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Non, en Libye les migrants en centres de détention n’ont pas plus de chance d’être réinstallés en Europe

En Libye, des trafiquants font payer à des migrants leur entrée en centre de détention en leur faisant croire qu’ils seront plus rapidement évacués et réinstallés en Europe. C’est totalement faux mais plusieurs centaines de personnes, désespérées, ont déjà été victimes de cette arnaque.

Depuis l’été dernier, il arrive que des migrants paient pour être enfermés dans des centres de détention en Libye. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (UNHCR), informé de cette situation par des victimes de cette arnaque, les trafiquants demandent entre 200 et 500 dollars à certains migrants pour une place en centre de détention. Pour les convaincre de payer, ils leur promettent un accès facilité aux équipes du HCR et une réinstallation plus rapide en Europe.

« Les trafiquants leur font la promesse qu’une fois qu’ils auront payé, le HCR sera pour eux comme une agence de voyage vers l’Europe. Parfois, ils leur disent même que le HCR a déjà planifié un rendez-vous avec eux », s’indigne Vincent Cochetel, représentant du HCR pour la Méditerranée centrale, contacté par InfoMigrants.

Entre 200 et 500 dollars pour une place dans des centres dont les conditions de vie inhumaines (manque de nourriture et d’eau, absence d’hygiène et de soins, traitement dégradants…) sont régulièrement dénoncées par les ONG ? Pour Vincent Cochetel, le succès de cette nouvelle pratique des trafiquants est le signe d’une détérioration des conditions de vie des migrants en Libye. Si les personnes croient aux promesses des trafiquants et finissent par payer pour aller dans ces centres, c’est qu’elles se sentent trop en danger en dehors.

« Les gens sont désespérés »
« Beaucoup de quartiers de Tripoli sont touchés par des frappes aériennes et des coupures d’électricité et d’eau. Les gens se trouvent dans un cul de sac, ils n’ont pas assez d’argent pour traverser ou ne veulent pas prendre de risques car, avec l’hiver, l’eau est froide et la mer plus agitée. Ils sont désespérés et pensent qu’ils seront plus visibles dans ces centres », explique Vincent Cochetel.

Certaines nationalités craignent également l’enlèvement. En Libye, selon le représentant du HCR, moins on parle l’arabe, plus on a une couleur de peau foncée et plus les risques d’être enlevé sont élevés.

Pour alimenter cette nouvelle branche de leur économie, les trafiquants cibleraient en particulier les personnes membres des communautés érythréenne et soudanaise. Une rumeur persistante –bien que fausse – affirme que ces personnes ont plus de moyens financiers grâce à leurs diasporas.

Le sentiment d’insécurité des migrants risque d’être renforcé par la fermeture, fin 2019, du centre de rassemblement et de départ (Gathering and Departure Facility, GDF) du HCR, à Tripoli. Pour compenser la fermeture de ce centre surpeuplé, L’agence onusienne assure qu’elle va renforcer ses programmes d’assistance dans des zones urbaines. Mais depuis avril 2019, le sud de la capital libyenne est en proie à un conflit armé.

En juillet 2019, le centre de détention de Tajourah, près de Tripoli, a été la cible d’une frappe aérienne qui a fait plus de 44 morts et 130 blessés.

« Les gens n’ont pas besoin d’être en détention pour être enregistrés »
Pour les migrants qui ont accepté de payer pour se retrouver en centres de détention, les voies de recours sont inexistantes. Surtout dans un pays où « le système de détention officiel fait partie du ‘business model’ des trafiquants », estime Vincent Cochetel,

Le HCR lui-même reconnaît qu’il ne peut pas faire « grand-chose de plus que de prévenir les gens qu’ils n’ont pas besoin d’être en détention pour être enregistré ». « On essaye de faire passer le message dans différentes communautés. Mais parfois, ce qu’on dit a moins d’impact que le discours des trafiquants », déplore le représentant du HCR.

Face à ce nouveau danger pour les migrants, la solution est de renforcer l’information dans les langues que les gens parlent. « Nous devons aussi bien équilibrer nos efforts de réinstallation pour qu’il n’y ait pas la perception qu’on réinstalle plus les gens en détention que ceux en milieu urbain », ajoute Vincent Cochetel.

Depuis novembre 2017, le HCR a mis en place un système d’évacuation des réfugiés susceptibles d’obtenir une protection internationale dans un pays européen. Pour cela, les personnes doivent avoir été enregistrées en tant que réfugiés par l’agence onusienne. Ces enregistrements se font depuis les centres de détention officiels gérés par le département de lutte contre la migration illégale (DCIM, selon l’acronyme anglais) ou depuis le centre du HCR, à Tripoli.

Les migrants évacués sont alors envoyés vers le Niger ou le Rwanda, dans l’attente de leur réinstallation dans un pays d’accueil. Mais les États européens et le Canada n’acceptent les réfugiés qu’au compte-goutte. Sur les quelques 50 000 réfugiés enregistrés par le HCR en Libye, seuls quelque 4 600 ont été réinstallés depuis novembre 2017.

Les migrants qui parviennent à quitter les centres de détention et tentent de rejoindre l’Europe par la mer sont quasi-systématiquement interceptés par les garde-côtes libyens et renvoyés en détention.

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