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LES AVATARS DE LA GUERRE CONTRE LE TERRORISME AU SAHEL

Le vendredi 30 septembre 2022, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba qui présidait la transition au Burkina à la suite du coup d’État de la fin du mois de janvier a été déposé par un putsch. Son intermède à la place du président Roch Marc Christian élu en 2015 et réélu en 2020 a duré huit mois. Selon les militaires qui ont décidé d’occuper les antennes de la Radiotélévision burkinabè (RTB) pour annoncer la nouvelle, c’est le capitaine Ibrahim Traoré qui prend la tête du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), l’organisation militaire qui avait mené le coup de force contre le président Kaboré.

Cet épisode a fait dire à certains commentateurs que le coup d’État est redevenu un moyen parmi d’autres de la conquête et de la conservation du pouvoir en Afrique de l’Ouest et au Sahel en particulier. Cette thèse est plus que contestable pour ne pas dire fausse. Depuis le premier coup d’État réussi de l’histoire contemporaine de la région (le 13 janvier 1963, Sylvanus Olympio, président du Togo est assassiné par des militaires qui mettent à sa place un civil, Nicolas Grunitzky), il est difficile de trouver une discontinuité chronologique dans ce phénomène même si on doit reconnaître que les années 1970 et 1980 ont été son « âge d’or ». Ce qui donne l’illusion d’un changement est l’attitude de la « communauté internationale » et des organisations interétatiques.

Elles ont rompu avec le sacro-saint principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États et peuvent par conséquent peser sur l’ordre interne en prenant des sanctions contre le pays et les autorités issues du coup d’État. C’est d’abord, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) qui deviendra Union africaine (UA) en 2002, qui a proscrit, en juillet 1999, les coups d’État. Cette même année, des putschs ont eu raison des gouvernements au Niger, en Sierra Leone, aux Comores et en Côte d’Ivoire.

En 2001, la CEDEAO dans son « Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de Gestion, de règlement des conflits, de maintien de la Paix et de la Sécurité » ira plus loin encore en stipulant en son article 1er que « tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir. » Depuis la signature de ce protocole et en ayant une lecture généreuse qui passe sous silence les manœuvres en vue du « maintien au pouvoir », on compte quatorze coups d’État. Il est évident que le changement anticonstitutionnel est une donnée constante de la politique sur le continent. Ce que les trois dernières années ont de particulier, si on compare cette période aux deux premières décennies du vingt et unième siècle, est la fréquence, plus rapprochée, des prises pouvoirs par les militaires. Ces bruits de bottes récurrents ont une racine : « la guerre contre le terrorisme » sur fond de crises socioéconomiques de tous ordres ! Ces révolutions de palais prennent prétexte de la détérioration de la situation sécuritaire causée les actions des groupes djihadistes et les divers groupes d’insurgés.

De quoi la « lutte contre le terrorisme » est-elle le nom ?

Depuis près d’une décennie la violence politique qui se réclame du djihadisme et d’autres logiques sévit dans le Sahel central en particulier au Burkina, Mali, Niger et Tchad. Au nom de la lutte contre ce phénomène trop rapidement nommé terrorisme, des coalitions hétéroclites d’États concernés et de puissances étrangères, d’organismes interétatiques, etc. se livrent à une guerre que tous admettent inadéquate pour résoudre les conflictualités et de ramener la paix. Pourtant, rien n’est fait dans la pratique pour un traitement politique des questions que tous reconnaissent comme relevant de cette sphère. La seule réponse aux contradictions qui minent la cohésion des sociétés sahéliennes reste l’escalade sécuritaire et la militarisation des processus décisionnels. Ainsi l’action publique se spécialise dans la « lutte contre le terrorisme », donnant corps avec ses administrations, ses juges, ses arsenaux juridiques, ses académies, ses corps d’élites, ses unités « cobras », etc.

Il faut dire que cette approche s’inscrit dans la grammaire de l’ordre international de la fin de la guerre froide. En effet, depuis le 11 septembre 2001 est apparue une rhétorique sécuritaire qui autorise la projection de forces militaires contre des groupes armés identifiés comme « terroristes » et hostiles à l’Occident et ses alliés. La guerre est portée dans leurs sanctuaires avec comme objectif de les faire disparaître militairement. Ce changement de paradigme est exploité par les pouvoirs pour ôter toute légitimité et criminaliser tous ceux qui les contestent. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les opposants les plus radicaux ou les moins accommodants sont traqués, les révoltes paysannes réprimées, l’espace des libertés publiques et individuelles restreints, l’autoritarisme grimé en « État de droit » et le militarisme érigé en mode de gouvernement.

De quoi la violence djihadiste est-elle le nom ?

Depuis 2011, le Sahel ne cesse de s’enfoncer dans la crise. Le Burkina Faso, le Niger, le Mali, et le Tchad sont aujourd’hui le théâtre d’événements violents quotidiens, résultant d’actes de terrorisme djihadiste, de conflits qui mobilisent des identités communautaires pour l’accès aux ressources et d’opérations de répression menées par les forces de défense et de sécurité. Cette forte insécurité a aussi pour toile de fond des trafics d’armes, de drogues, du grand banditisme. Cette situation provoque des drames humanitaires. Au Burkina Faso, le nombre de personnes forcées de fuir à cause des violences est passé de 82 000 en début 2019 à plus de 1,5 million au 30 avril 2022, 708 341 élèves sont affectés par la fermeture de 4258 écoles. De fin janvier à la mi-mai, 160 000 personnes supplémentaires ont été déplacées, tandis que plus de 530 incidents violents se sont produits soit une augmentation de 115 % par rapport à l’année précédente.

Les États sahéliens sont en difficulté, aux prises avec la pauvreté, les inégalités, la violence et l’existence de vastes espaces échappant au contrôle des États, administrés par des groupes armés avec des économies parallèles qui s’insèrent dans les réseaux internationaux de trafics divers. Cette déliquescence générale est à mettre en rapport avec les politiques d’ajustements structurels et le chaos néolibéral qui ont démantelé la capacité d’action des États. Les données en matière de développement humain en sont l’expression : le Burkina Faso, par exemple, est classé 182e sur 189 pays sur l’indice de développement humain du PNUD. Cet état des lieux est également l’expression de l’incapacité de l’État postcolonial à répondre aux immenses besoins sociaux de la majorité de la population. Il traduit aussi l’étendue des contradictions de classes au sein des sociétés. La violence constitue parfois la réponse des laissés-pour-compte à l’iniquité et la répression de la classe dominante. La question foncière ou immobilière, les rapports entre éleveurs et agriculteurs, le contrôle des marchés transfrontaliers, la gestion des communs sont des causes de cette conflictualité. La « guerre contre le terrorisme » au Sahel exacerbe les divers conflits et participe au délitement des États qu’elle est censée protéger.

Le militarisme est le terreau des aventures antidémocratiques

Encouragés par les pays occidentaux au premier rang desquels la France, les gouvernants des pays du Sahel se sont lancés dans l’escalade militaire comme réponse aux nombreux défis auxquels ils sont confrontés. À la violence des groupes djihadistes, des mouvements insurrectionnels ou des bandes de brigands, les autorités ont opposé la violence d’État. Celle-ci en arrive parfois, par manque de discernement, à pousser des communautés entières dans le camp des forces djihadistes. Le traitement politique des conditions socioéconomiques qui produisent les conflits est relégué au second plan pour ne pas dire occulté. L’action militaire est considérée comme l’alpha et l’oméga de la sortie de crise au lieu d’être un instrument parmi d’autres de la recherche de la solution. De proche en proche, on en est arrivé à une subordination du politique au militaire. Qui est le plus apte à, dans ses conditions, diriger si ce n’est le militaire ?

La violence dans le Sahel procède de plusieurs mécanismes et la résolution des crises nécessite des approches politiques. Il n’est nullement question ici de laisser entendre que les militaires sont inaptes à cette tâche, mais d’en souligner le caractère éminemment politique. L’histoire regorge de figures militaires qui par des approches politiques ont été de grands hommes d’État. Dans la sous-région, on peut citer Yacubu Gowon, Olesegun Obasanjo, Jerry John Rawlings, Thomas Sankara. Nul ne se fait d’illusion sur le caractère démocratique des pouvoirs que les putschistes font tomber. Il faut avoir une piètre idée de la démocratie et des principes constitutionnels pour considérer que Paul-Henri Damiba ou Alassane Dramane Ouattara en sont des incarnations.

Au Sahel, il faut ajouter du contenu au concept de sécurité et se rendre à l’évidence qu’elle ne peut se résumer à celle de l’État et des institutions. Il faut une approche multidimensionnelle centrée sur les populations. La légitimité de l’État à promouvoir doit reposer sur sa capacité à créer un cadre propice à l’épanouissement des populations. L’accès aux services sociaux de base est l’une des modalités et pas des moindres qui permet de légitimer les prétentions de l’État à assurer l’ordre et la concorde civile. Aider les pays sahéliens, c’est créer un cadre international qui leur permet de mettre en œuvre des choix de développement endogènes, créateurs d’emploi, valorisant les richesses du sol et du sous-sol au profit des populations, avec de larges programmes sociaux et des services publics accessibles aux populations.

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