élections est devenu de plus en plus élevé. Selon eux, la présidentielle de 2000, par exemple,  « avait coûté à l’Etat entre 250 et 300 millions par candidat » (voir Le Soleil  du 30 août 2011).

Pour ces deux raisons seulement, le parrainage citoyen se justifie amplement. Dans son principe, il ne saurait être question de le « brûler » purement et simplement. Tous les acteurs du jeu politique doivent se mettre autour de la table, pour discuter des modalités d’application du parrainage.

Malheureusement, le rythme rapproché entre la présidentielle 2012, les territoriales de 2014, le référendum constitutionnel du 20 mars 2016, les législatives du 31 juillet 2017, l’élection présidentielle du 25 février 2019, les territoriales du 23 janvier 2022 et les législatives du 31 juillet 2022, n’a pas permis à la « classe politique », de mener des échanges approfondis sur les règles du parrainage et les modalités sa mise en œuvre.

Cependant, il faut rappeler que dans le cadre des travaux du « Cadre de Concertation sur le Processus Électoral » (CCPE), qui se sont tenus du 12 décembre 2017 au 02 février 2018, sous la présidence de l’Ambassadeur Saïdou Nourou Bâ, des débats passionnants et passionnés ont opposé les différents acteurs électoraux sur la question du parrainage, mais des divergences nettes et profondes étaient apparues et le débat, qui n’a pu aller jusqu’à son terme, a été suspendu et la séance levée. Le Rapport général des travaux du CCPE a mentionné ce fait : « Le premier point relatif au « parrainage » a engendré une suspension des travaux, en raison des profondes divergences de positions exprimées » (p. 10).

C’est donc ensemble que nous devons rechercher les solutions pour apaiser la  tension politique. La question qui se pose maintenant est :

QUE FAIRE ?

Puisque nous sommes dans la dernière ligne droite qui conduit au démarrage de la campagne électorale dans quelques semaines, toute idée de renvoyer ou même de reculer la date des élections, doit être absolument écartée. Aucune logique n’admet d’avoir préparé des élections pendant deux à trois ans, et les renvoyer à trois semaines de leur tenue. Les élections doivent donc se tenir à terme constitutionnel échu, et l’évaluation du scrutin sera faite conformément à la tradition républicaine de notre pays. Les acteurs du jeu politique devront se mettre autour de la table  de concertation pour discuter de façon sincère et franche, pour corriger et rectifier tout ce qui peut et doit l’être avant la présidentielle 2024.

D’ici la période qui nous sépare du scrutin du 31 juillet,  nous devons : 

  • Eviter la victimisation et le radicalisme politique et veiller au respect des lois et règlements qui encadrent les droits et libertés des citoyens.
  • Ecarter toute idée d‘aller à l’assaut du Palais pour déloger le Président de république démocratiquement élu. 

 Après la proclamation des résultats officiels :  

  • Revoir le calendrier républicain et procéder à une nouvelle revue du Code électoral. Mettre un accent particulier sur les modalités de mise en œuvre du parrainage.
  • Respecter les décisions du Conseil constitutionnel. Eviter de plonger le pays dans un cycle sempiternel d’invectives, et éviter de jouer avec le feu de la violence destructrice, pour permettre à notre peuple de s’engager résolument dans le chemin d’un Sénégal paisible, uni et prospère.

Par Ousmane BADIANE Secrétaire national Chargé des Elections de la Ligue Démocratique (LD)

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