Maraichage dans les Niayes pendant l’hivernage : quand les activités tournent au ralenti !
Sangalkam et Noflaye sont réputés pour leurs potentiels considérables dans la production des légumes. Cependant, en cette période d’hivernage, seulement 10% des producteurs s’investissent dans les activités agricoles. Confrontés qu’ils sont aux multiples difficultés : les sols lessivés, les fortes précipitations enregistrées et la canicule. En outre, les superficies des exploitations ont diminué substantiellement. Cela a entrainé une baisse de la production et, concomitamment, la cherté des prix des légumes.
Les champs en souffrance dans la zone offrent un spectacle désolant. Les herbes ont envahi littéralement les périmètres horticoles et les stigmates des inondations de l’année dernière sont encore visibles. Nous sommes à Sangalkam, Noflaye, dans la zone des Niayes, connus pour leurs potentiels considérables dans la production des légumes. Seulement, en cette période d’hivernage, très peu de producteurs s’investissent dans les activités agricoles, à cause des nombreuses difficultés liées aux sols lessivés, des fortes précipitations enregistrées et la canicule, entre autres.
La famille Senghor a vu son exploitation de 10 ha sinistrée. Certaines parties du champ sont submergées par les eaux pluviales. Alors qu’elles pouvaient servir à la culture de l’oignon, de gombo ou de la pomme de terre. Aliou Faye, le gardien, était absent à notre passage. Dans cette propriété, le visiteur est impressionné par la végétation. On se croirait dans une forêt. Les bêtes en divagation troublent le sommeil des paysans. «Les vaches de la localité pénètrent dans l’enceinte de l’exploitation pour paître», témoigne Mansour Diouf, agent de santé au dispensaire de Sangalkam, que nous avons rencontré sur les lieux.
Le chauffeur à la retraite, exerçant le maraîchage comme activité, a vu ses plants d’oseille de Guinée ravagés par les animaux en divagation. La devanture est dépourvue d’un mur de clôture. Par ailleurs, Habib Diao, un maraîcher, du village de Noflaye, nous révèle : «cette bande terre sur laquelle je mène les activités maraîchères appartient à la famille Senghor, apparentée au défunt président, Léopold Sédar Senghor, ancien chef d’Etat du Sénégal. C’est le gardien du site qui me l’a prêté. Sans cela, j’allais recourir à la location. Et je n’ai pas d’argent. Je me suis investi dans la culture de l’oignon. Ce n’est pas une activité facile. Je n’ai pas assez de moyens financiers. Les semences coûtent cher, les herbicides, l’engrais, entre autres».
Les tiges d’oignon ont jauni. Cela est lié aux rayons ardents du soleil mais aussi aux pluies. Ici, les espoirs d’une bonne récolte sont minces. Par contre, M. Diao est optimiste : «Avec l’aide de Dieu, les plants d’oignon vont retrouver leur cycle normal. Je vais faire un bon rendement. Incha-Allah ! Il me faut des tentes pour protéger mes plants de la pluie et du soleil. Cela demande beaucoup d’argent. La couleur qu’affichent les tiges, c’est passager !».
DES PRELLES DE PLUSIEURS HECTARES ET ARBRES FRUITIERS INONDES, DES PERTES ENORMES…
Malgré la sinistrose qui a gagné la zone, les arbres fruitiers inondés résistent. Les pertes, il y en a : plusieurs orangers et citronniers ne peuvent plus produire. Un mur de clôture sépare les deux champs : celui de Djiby Ka et l’exploitation de la famille Senghor. La première parcelle qui est de 2 ha est moins affectée. Un pan entier du mur a cependant cédé et les travaux de réparation/réhabilitation tardent encore. Car «il faut une importante somme d’argent pour réhabiliter la clôture d’abord et ensuite pomper l’eau». C’est pourquoi, ajoute le producteur, «il me faut prendre du temps pour réunir les fonds. Cela ne sera possible qu’après la commercialisation des récoltes». Evoquant l’hivernage, il indique : «Les plantes à fleurs, les concombres, la tomate, les aubergines sont très vulnérables pendant la saison des pluies. Les fortes précipitations ont ravagé beaucoup d’exploitations».
Le chef de quartier de Darou Salam, par ailleurs producteur, Djiby Ka, pense déjà à la saison qui va démarrer dans quelques jours. «Cette année, je vais faire la culture du goutte-à-goutte, le matériel doit me revenir à 1,200 millions de francs CFA. Sans compter la facture d’électricité. Elle peut me coûter 80 000 francs CFA par mois».
Très productifs, les périmètres maraîchers sont victimes de l’exploitation abusive. Aujourd’hui, on ne laisse pas les terres en jachère. Un moyen jadis très adéquat pour les fertiliser. Cela permettrait de pratiquer l’agriculture bio mais aussi d’atténuer les dépenses. Les produits des exploitations où il n’y a pas eu d’épandage d’engrais sont de meilleures qualités. «L’usage de l’engrais présente des inconvénients. Surtout pour la santé des populations. Sans engrais, les producteurs risquent de ne rien récolter. En vérité, le maraîchage est devenu une activité très couteûse et peu rentable», martèle Djiby Ka.
PENDANT L’HIVERNAGE, SEULS 10% DES PAYSANS SONT EN ACTIVITE, EXPLOITANT MOINS DU TIERS DES 500 HA EMBLAVES EN TEMPS NORMAL
A la Fédération des Producteurs Maraîchers des Niayes (FPMN), sis sur l’axe routier qui relie la localité à Kayar, un village de la région de Thiès, 6 ha sont exploités pour la production et l’expérimentation des semences : tomate, carotte, aubergine, entre autres. Pas un seul plant de légume ! L’espace est totalement dégarni. Les herbes se sont substituées aux plantes de légumes. L’eau des deux bassins est trouble. Sa couleur verdâtre témoigne de la léthargie dans laquelle la filière horticole est plongée, depuis l’installation de l’hivernage. Les maraîchers ont déserté les champs d’expérimentation de la Fédération. L’arrêt des activités est visible : il n’existe aucun produit au niveau de la plateforme de commercialisation. Les commerçants et les clients se font rares. Le forage ne fonctionne pas.
Le président de la Fédération des Producteurs Maraîchers des Niayes, Ibrahima Mbengue, souligne : «les producteurs affiliés à notre fédération, pendant l’hivernage, arrêtent les activités agricoles. Sur les 2700 membres que compte notre organisation, seuls 10% des paysans sont en activité pendant l’hivernage. En temps normal, nous exploitons 500 ha. Mais aujourd’hui, les surfaces exploitées sont en deçà du tiers des 500 ha. Toute l’activité tourne au ralenti».
Le premier producteur des maraîchers de la région de Dakar précise que «la filière est dans une mauvaise passe. A cause de la saison des pluies». Et de relever qu’ils ont «aussi hâte qu’on trouve rapidement une solution à cette impasse, au niveau de la tutelle». Car, «depuis la démission du ministre Ali Ngouille Ndiaye (ancien ministre de l’Agriculture, de l’Equipement rural et de la Souveraineté alimentaire, candidat déclaré à la présidentielle de 2024, ndlr), tout est bloqué», confiait-il à notre passage il y a quelques jours. Maintenant qu’un nouveau gouvernement est mis en place, avec la nomination d’un nouveau ministre à la tête du département de l’Agriculture et de l’Equipement rural, ils espèrent que les choses vont bouger.
LES FEMMES MARAICHERES, LA SAISON DES PLUIES ET LE BOULOT TRES HARASSANT
Cependant, le Groupement d’intérêt économique (GIE) des femmes du village de Sangalkam, malgré les aléas, s’est investi dans la culture des choux. Elles ont recruté un ouvrier agricole, Boubacar Demba Sylla, à cet effet. «Pendant la saison des pluies, l’activité de maraîchage est un boulot très harassant. Il faut entretenir constamment l es cultures, en arrachant les herbes. Les cultures sont hyper vulnérables aux pluies», fait-il savoir. Interrogé sur sa rémunération, l’ouvrier a révélé : «le GIE, après avoir défalqué toutes les dépenses, divise le reste par le nombre de parts».
C’est un canal qui sépare le champ de choux et le forage. La parcelle des femmes bénéficie d’un puits et d’un bassin. Le technicien agricole assure le suivi et l’accompagnement des producteurs. Selon Dieumb Mbengue, «la profondeur de ce puits est de 15 mètres. Il est rempli à cause de la nappe phréatique qui rejette de l’eau. Cela peut paraitre anodin. Loin de là, le problème reste sérieux. La menace d’une contamination de la nappe est manifeste. Le canal d’évacuation des eaux usées qui divise la parcelle constitue un danger pour les puits».
A cela s’ajoutent les sols qui ne sont plus fertiles. Quelle que soit leur nature : Sols ‘’dek’’, couche superficielle de l’écorce terrestre considérée quant à sa nature ou ses qualités productives, Sols ‘’dior’’, qui sont des sols ferrugineux tropicaux lessivés propices à la culture de l’arachide et du mil, etc. Ils ne favorisent plus l’activité agricole. Toutefois, pendant la saison sèche, «nous pouvons produire 90 sacs de 25 kg de semence de pomme de terre qui peuvent générer des rendements de 30 à 40 tonnes de production», a révélé le technicien agricole.
LAMINE DIEDHIOU