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Le prisonnier d’opinion qui a mis le pouvoir algérien sur le banc des accusés

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Le procès du journaliste et politologue Fodil Boumala, ce dimanche 23 février à Alger, a donné lieu à un véritable réquisitoire contre le pouvoir algérien. Placé en détention préventive depuis septembre 2019 pour «atteinte à l’unité nationale» et «affichage de tracts portant atteinte à l’unité nationale», il risque une année de prison ferme.

C’est un procès marathon qui s’est ouvert dimanche à 11h au tribunal de Dar el Beida (juridiction de l’est de la capitale) et qui s’est terminé à 2h30 dans la nuit. Une audience consacrée exclusivement à Fodil Boumala, journaliste, politologue et activiste politique, interpellé à son domicile le 18 septembre 2019. Poursuivi pour «atteinte à l’unité nationale» et «affichage de tracts portant atteinte à l’unité nationale», il a été placé en détention provisoire à la prison d’El Harrach.

Un premier procès avait été programmé le 9 février, mais il a finalement été au reporté au 23. C’est donc une audience très particulière qui s’est déroulée à Dar-el-Beida puisqu’elle a été marquée par la présence de plus de cinquante avocats venus de toutes les régions du pays, et d’une foule nombreuse. Vêtu d’un costume bleu et d’un pull-over à col roulé beige, Fodil Boumala a été appelé à la barre. Durant près de deux heures, le prisonnier d’opinion s’est livré à un véritable réquisitoire contre le pouvoir politique.

«Je suis prêt à être poursuivi pour tout ce que j’ai écrit ces trente dernières années, si vous trouvez un seul mot qui prouve que j’ai porté atteinte à l’unité du pays, alors j’accepte d’être condamné à mort. Vous êtes restés muets lorsque Bouteflika détruisait l’Algérie. Lorsqu’il est devenu affaibli et menotté, vous avez commencé à vous pavaner en affirmant votre opposition à haute voix. Je ne suis qu’un atome au sein d’un peuple qui cherche la liberté», a lancé Fodil Boumala au juge.  

Le magistrat, impassible, a laissé le prévenu s’exprimer. Dans son allocution, Boumala a invoqué tour à tour Winston Churchill, Omar ibn-Khattab (deuxième calife de l’islam), les martyrs de la révolution algérienne et des personnalités politiques qui ont marqué le pays. Il a précisé qu’il s’était opposé au général Ahmed Gaïd Salah car «il portait une double casquette: une militaire et une politique». Ses propos étaient entrecoupés d’applaudissements, ce qui a eu pour effet de faire réagir le juge qui a menacé, à plusieurs reprises, de faire évacuer la salle.

La longue déclaration de Boumala a été enregistrée et diffusée presque en direct sur les réseaux sociaux.

«Le juge n’a pas posé beaucoup de questions au prévenu, ce qui nous laisse penser que le magistrat n’est pas convaincu de sa culpabilité», a déclaré à Sputnik Me Moumene Chadi, avocat inscrit au barreau de Constantine.

C’est au tour du procureur de prendre la parole. Il a rappelé les chefs d’inculpation et requis une peine d’une année de prison ferme et une amende de 100 000 dinars (770 euros). Après une courte pause, les avocats de la défense ont été appelés à intervenir.

«Le collectif d’avocats a mis en œuvre une stratégie commune visant à démontrer l’existence de six vices de forme, a commencé par l’anticonstitutionnalité de l’action judiciaire. Pour ma part, j’ai basé ma plaidoirie sur une série d’irrégularités dans la procédure de police lors de l’arrestation et de l’interrogatoire. J’ai demandé au procureur pourquoi le ministère public avait accepté des procès-verbaux qui comportaient des anomalies flagrantes», a expliqué l’avocat.

À titre d’exemple, sur le PV de police, l’agent précise que Fodil Boumala «a profité de l’idiotie du peuple algérien» pour mener son activisme politique. Moumène Khelil, le secrétaire général de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH), a expliqué à Sputnik que le procès de Fodil Boumala, tout comme ceux des prisonniers d’opinion incarcérés depuis le début du Mouvement citoyen, est un «moment extrêmement puissant de liberté et d’affirmation politique».

«Je pense que le pouvoir n’a pas évalué l’impact populaire et politique de ces procès. Il n’a pas pris en considération la dimension de mobilisation lors de ces audiences. Ce sont des tribunes politiques, des moments de mobilisation pris en faveur du Hirak. Dans le cas de Fodil Boumala, c’est chèrement payé car il est en prison depuis cinq mois. Il n’est pas le seul: Samira Messouci, Lakhdar Bouregaa et d’autres encore ont affiché leur engagement face à la justice. Ce sont donc des procès intenses du fait des interventions et de la dignité des prévenus et les plaidoiries des avocats», a assuré Moumène Khelil.

Les plaidoiries au tribunal de Dar-el-Beida se sont poursuivies tard dans la nuit jusqu’à 2h30. Les derniers avocats à intervenir ont demandé au juge de statuer au terme de l’audience. Mais le magistrat n’en a rien fait. Il a décidé de rendre son verdict le 1er mars. La foule a quitté la salle d’audience en dénonçant les agissements «d’une justice aux ordres».

En cette période de célébration du premier anniversaire du Mouvement citoyen, la situation des détenus d’opinion est toujours aussi problématique. Des activistes qui avaient été interpellés le 17 janvier à l’occasion du 48e vendredi ont été condamnés dimanche par le tribunal de Sidi-M’hamed à des peines de trois mois de prison ferme. Ces mêmes prévenus avaient pourtant bénéficié de la demande de relaxe de la part du ministère public lors d’une audience qui s’est tenue le 9 février. Vendredi et samedi, plusieurs personnes ont été interpellées dans la capitale lors d’importantes manifestations. Yasmine Si Hadj Mohand, une Franco-Algérienne de 36 ans, a été arrêtée au centre-ville alors qu’elle faisait des vidéos avec son smartphone. Selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), Yasmine souffre d’une maladie chronique et se retrouve sans traitement. Son procès est programmé pour le 1er mars. Par ailleurs, celui de Karim Tabbou, porte-parole de l’Union démocratique et sociale (UDS, non agréé), est prévu pour le 4 mars et celui du journaliste Sofiane Merakchi pour le 15.

L’arrivée au pouvoir du Président Abdelmadjid Tebboune a coïncidé avec la sortie de prison de plusieurs détenus d’opinion arrivés en fin de peine. Mais la libération de l’ensemble des prisonniers et l’arrêt des arrestations, deux revendications du Mouvement citoyen, ne sont toujours pas acquis.

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