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Le sport à Touba, une pratique à deux vitesses

Malgré les interdictions qui frappent certaines disciplines sportives comme le football et la lutte à Touba, leur pratique est une réalité dans la cité religieuse. Les populations de la localité ne sont pas que statiques et vivent leur passion selon leur rythme, que ce soit dans la légalité ou la clandestinité. Au-delà de la floraison des salles de sport, la ville regorge de talents dans plusieurs disciplines des arts martiaux et compte même des champions en équipe nationale et un champion d’Afrique de karaté.

La ville de Touba est connue pour son grand Magal qui draine chaque année un monde fou. Mais, au-delà de l’aspect religieux et économique, le sport occupe aussi une place dans la vie des populations, malgré les interdits. En 1980 déjà, le khalife général des mourides, Serigne Abdou Lahat Mbacké, avait pris des mesures fermes pour «faire de Touba une cité loin des pratiques mondaines» comme souhaité par son fondateur Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. Il avait alors dressé une liste d’interdits parmi lesquels figuraient le football et la lutte. Ses recommandations ont été reconduites par tous les khalifes suivants et sont toujours en vigueur. Mais cela n’a pas pour autant refreiné l’ardeur des populations.

À Touba, la pratique sportive est plurielle. Les populations pratiquent plusieurs disciplines sportives. La marche, même si elle n’est pas compétitive, constitue une pratique très prisée des populations, surtout celles du troisième âge. Se dégourdir les jambes, après le dîner et au petit matin est leur sport favori. Elles sont visibles dans toutes les grandes artères de la ville, soit en direction de la Grande mosquée, soit dans le sens contraire. Certains comme Mère Koïté sortent avant le lever du soleil.

Pour cette sexagénaire, «la marche est un sport complet qui permet de ne pas s’engourdir m’a fait savoir mon médecin, et c’est facile», justifie-t-elle. La marche, c’est aussi le sport préféré de Baay Bass, 75 ans, et Baye Amadou, 72 ans. Tous les deux habitent sur la route Tally Ndiouga, sise à Darou Minam. Depuis qu’ils ont pris leur retraite, ces deux anciens fonctionnaires de l’administration ont élu domicile à Touba et s’adonnent, le soir après dîner, à la marche. Ils parcourent un à deux kilomètres, précisent-ils, histoire de se dégourdir les jambes. Chapelets à la main et psalmodiant des versets, ils marchent à un rythme régulier. «La marche matinale après la prière, il n’y a rien de tel pour démarrer une bonne journée, et la faire le soir est une recommandation pour une bonne digestion, une bonne nuit de sommeil ; en somme, pour une bonne santé physique», renseigne Baay Bass. «Cela fait cinq ans que nous arpentons cette rue ensemble ; puisse Allah nous le permettre encore plus longtemps», prie Baye Amadou.

Souhait d’un parcours sportif

Aujourd’hui, avec le développement de ce sport à Touba, le maire Abdou Lahad Kâ gagnerait à trouver très vite un site approprié pour installer et équiper un parcours sportif, estiment des jeunes de Touba regroupés en association. Ils aiment arpenter les grandes artères de la ville le soir et souvent tard dans la nuit pour se faire une santé. La trentaine, Amadou Sow, pratique tous les soirs la marche en compagnie des jeunes de son quartier de Darou Khoudoss. Dans les environs de l’université, les jeunes sont partout visibles. En groupuscules, ils s’adonnent à des exercices d’assouplissement, des pas de course. «Si la mairie nous offrait sur la corniche un parcours sportif, ce serait vraiment exceptionnel, parce qu’il faut se rendre à Mbacké pour courir à l’aise», indique Amadou Sow.

Joueur de football «navétanes», Moustapha Lô qui appartient à une grande famille religieuse déplore le manque d’infrastructures sportives à Touba. «Même si Safinatoul Amane (une sorte de police religieuse à Touba) interdit le sport, ce n’est pas toutes les disciplines. Nous faisons du jogging, nous allons aussi dans les salles de musculation et les salles de karaté refusent du monde, sans compter les jeunes qui pratiquent le football clandestinement. Notre plus grand souhait, c’est d’avoir des infrastructures pour nous épanouir comme tous les jeunes du pays», fait-il savoir.

L’autorité municipale n’exclut pas de remédier, dès que possible, à cette situation, mais à la condition qu’elle émane de l’autorité religieuse. «Nous sommes à la tête de la commune conformément à la volonté du khalife général, nous sommes tout ouïe à ses recommandations. Nous les appliquerons volontiers si telle était sa volonté», a ajouté le maire.

À Touba, le fitness est aussi une pratique sportive qui à la cote. Des salles modernes commencent à essaimer dans la cité religieuse. Elles sont fréquentées par les personnes de tous âges et de toutes catégories socioprofessionnelles. Même de jeunes chefs religieux s’y mettent. Au-delà de l’aspect sportif, ces salles constituent des créneaux porteurs pour les «Modou-Modou» qui investissent le secteur. Dans certains axes de la ville, elles affichent leurs activités de musculation et ouvrent leurs portes aux hommes et aux femmes qui désirent se maintenir.

Le fitness, une affaire d’hommes et de femmes

Près de l’ancienne gare routière, deux salles bien équipées accueillent beaucoup d’adeptes. Une autre, avec des équipements de dernière génération, est ouverte sur la corniche Ouest. Comme dans toutes les salles de fitness, une ambiance décontractée, un fond sonore invite au surpassement et à l’oubli des soucis. Mais dans les trois salles que nous avons visitées, pas l’ombre de femmes à cette heure de la journée. Selon Samba Dieng, gérant d’une salle de fitness à Yonou Darou, les horaires ont été méticuleusement élaborés de sorte que les femmes et les hommes ne se croisent pas dans la salle, car des éléments de «Safinatoul Amane» effectuent régulièrement des visites inopinées. «Si l’interdiction est enfreinte, la salle risque d’être fermée. C’est pour cela que nous veillons à ce que les femmes aient un horaire différent de celui des hommes», renseigne-t-il.

Serigne Mouride Mbaye, un des responsables de «Safinatoul Amane», nous apprend que dans les salles de fitness, des espaces aménagés sont destinés aux femmes, avec une monitrice pour les encadrer. «Elles aussi, ont souvent besoin de maintenir une certaine forme, de garder la ligne», déclare le religieux.

À Touba, les jeunes chefs religieux sont aussi de grands sportifs. Il y a quelques années, ils s’exerçaient à leurs domiciles ; à présent, certains d’entre eux fréquentent les salles de fitness pour leur bien-être physique. «Je suis en salle pour maintenir ma forme. Après les exercices, je suis plus en forme dans la pratique de mes dévotions et surtout dans la méditation», confie Serigne B. K. Mbacké, avant de s’engouffrer dans son véhicule. Ceux qui ne veulent pas fréquenter les salles s’entraînent chez eux, où ils disposent d’une salle de musculation. «À l’abri des regards indiscrets, ils se font les muscles avec des vélos fixes et autres équipements», affirme Serigne B. K. Mbacké.

Dans la cité religieuse, les salles sont très prisées des populations. Elles connaissent un véritable boom. «Les populations adorent et fréquentent régulièrement ces lieux. Nous recevons toutes les tranches d’âges. Les prix sont abordables et nous avons plusieurs abonnements», se réjouit Samba Dieng, gérant de salle.

Le football dans la clandestinité

Au Sénégal, le football est roi. À Touba, il est aimé et suivi, mais malheureusement il n’est pas pratiqué, ou bien dans la plus grande clandestinité. Difficile donc pour les amateurs du ballon rond d’exprimer leur talent. Le football se joue en cachette et souvent par des talibés (ndongos daaras) qui se procurent un ballon de football avec leurs propres moyens. Moussa, talibé de 15 ans, a abandonné le football. Mais, raconte-t-il, il leur arrivait de prendre des charrettes et de quitter la ville pour aller pratiquer ce sport à la périphérie de Touba. «Nous allions dans des endroits comme Darou Karim encore inhabité où il y avait des espaces pouvant servir de terrain vague», se souvient-il. La crainte de se faire dénoncer par les populations a tué beaucoup de passion, soutient-il. La peur de se faire choper par «Safinatoul Amane» chargé par le khalife général de veiller a ce qu’aucun des interdits ne soit violé sur toute l’étendue du territoire de la cité religieuse de Touba a aussi annihilé beaucoup de talents, estime Bécaye Diouf, footballeur qui a évolué pendant trois saisons dans l’équipe du marché Ocass. Ce dernier reconnaît que la pratique de cette discipline est interdite dans la cité religieuse, mais, relève-t-il, les jeunes ne ratent aucun grand match à la télévision.

Une discipline très suivie à la télé

«Il y a un vrai engouement pour le football. Ici, on peut vous citer, les yeux fermés, le classement type du Real Madrid, du Barca, vous parler des haut faits de Leo Messi, mais pour la pratique, on est obligé de respecter les interdits». Ce qui, selon lui, constitue un gros handicap pour beaucoup de jeunes qui pouvaient avoir un avenir radieux dans le football. À défaut de pouvoir jouer à Touba, les plus coriaces migrent à Mbacké pour s’épanouir à travers les Association sportives et culturelles (Asc) affiliées à l’Odcav de Mbacké et évoluant dans la zone de Ndame qui compte 22 Associations sportives et culturelles (Asc). Elles évoluent régulièrement au football dans le championnat national populaire, renseigne Makhtar Ka, l’inspecteur départemental de la jeunesse et des sports de Mbacké. Les Asc déboursent 100.000 FCfa par joueur durant les Navétanes ; là où elles donnent pour les mercenaires 20.000 FCfa par joueur et par match, renseigne Moustapha Lô. En outre, il précise que la majorité des joueurs sont originaires de Touba et sont de jeunes commerçants du marché Ocass. Pour Bécaye Diouf, la cité religieuse regorge de talents qui auraient fait une bonne carrière n’eût été l’interdiction qui frappe la pratique du football.

Vitalité des arts martiaux

À Touba, les arts martiaux se portent bien. Kung-fu, judo, karaté, Viet vo dao y sont pratiqués régulièrement. Les salles prolifèrent dans tous les coins et recoins de la ville sainte. «Plus de 50 salles existent dans la cité de Touba», renseigne Serigne Tapha Mbacké. Le jeune chef religieux est un fervent adepte des arts martiaux. Il est très régulier aux entraînements, même s’il ne participe pas aux compétitions. La pratique des arts martiaux découle, selon lui, d’une volonté d’auto-défense, mais pas de velléité de combat. «Nous pratiquons, mais nous ne faisons pas de compétition, par contre il y a de grands combattants qui sont même en équipe nationale», se félicite Serigne Tapha Mbacké.

Karatéka chevronné, Serigne Modou Gning estime à 1000 les adeptes des arts martiaux dans la cité religieuse, si l’on tient compte de toutes les disciplines. À Touba, les entraînements se déroulent dans la soirée et des jeunes de tous les âges et des adultes se retrouvent dans les salles disséminées dans la ville pour pratiquer leur discipline favorite. «Cette discipline est pratiquée sans crainte parce qu’elle ne fait pas partie de la liste des interdits. Elle connaît de plus en plus d’adeptes. Nous sommes tous affiliés aux différentes fédérations des arts martiaux et les pratiquants participent à toutes les compétitions nationales. Touba, malgré ce que l’on pense, compte des champions du Sénégal dans les arts martiaux et un champion d’Afrique de karaté», renseigne Serigne Modou Gning.

Champion du Sénégal en espoir, junior et senior, Gning, qui a décroché le titre de champion d’Afrique en 2017 au Mali, estime que le karaté en particulier et les arts martiaux en général, ont de beaux jours devant eux. À condition de bénéficier de moyens. Selon lui, la floraison des salles à Touba montre la vitalité de cette discipline. «C’est le seul sport qui regroupe toute une famille dans une salle. Les combattants sont toujours ponctuels et vivent bien leur passion malgré les conditions difficiles dans lesquelles ils évoluent», note-t-il.

PLUS DE 2000 BALLONS SAISIS, AMENDES

Quand «Safinatoul Amane» veille au grain

Dans la cité religieuse de Touba, la pratique du football et de la lutte est formellement prohibée. Un tableau bien en vue énumère ces interdits. Et Dahira «Safinatoul Amane», une sorte de police locale, a été instruite de veiller à l’application des chartes et principes qui régissent la ville. La première chose qui frappe dès l’entrée dans le bâtiment de cette structure, c’est la dizaine de ballons en chiffons récupérés qui jonchent le sol. «C’est juste la collecte d’hier», informe Serigne Mouride Mbaye, le chargé de la communication de «Safinatoul Amane». Ce dernier révèle que l’an dernier, plus de 2000 ballons de football ont été saisis et incinérés. «Le football attire les jeunes talibés, qui désertent parfois les « daaras » et abandonnent les études coraniques pour ce sport dont l’interdiction figure sur la fiche de Serigne Abdou Lahad, signée par ses frères et reconduite par tous les khalifes et récemment par Serigne Mountakha», fait-il savoir.

Pour la lutte, précise-t-il, la cité comptait plus de 10 écuries. Cependant, relève-t-il, «l’image de ce sport n’est pas conforme au statut de la ville», pour la simple raison que «des gens exposent leur nudité ; ce qui est réprouvé par notre éthique». Pourtant, note-t-il, le judo n’est pas interdit. «C’est une forme de lutte, mais avec un port vestimentaire et il y a plusieurs dojos dans la ville».

Malgré les interdits, il y a toujours des réfractaires. «Plusieurs personnes ont payé des amendes pour avoir enfreint l’interdit. Et chaque année, nous incinérons des objets relatifs à ces activités prohibées dans la ville. Nous avons des brigades et des éléments dans toutes les localités qui nous aident dans cette traque contre les réfractaires qui rechignent à se conformer aux règles en vigueur», indique Serigne Mouride Mbaye.

Mamadou DIEYE

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