POLITIQUE

LE PS AURA BEAUCOUP DE MAL À SE RELEVER

Habillée de manière simple mais avec goût, Ndioro Ndiaye dégage une certaine classe naturelle. Son nom est imposant, tout autant que son parcours, mais cette dame, ministre du Développement social d’abord sous le magistère de Diouf, puis ministre chargée de la Femme et de l’Enfant, reste d’abord facile. La mémoire encore assez vivace, elle a mille et un souvenirs qu’elle partage volontiers. Avec EnQuête, elle est revenue sur une partie de son enfance à Rufisque, son parcours à la Faculté de médecine, de pharmacie et d’odontostomatologie, ainsi que son entrée dans le Gouvernement. Des souvenirs que l’on retrouve dans son livre intitulé ‘’Mon combat pour le Sénégal : de l’université au cœur des politiques publiques’’. Pleine d’humour, elle semble aimer les choses simples, contrairement à l’idée qu’on peut se faire en la voyant à la télévision. Ces quelques lignes vous permettront peut-être de percevoir ce côté de cette dame qui n’a pas peur de dire ses vérités, comme elle le fait ici, en analysant le phénomène ‘’Barsa-Barsax’’.

Vous venez de publier un livre autobiographique. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire un tel ouvrage ?

Je pense que c’est dans l’ordre normal des choses. Quand on a vécu un certain nombre de choses dans sa vie, quand on a été confronté à un certain nombre de défis qu’on a réussi à surpasser, on en tire toujours des leçons de vie qu’on a envie de partager. Moi, je n’ai jamais été une jeune fille paresseuse. J’ai toujours été une jeune fille, comme n’importe quelle jeune fille, très moderne, très ouverte par rapport à tout ce qui est culture, connaissance… Je l’ai été, d’autant plus que notre père était instituteur. Et comme tout éducateur qui se respecte, c’est la culture, c’est la connaissance, c’est les idées, c’est des partages d’opinions. Voilà le cadre dans lequel on a grandi ! C’est aussi des mondes différents qui se brassent, parce que nous habitions dans une ville, sans que nos parents ne soient forcément des urbains. Ma mère étant de Saint-Louis ; les parents de mon père étaient, eux, du Sine Saloum… Je suis donc issue de ce métissage. Ce qui a fait de moi ce que je suis et qu’on a forcément envie de partager avec les autres.

Dans le livre, vous relatez comment le père Babacar Ndiaye Ndioro a, pendant longtemps, éclipsé un peu la maman Hélène Diop qui n’en était quand même pas moins méritante et issue d’une bonne famille. Est-ce là une forme de manifestation du caractère patriarcal de la société sénégalaise ou vous pensez que c’est tout à fait normal ?

A l’époque, je ne le percevais pas comme une discrimination envers la femme, bien que j’en aie souffert. Je me suis toujours demandé pourquoi les parents de ma mère ne sont pas aussi mis en valeur que ceux de mon père. On ne les connaissait pas trop. On n’entendait pas parler de nos aïeux, nos arrières grands-parents maternels. Il m’a fallu faire des recherches pour me rendre compte que ma mère vient de la lignée de Cheikh Oumar Foutyou Tall. Et je l’ai partagé avec toute la fratrie quand je l’ai découvert. Mais, maman était déjà partie. Je me suis dit que papa aurait pu lui laisser plus de place. Comme il était quelqu’un de très présent dans la politique, c’est lui que les gens voyaient. C’est comme ça que je le percevais, mais, vous savez, les griots parfois ne chantent non plus que ceux qui peuvent leur apporter quelque chose.

Ça aussi je l’ai observé et déploré. Maman a toujours été en retrait. Et pourtant, elle avait une force de caractère extraordinaire. Moi, j’aurais été incapable de supporter tout ce qu’elle a vécu. Elle a pu le faire pour le bonheur de ses enfants. Et pour en revenir à la question, je dirai que ce retrait des femmes, s’il est fait volontairement, je l’apprécie. Mais si c’est fait obligatoirement, je ne suis pas d’accord. Dans le cas de mon père, je crois qu’il s’en est rendu compte vers la fin de sa vie. Il lui fallut qu’il hurle presque, qu’il dise sur tous les toits qu’il a une femme fabuleuse, qu’il a une femme merveilleuse qui l’a accompagné pendant 50 ans voir 60 ans.

Ndioro Ndiaye est un peu le prototype de la femme moderne. Mais là, vous vous mettez à beaucoup parler de vos origines que vous avez été parfois obligée d’aller chercher. Que voulez-vous montrer par-là ?

J’ai voulu montrer qu’à un moment de sa vie, il n’est pas très confortable de ne pas savoir d’où l’on vient, qui on est. On n’est pas très confortable de ne pas discerner la population autour de nous. Moi cela m’est arrivé, après que j’ai eu à connaitre les grandes foules. Et on m’a toujours identifié par rapport aux actions que je faisais. Jamais par rapport à ce que je suis et d’où je viens. Dans ce livre, j’ai voulu alors montrer d’où je viens, parce que c’est quelque chose de très important pour moi. Dans le livre, j’en ai parlé très rapidement, parce que mes sœurs et mes frères ont enlevé une énorme partie de ce retour aux origines. Ils m’ont dit : ‘’on n’a pas besoin de savoir qui tu es’’. Pour moi, c’était très important. Cela n’expliquerait pas tout mon statut, mais cela permettrait de comprendre une bonne partie de mon caractère.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours académique ?

Après l’école primaire à Rufisque, j’ai fait le lycée Van Vo, avant de rejoindre Kennedy où j’ai terminé mon cycle secondaire avec un bac en Sciences expérimentales. Après le Baccalauréat, j’ai rejoint la faculté de médecine, de pharmacie et d’odontostomatologie, où j’ai été orientée en Dentaire à partir de la deuxième année, avant d’aller en France accompagner mon mari qui devait terminer son troisième cycle. Je dois juste préciser que je suis arrivée à Kennedy à partir de la Seconde. De la Sixième au BEPC, j’ai été en Suisse où mon père a été affecté comme Ambassadeur. A mon retour de Bordeaux et de la France, j’ai continué mon parcours universitaire, jusqu’à l’agrégation.

Y avait-il quelque chose qui vous prédestinait pour des études en Dentaire ou c’est un choix qui s’est fait par hasard ?

On vient de perdre le Professeur Abdourahim Ndiaye, un enseignant émérite qui avait une femme française qui était la directrice de Kennedy, au moment où je passais mon bac. Comme il connaissait mes parents, il avait un regard particulier, je crois, sur moi. Quand il s’est agi de faire le bac, moi j’avais effectivement pensé à faire médecine. Mais Abdourahim Ndiaye a dit un jour à papa qu’il y a une profession qu’on ne connait pas encore trop au Sénégal ; où nous n’avons pas encore d’experts, de cadres, alors que c’est une profession importante. C’est le métier de chirurgien-dentiste. Il lui a expliqué que c’était Iba Diop Mar qui était le doyen de la faculté. En ce moment, les autorités étaient en train de réfléchir sur les nouveaux métiers. Quand mon père en a parlé à ma mère, elle lui a dit : ‘’Jamais de la vie. Ce sont les bijoutiers qui s’occupent des dents’’. Parce qu’à l’époque, ce qui était en vogue c’était les dents en or… Et c’était l’œuvre de ces catégories sociales. Elle s’est opposée, mais mon père a fini par la convaincre.

Quand vous avez été cheffe du département, vous aviez beaucoup œuvré pour la spécialisation des infirmiers en Odontologie. Que sont devenues ces initiatives et quel a été l’apport de ces spécialités dans la prise en charge de la santé publique ?

Cela eut un impact très important. C’était dans le cadre d’un projet de l’Organisation mondiale de la Santé, géré par mon patron, celle qui m’a formée en santé Publique et qui était une femme argentine. Elle avait été affectée ici par l’OMS pour accompagner le gouvernement dans la formation d’une masse critique de personnes en odontostomatologie. Mamadou Diop était, en ce moment, le ministre de la Santé. Elle a proposé que l’on transpose et que l’on adapte au Sénégal la formation des auxiliaires de santé publique dentaire qui sont les techniciens supérieurs en odontologie, les agents de santé communautaire…. C’est dans ce cadre que l’ENDSS où on forme les techniciens supérieurs, non seulement en odonto, mais aussi, dans les autres métiers de la santé, a vu le jour.

Nous avons eu à former beaucoup de techniciens supérieurs en odontologie, qui accompagnaient les chirurgiens dans le privé comme dans le public. Cela favorisait le travail en équipe…. Les infirmiers étaient capables d’accomplir bien de prestations que faisaient les chirurgiens. Les agents de santé communautaire faisaient beaucoup de sensibilisation, par rapport à la santé buccodentaire. Je ne sais plus ce que tout cela est devenu et comment c’est géré. Mais, c’était très important comme programme. Et pour faciliter la connexion entre ce qui se fait au niveau de la formation qui dépendait de l’Enseignement supérieur et l’utilisation des personnels formés qui revenaient au département de la Santé, on avait créé un Bureau de santé buccodentaire au niveau du ministère de la Santé. Je pense que c’était une magnifique architecture que nous avions.

La question de la responsabilité pénale des médecins se pose avec acuité. Le Sames en est venu à aller en grève pour contester l’ouverture d’une information judiciaire contre un collègue dans le cadre de l’incendie de l’hôpital Maguette Lo de Louga. Cela ne conforte-t-il pas ceux qui estiment que les personnels de santé bénéficient d’une certaine impunité ?

C’est malheureux qu’on en soit arrivé là. On aurait tous aimé ne pas avoir à vivre cette situation. Je pense qu’il y a un relâchement dans la rigueur avec laquelle certaines prestations sont exécutées dans ce pays. Il faut redresser cela. Il a fallu que ce drame arrive pour que les gens se secouent et se rendent compte que les choses ne marchent pas correctement dans les différents services. Dans un service, il y a un organigramme, un cahier de services. Il y a des responsabilités assignées aux uns et aux autres. Je pense que le fait que le médecin dise qu’il était absent ne l’absout pas de la responsabilité de la marche de son service. Si normalement les précautions apprises étaient accomplies correctement, si les ordres étaient donnés correctement, on n’en serait pas là. Pour moi, il y a une question de déontologie qui se pose à ce niveau. Tout le monde doit être soumis à la loi et quand il y a des manquements, il faut situer les responsabilités. C’est valable dans le domaine de la santé, mais aussi ailleurs.

Est-ce que l’Etat aussi n’est pas responsable, lui qui doit mettre à la disposition des structures des personnels suffisants ?

Je pense que l’Etat aussi trouvera sa responsabilité et l’assumera. Mais, ce n’est pas parce qu’on a perdu des bébés qu’on va nous invoquer un problème de personnels. Le span of control, comme on l’appelle, c’est quelque chose que l’on doit observer à tout moment. Ce n’est pas en ce moment qu’il faut en parler. Les responsabilités, il faut les situer à tous les niveaux. Il nous faut être beaucoup plus rigoureux. Tout le monde est interpellé ; l’Etat est interpellé.

On ne peut parler de Ndioro Ndiaye sans parler de la femme, des migrants. D’où vous vient cet engagement ? D’abord pour la femme ?

Pour la Femme, c’était tout naturel. Nous sommes une fratrie de neuf. Il y avait quatre filles et cinq garçons. Et les filles ont toujours été très solidaires. En plus, on a eu les mêmes chances que les garçons. Je dois dire que les conditions dans lesquelles on a vécu ont également compté : la vie en Europe, dans la diplomatie avec un père ambassadeur… Moi, j’ai toujours voulu être la meilleure partout où je suis passée. Et partout, j’ai eu un regard un peu particulier sur la condition de la femme. Ce qui s’est déteint sur la conduite des affaires, quand on m’a confié des charges publiques.

Parlez-nous justement de votre passage au ministère du Développement social ?

C’était un ministère énorme. Il n’y avait pas que les femmes, il y avait les jeunes, le troisième âge, la communauté, la santé, la culture, l’éducation, la pêche l’élevage… C’était un département multisectoriel, pluridisciplinaire. Je me souviens que j’avais 1700 personnes dans mon organigramme, du sommet jusqu’au bas de la pyramide. Ce ministère était la boussole du gouvernement sénégalais. C’est avec nos agents qu’on remontait toutes les informations. Même s’il se passe quelque chose à Fongolémy, à la fin de la journée, je suis au courant. Et on envisage ensemble les actions. Parfois, on réfère aux autres départements ministériels concernés.

N’était-ce pas là beaucoup de responsabilités pour un seul ministère ?

Ce n’est pas trop d’avoir des responsabilités. L’essentiel, c’est d’avoir une bonne équipe, dynamique, qui en veut et qui est compétent. Tous les matins, nous faisions un brainstorming. Quand je suis arrivée, les gens venaient au travail souvent en retard. Les ministres qui étaient très politiques n’étaient pas tellement regardants sur la ponctualité. Moi, comme je suis souvent disciplinée, pas toujours (rires), j’ai demandé à tout le monde d’être au travail aux heures de travail. La première et la deuxième semaine a été un peu difficile. Je me mettais même à vérifier qui vient à 8 heures et qui ne vient pas à 8 heures. Après, je me suis dit que ce ne sont pas des enfants. On a fait une note de services pour informer tout le monde. Je devais me réunir avec les directeurs, tous les jours à 8H. La réunion durait une à une heure et demi. Après 15mn, on ferme la porte. Pour les retards de plus de 15mn, j’ai demandé au secrétaire de les inviter à attendre le lendemain.

Est-ce que les conseils de Jean Collin y étaient pour quelque chose ?

Certainement ! Ce Monsieur-là, je l’ai beaucoup admiré, il faut le dire, parce que c’était un travailleur, un grand bosseur. Ce Monsieur-là, il connaissait toute l’administration, il savait ce qui marchait et ce qui ne marchait pas. Il avait aussi le Bom, avec André Sonko, mon frère Pathé Ndiaye…. Mais, c’était surtout parce que c’est quelqu’un qui sait aiguillonner son équipe, qui sait intégrer les résultats de nos actions dans les actions de planification. Quand il m’a reçue, il n’avait pas été du tout prolixe. Il avait juste sa pipe comme je l’ai écrit. Il est tellement impressionnant et imposant… C’est quelqu’un qui savait de quoi il parlait. Il me dit : je vous félicite ; je sais que vous allez prendre un département difficile, mais, on veut des résultats, on veut des impacts. Il me disait que c’est un ministère où on a beaucoup investi et il nous faut des résultats.

Ensuite, il m’a dit que le premier dossier c’est celui-là et il me l’a montré avec sa pipe, en me disant qu’à telle page, il y a telle chose. C’était un rapport de l’IGE, donc je n’en dirai pas plus. Ce qui m’a aussi marqué, c’est son attitude, quand on faisait les conseils interministériels. Par exemple, sur la politique de population, on se demandait si c’est pour le Développement social ou la Santé. Chacun faisait son argumentaire et moi le mien reposait essentiellement sur le caractère multidimensionnel de la politique de population. Ce n’est pas seulement une politique de naissance, c’est aussi des gens qui grandissent, qui ont des besoins, qui tombent malades… Et c’est ce qui a été retenu. En ces moments, même quand les gens hésitaient, lui disait la page qui réglait le problème. C’est fabuleux cette connaissance des choses, de l’Etat et du gouvernement. On n’était pas amis ; on ne fréquentait pas les mêmes endroits ; il était plutôt proche de mon frère Pathé qui était au Bom. Mais, il a joué un grand rôle dans la formation de mon équipe.

Quels sont ces conseils qui vous ont servi en tant que ministre et qui pourraient être utiles aux dirigeants actuels ?

Peut-être qu’ils n’en ont pas besoin ; ils en ont d’autres beaucoup plus pertinents (rires). Ce que je peux dire c’est comment il (Jean Collin) a influencé le choix de mon cabinet, particulièrement mon directeur de cabinet que j’ai gardé jusqu’au bout, pendant neuf ans. C’est lui qui me l’a envoyé, en me disant : je veux que vous ayez un entretien avec lui. Dites-moi ce que vous pensez de lui, par rapport à la manière dont vous voulez manager ce département, parce que le Président m’a dit que ce département n’a jamais été managé, qu’il faut y mettre de l’ordre et il faut mettre en œuvre les réformes qu’il faut. Il faut que les impacts de ce ministère soient davantage visibles et lisibles. Et pour cela, le choix des hommes est central. Pour les CT 1 et 2, je les ai choisis et il a donné son accord. Il m’a dit que voici le noyau avec lequel tu dois diriger ton département. Tout le reste, c’est des maillons.

Jusque-là, on ne parlait pas de ministère de la Femme. Comment est-on passé de l’ancienne à la formule actuelle ?

On a eu un certain nombre de déboires au niveau de ce département. Il y a eu beaucoup d’enjeux, beaucoup de rivalités, de choses difficiles à accepter. A un moment donné, on m’a enlevé du ministère du Développement social pour me confier un ministère délégué en charge de l’Enfance et de la Femme. On m’a enlevé tout ce qui est développement communautaire, alors que c’était mon assise territoriale. J’avais donc un ministère délégué avec juste mon cabinet. C’est comme si on m’avait enlevé mes bras et mes jambes. On ne me laisse que ma tête.

C’était donc une sanction ?

Certainement ! Mais vous prenez une sanction comme telle, quand vous savez quelle est l’erreur ou la faute que vous avez commise. Moi, je ne le savais pas. Je n’ai aucune idée des raisons pour lesquelles on m’a rétrogradée. Mais, je me suis dit, qu’à cela ne tienne, vous allez voir ce que nous sommes capables de faire de ces deux cibles (la Femme et l’Enfant) et combien elles sont importantes dans votre vie même. La femme et l’enfance, ce sont vos piliers et on s’est mis alors à la réflexion. On a eu beaucoup d’ateliers de réflexions, d’analyses, de documents stratégiques pour le développement de la femme. Des réunions très importantes ont été tenues. Des réunions qui ont amené beaucoup de ressources dans le pays. C’est dans ce cadre que s’est tenu le sommet de l’enfance avec l’Unicef à New York, la Femme rurale et beaucoup d’autres. En plus des financements, il y avait également un impact non négligeable sur le plan humain.

Nos jeunes qui étaient dans nos différents cabinets se sont frottés à d’autres jeunes des autres pays sur les mêmes problématiques de la Femme et de l’Enfant, dans des domaines importants comme la nutrition, le développement communautaire, l’éducation…. Ce sont des choses qu’on ne peut pas toujours quantifier. Les agents de nos différents ministères en ont profité. Les programmes enfants par exemple n’attirent pas souvent. Mais avec l’Unicef, on est parvenu à mettre l’enfant au centre des préoccupations. Grâce au travail accompli, nous avons pu, avec l’aide du ministre de l’Economie de l’époque, négocier le rachat de la dette du Sénégal par un pays développé. C’était une valeur de 15 milliards FCFA.

Pouvez-vous revenir sur les conditions de ce rachat et comment l’Enfant a pu en bénéficier ?

Nous nous étions redevables à l’Argentine et c’est le pays Bas qui a racheté la dette. Mais, ils donnent comme condition que l’argent soit investi uniquement sur les programmes enfants. C’est ainsi qu’on a pu rénover Albert Royer, le Centre verbo-tonal… Dans les régions, des maternités ont été équipées. Au niveau scolaire, il y a eu la mise en place des gouvernements scolaires. Tout ça c’est nous. Un commissaire européen était même venu à Dakar pour cette initiative. Il y a eu beaucoup de réalisations.

Pour en revenir à votre rétrogradation. En étiez-vous frustrée ?

Quand on vous enlève d’un poste, ça ne fait jamais plaisir. Ce n’est peut-être pas raisonnable de ma part, mais c’est humain. Quand on vous enlève d’un poste, surtout qu’on ne vous dise même pas pourquoi, cela ne fait pas plaisir. Je n’ai jamais su pourquoi. Je pense que c’est là un problème des politiques. Il faut qu’ils apprennent à respecter un peu plus les gens. C’est le minimum. Quand on veut sanctionner quelqu’un, le minimum est de l’appeler et de le lui dire. Moi, je n’avais pas demandé à être ministre. On m’a choisie et on m’a confié des tâches. Mais, quand on veut se séparer de vous, vous ne le voyez même pas. Je pense qu’il faut policer les rapports. On ne peut pas avoir des personnes de grande qualité, des experts qui savent ce que c’est que la vie, les honneurs, et qui se battent pour les mériter. Si on doit les remercier, la moindre des choses est de leur dire pourquoi. Où est le problème ! Moi j’aurais bien aimé que le Président m’appelle ou me fasse venir pour me dire : j’ai des soucis à régler que vous ne pouvez pas, je vous remercie. J’aurai apprécié. Il y a un minimum de correction vis-à-vis des gens. Je trouve cette manière de faire incorrecte.

Pouvez-vous revenir sur votre nomination ?

Le Président Diouf m’a appelée, après que j’ai eu à gérer une grosse grève. C’était en 1987, je crois. Et notre service a été relativement épargné. Quand on a commencé la campagne électorale, Mme Fatoumata Tall m’avait demandé de rejoindre l’équipe de campagne du président de la République. Mais, comme mon service marchait, je ne pouvais pas m’absenter longtemps de Dakar. J’étais dans le GER (Groupe d’études et de recherches du parti socialiste). C’était une mission exaltante. A la fin de chaque journée, il y avait un groupe de travail pour évaluer la situation de la région où nous étions ; on lui faisait le feed-back et on le préparait pour l’étape qui suit. Pour aller ailleurs, on fait un mapping de la situation géographique. Qu’est-ce qu’il y a ? Qui y vivent ? Quels sont leurs besoins ? etc. C’est peut-être pendant ce moment qu’il m’a le plus écouté. Et quand il s’est agi de former son gouvernement, il m’a appelée.

Plongez-nous un peu dans l’ambiance des consultations. Comment ça s’est passé ?

On m’a envoyé un Motard, comme ça se passe en général. Le Gendarme m’a alors demandé d’aller répondre à la Présidence. Quand j’ai reçu mon papier, je n’avais même pas conscience qu’on était en train de former le gouvernement. D’ailleurs, quand j’ai vu le Gendarme, je lui ai demandé si on a cassé mon institut ? Le monsieur me demande alors : quel institut ? Il m’a que Madame Ndoye voulait que passe à la présidence, le lendemain à telle heure. C’était le jour même de la prestation de serment du Président. Cela n’avait eu aucun effet particulier. C’est environ deux heures plus tard que j’ai appelé mon père pour l’informer.

C’est d’ailleurs lui qui me fait savoir que Mme Ndoye était la secrétaire de Diouf. Ce n’est que le lendemain que j’ai pensé à Pathé qui travaillait à la Présidence. Quand je lui ai dit que je suis invitée au Palais, il m’a demandé de ne surtout pas être en retard et de m’habiller bien. Il m’a suggéré de venir une demi-heure avant et de passer à son bureau. Le lendemain, je les ai trouvés dans leur bureau avec une énorme carte, entrer de travailler sur le nouvel attelage gouvernemental. On s’est beaucoup taquiné… Et c’est Pathé qui m’a accompagnée et m’a fait un bref training sur la procédure. Je devais juste attendre la personne dans la salle d’attente et la suivre jusqu’au bureau du Président. C’était tellement drôle. A l’heure exacte, quelqu’un est venu me chercher et je l’ai suivi…. Quand la deuxième porte s’est ouverte, j’ai constaté que c’est une immensité, entre la porte et son bureau. Et il me dit : avant que tu n’ouvres cette porte, je pensais te confier le ministère de la Santé. Mais, je change d’avis pour te donner le ministère du Développement social, parce que tu es un manager. Et ce ministère n’a jamais été managé. C’est un département extrêmement important pour moi et pour le ministre d’Etat Jean Collin. Il va t’en parler après.

Aujourd’hui, quand on parle de ministère de la Femme, les gens pensent immédiatement à la politique, au folklore. A vous entendre, cela n’a pas toujours été le cas. Qu’est-ce qui a changé et quelle est la part de responsabilité des dirigeants ?

Il y a toujours eu les deux. Un moment, la politique prend le dessus. Après, quelqu’un vient et remet les pendules à l’heure. Tout dépend du chef du département et du président de la République. Il y a eu des moments où la politique prime sur tout, parce que le chef de l’Etat en avait besoin. Ce ministère est ce que le président de la République veut qu’il soit, il ne faut pas se tromper. Par exemple, il y a eu un moment où Tata Caroline était là. Il y avait, derrière, une volonté d’amener les femmes en politique. Elle a joué ce rôle à merveille. Après, Abdou Diouf est venu et a amené Maimouna Kane qui a été une très grande ministre. C’est d’elle que je tiens toutes ces théories autour du développement de la Femme. Ensuite, Mantoulaye Diène est venue dans un contexte où le PS commençait à être bousculé par le PDS. Elle aussi, je l’ai beaucoup admirée. C’est un animal politique. Des femmes comme elle, je n’en ai pas vu deux. Ensuite, je suis arrivée. Et mon objectif était surtout d’allier les deux à la fois. J’ai pris le choix de mettre en avant la République. Quand il y avait des choses à distribuer, je faisais tout pour être le plus républicain possible. Cela m’a valu beaucoup de déboires, c’est certain.

Pensez-vous que la manière dont on choisit les membres du Gouvernement aujourd’hui est moins rigoureuse qu’avant ?

Je sais que de notre temps, c’était très rigoureux. Quelqu’un m’a dit, bien plus tard après ma nomination, quelqu’un qui était au courant de mon dossier m’a dit que j’ai été suivie pendant assez longtemps, avant que l’on ne me choisisse. Il est normal que quand on nomme un ministre qu’on fasse des enquêtes sur la personne. Maintenant, je ne sais pas comment cela se passe.

Après vos missions dans des Gouvernements d’Abdou Diouf, vous êtes allée à l’OIM, comment est-ce arrivé ?

C’est un pur hasard. J’avais déjà une idée de ce que c’était, avec la crise sénégalo-mauritanienne. C’était quand même une chance. Il y a eu une opportunité à Genève qui s’est présentée pour que le Sénégal compétisse à l’élection d’un directeur général adjoint à l’OIM. Une de mes amies qui était à Genève et à qui on avait proposé le poste leur a dit qu’elle voulait rentrer au pays et leur a suggéré mon nom. Elle m’a contactée et je lui ai envoyé mon CV. J’ai aussi informé le Chef de l’Etat et il a donné son accord. Le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Jean Baudin a pu piloter l’ensemble de la procédure. Il y avait une politique à mettre en place, une campagne à construire avec les différents ambassadeurs. J’ai été soutenue par l’Afrique du Nord. Et j’ai pu avoir le poste.

Comment analysez-vous le phénomène Barsa-Barsax ?

On me dit que je suis très sévère. Je pense que ces jeunes ne bravent pas la mer juste par besoin. Je pense que c’est juste parce qu’ils veulent défier le monde. Je ne comprends pas pourquoi ils veulent se suicider. Je ne comprends pas pourquoi, ils rechignent à avoir les papiers qu’il faut pour voyager. Ils cherchent des échappatoires pour ne pas faire les choses correctement. Mais, quand on voyage, on a besoin d’un passeport, d’un visa. Il ne faut pas me dire que c’est parce qu’ils ne sont pas instruits qu’ils ne savent pas cela. Ce n’est pas possible. On le leur dit et pourtant, ils continuent à se jeter en mer. Ce que je ne supporte pas maintenant, c’est qu’ils mettent cela sur le dos de l’Etat. Ce n’est pas juste.

Les voies légales leur sont souvent fermées quand même.

Si les voies légales leur sont fermées, ils négocient ou bien ils restent chez eux. S’il leur faut aller vendre des parapluies dans les rues de New-York quand il pleut ou faire autre chose à Paris, ils peuvent le faire ici. Pourquoi, veulent-ils forcément enfoncer des portes qui sont fermées ? L’Europe a sa politique, ses exigences ; elle a mis en place sa stratégie de communication entre elle et le reste du monde. Mais, ce n’est pas parce que les Sénégalais ne veulent pas entendre cela qu’ils vont changer de plan. Moi, je ne les encourage pas à le faire. Par contre, ce que je veux est que mon pays s’organise, ait les structures qu’il faut et qui soient capables de parler aux gens qui sont dans les zones à fond dans la migration. Qu’on aille dans les zones d’où ces gosses-là partent et leur proposer des programmes. On sait où c’est. Le ministère de l’Intérieur a toutes les informations. On me dira que ces programmes existent, mais c’est pour ceux qui ont eu un aller avorté. On les finances pour les réinsérer dans les tissus sociaux. Je ne suis pas d’accord avec le Barça-Barsax. C’est du suicide et je pense que c’est tant pis pour eux, parce que ce n’est pas normal que les gens veuillent aller chez des personnes qui ne les invitent pas, qui n’ont pas besoin d’eux.

Mais certains invoquent la pauvreté pour justifier leur départ. La responsabilité de l’Etat n’est-elle pas engagée vu sous cet angle ?

Moi, je trouve que l’Etat fait ce qu’il peut dans les conditions extrêmes que nous avons. Il faut que les gens ouvrent les yeux. Je suis à la télévision, ce qui se fait pour l’emploi des jeunes. Mais pour que cela soit efficace et visible, il faut un temps. On travaille sur de la ressource humaine, la personne. On ne travaille pas sur des billes qu’on déplace. Il faut laisser le temps au Gouvernement. Je ne dis pas qu’il a fait les choix de personnes qu’il faut et de programmes. Mais une fois que le programme est choisi, il faut laisser du temps à ceux qui doivent le piloter. Je sais qu’ils ont un grand problème de communication et ne disent pas exactement ce qu’ils font, pour que les autres sachent où ils veulent en venir. Ils annoncent des milliards et des milliards, à longueur de journée. Il serait bien qu’ils disent ce à quoi ils vont servir. Nous, nous n’avons jamais eu autant d’argent.

Quels sont vos rapports avec les gens du Parti socialiste ?

Je suis PS et je reste PS, seulement je ne milite pas. Je ne crois pas en ce qu’ils font. Ils sont bien gentils, mais j’avoue que cela ne marche pas. Aujourd’hui, c’est le socialisme lui-même qui est malade. Regardez ce qui se passe en France quand les grandes figures ont disparu. Regardez la présidence insipide qu’a eue Hollande. Ici, le PS a été très mal préparé à la relève. Cette dernière a été brutale. Abdou Diouf a perdu des élections, alors qu’il ne s’y attendait pas, parce qu’on ne lui avait pas dit qu’il y avait des risques d’échecs. Ils lui ont caché la vérité. Mais, c’était sa faute aussi, sa manière de gouverner, il était coupé de tout le monde. Il n’avait plus d’informations venant de l’extérieur. Ousmane Tanor Dieng était un novice face à ce que Jean Colin pouvait être.

Vous voyez l’avenir avec le PS ‘’authentique’’ ou avec le front dirigé par Khalifa Sall ?

Khalifa a beaucoup perdu. Pourtant, c’est quelqu’un de très bien. Le meilleur d’entre eux était feu Babacar Mbaye. Khalifa venait après lui. ‘’Kasso baxul, dafay ray goor’’. Khalifa n’a plus d’élan. Cela me pose beaucoup de soucis. Khalifa ne mérite pas cela. Des jeunes formés sous Senghor et Diouf comme Khalifa, on n’en fera plus. Khalifa sait ce qu’est le socialisme. Tous ceux que vous voyez s’agiter à ne savent pas ce qu’est le socialisme. Ils ont beaucoup de bagout, c’est tout. Le PS aura beaucoup de mal à se relever. Ils ont raison d’aller s’engouffrer dans l’APR, parce que seuls, ils ne feront rien que cela soit avec Aminata Mbengue ou Serigne Mbaye Thiam. Ils n’ont pas l’envergure de gérer un Parti socialiste pur et dur, qui en vaut la peine.

Un mouvement de la Gauche pourrait le faire ?

Peut-être cela. J’ai beaucoup fréquenté, à la fin de sa vie, Amath Dansokho et les gens du PIT. J’aime beaucoup leur manière de travailler. Ils sont de la Gauche, des communistes, mais ce sont des gens avec qui un PS, tel qu’Abdou Diouf l’a fait d’ailleurs, pourrait travailler. Comment le PS va évoluer, je ne sais pas. Il faut que le PS sache évaluer ses forces et faiblesses ; qu’il sache nouer des alliances en attendant qu’une lame de fond remonte.

Quels rapports entretenez-vous avec le Président Diouf ?

Nous avons des rapports cordiaux. Je les ai vus avant la pandémie. Je suis allée les saluer. Je pars de l’esprit qu’on a passé une vingtaine d’années ensemble et cela marque. Il est bon que, de temps en temps, ils sachent qu’il y avait des gens qui étaient avec eux, qui ont travaillé avec eux pour le Sénégal. Ç’aurait été bien qu’on garde nos rapports cordiaux. Qu’est ce qui les empêche de se promener et de venir rendre visite aux gens. C’est possible. Nous, nous le faisons volontiers, mais ce serait bien qu’eux également rendent visite, de temps à temps, à ceux avec qui ils avaient travaillé. Moi, j’aurais bien aimé qu’ils le fassent.

Parlez-nous de ce voyage à Podor qui a failli virer au pire…

J’ai pris ici un avion qui n’était pas en panne pour aller inaugurer les groupes électrogènes d’un village qui n’avait pas d’électricité, depuis l’indépendance. Je devais rentrer vite le lendemain, parce que j’avais une émission à la RTS. Je devais parler du rachat de la dette du Sénégal. A peine a-t-on décollé j’ai vu une lumière rouge sur le tableau de bord. J’ai attiré l’attention du pilote et il m’a dit qu’il y avait un problème, que l’avion ne répondait plus. Il m’a dit qu’on était à 2000 mille, je pense, d’altitude et que l’avion risquait de tomber. Je lui ai demandé de faire des cercles concentriques, de tourner en rond pour diminuer l’altitude. Quand le pilote a atteint la limite, on a brusquement atterri. L’avion a continué sa vitesse. Il roulait très rapidement. Mon seul problème, c’était qu’on rencontre un arbre. Heureusement, l’avion s’est brusquement arrêté au pied d’un arbre. Je suis descendue pieds nus et on courait tous dans la brousse, parce que j’avais peur que l’avion explose.

Quand je suis rentrée, pendant un mois, je ne portais pas de chaussures, parce que j’avais des épines enfoncées dans la plante du pied. Le pilote avait pu parler dans son poste et avertir le gouverneur. Djibo Kâ était le ministre de l’Intérieur et quand il a été informé, il a dit aux agents de sécurité, c’est qui le ministre du Développement social. On lui a dit Ndioro Ndiaye. Il leur a dit : c’est vous qui allez le dire à Abdou Diouf et Habib Thiam. Il les a quand même avertis et ils m’ont envoyé l’avion de l’Armée française. Mais, ma maman qui a été informée, entre temps, ne voulait pas que je revienne par avion. Vous savez la compagnie TransAir là, leur premier accident n’est pas celui survenu de retour du Burkina. Leur premier accident, c’est avec le monomoteur qu’il nous avait loué. Habib Thiam m’a envoyé lui un avion de Sénégal Air, alors que j’étais déjà partie, en prenant la route. L’avion a trouvé de jeunes enseignants de l’UGB et cet avion a fait un crash, ici à Yoff. Ils sont tous morts. Jusqu’à présent, quand j’en parle, j’ai des frissons.

Cette histoire ne vous a pas paru trop bizarre pour être naturelle, n’avez-vous pas pensé à des faits mystiques ?

Non, c’était tellement extraordinaire. Non, ce n’est pas possible. C’est Dieu qui en avait décidé ainsi. On ne peut pas faire çà avec du mystique.

Pour quelqu’un qui a grandi à Rufisque, que pensez-vous du ndeup ?

Il est bon. Moi, je donne un bœuf chaque année, quand la famille de Yaye Fatou Seck organise un ndeup. Lors de leur procession, ils passent devant chez nous. Je n’assiste pas au ndeup, je n’en fais pas, mais je me souviens que, quand on avait des soucis de santé ou autre, ma mère nous amenait prendre un bain dans les ‘’xamb’’ logés chez Yaye Fatou Seck.

Vous ne pensez pas que ce sont les génies du Xamb qui vous ont peut être sauvée de cet accident d’avion ?

Peut-être bien, parce que personne ne sait comment je m’en suis sortie. Personne ne peut comprendre.

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