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Palestine : Le principe de soutien historique du Sénégal est-il en train de changer ?

Le 21 mai dernier au moment de la montée des violences sur l’affaire Sheikh Jarrah, des milliers de Sénégalais manifestent en faveur de la Palestine dans les rues de Dakar et dans d’autres villes du pays. 

L’ambassadeur de la Palestine au Sénégal, Safwat Ibraghith, se dit avoir été surpris par le soutien des sénégalais.

“Nous avons été submergé par l’élan de sympathie des Sénégalais qui sont naturellement venus nous consoler, des Sénégalais qui souhaitent rejoindre l’armée de la Palestine et se battre à nos côtés. C’est inédit. Je n’ai jamais vécu ça et je n’oublierai jamais cela. C’est un message fort et courageux. Ça nous a touché et impressionné”, dit-il à BBC Afrique.

Cependant, la situation au Sénégal devient plus complexe.

Macky Sall, le discours qui fâche 

Mahmoud Abass et Macky Sall
Légende image, Mahmoud Abass et Macky Sall

Lors de la fête de l’Aid-El Fitr en mai dernier, le président sénégalais Macky Sall, a lancé un “appel” aux Israéliens et aux Palestiniens “pour une désescalade, afin que la paix revienne et que les discussions saines et sereines puissent être engagées entre ces deux communautés dans le respect du droit international”.

Cette prise de position ne correspond pas à la politique habituelle du Sénégal relative au conflit israélo-palestinien.

De Léopold Sédar Senghor à Macky Sall, la diplomatie sénégalaise a toujours été du côté de la Palestine. C’est pour cette raison que le Sénégal préside depuis 45 ans le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien créé en novembre 1975 par les Nations unies. 

Vous pouvez donc comprendre pourquoi le discours de Macky suscite des interrogations.

Le Mouvement de la réforme pour le développement social (MRDS), un parti politique sénégalais à orientation islamique, souligne que le discours de Macky Sall “a bien pris soin de ménager Israël, en évitant toute dénonciation ou condamnation”.

“Le discours semble annoncer un changement de cap du gouvernement du Sénégal dans sa position, d’habitude affichée, de soutien au peuple Palestinien martyr”, indique le MRDS dans une déclaration.

Pape Diogoye Faye, directeur de publication du journal sénégalais Direct News, affirme pour sa part que le discours de Macky Sall “rompt avec la ligne diplomatique du Sénégal”.

“Si le président met dos à dos Israéliens et Palestiniens, il y a déphasage entre le peuple et le gouvernement. La manifestation du 21 mai dernier prouve que le peuple sénégalais tient à cette tradition de soutien à la cause palestinienne. Pour des raisons géostratégiques et de sécurité car on sait qu’Israël est un pays phare de l’espionnage et sans doute le Sénégal ne veut pas se mettre à dos une telle puissance”, explique le journaliste. 

Des diplomates sénégalais à la retraite interrogés par BBC Afrique pointent du doigt les intérêts économiques comme une motivation possible pour ce changement de politique. 

La BBC a tenté à plusieurs reprises d’entrer en contact avec le ministre sénégalais des Affaires Etrangères et le porte-parole du président Macky Sall. Sans succès.

Qu’est ce qui a changé ?

Pourtant en décembre 2016, le Sénégal avait parrainé avec la Nouvelle-Zélande, la Malaisie et le Venezuela, la résolution 2334 du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant la colonisation israélienne dans les Territoires palestiniens. Les Etats-Unis s’étaient abstenus ouvrant ainsi la voie à l’adoption de la résolution.

Israël avait réagi en rappelant son ambassadeur au Sénégal pour consultation et en annulant purement et simplement des programmes de coopération avec le Sénégal.

La vice-ministre des affaires étrangères, Tzipi Hotovely, déclarait à l’époque “qu’on ne peut pas considérer Israël comme acquis”.

“Les pays ne devraient pas pouvoir faire des pèlerinages en Israël pour s’informer sur la lutte contre le terrorisme, la cyberdéfense et les technologies agricoles, et à l’ONU faire ce qu’ils veulent”, disait-elle, citée par l’AFP.

Les deux pays vont finalement renouer en 2017.

Longue tradition de solidarité vis-à-vis de la Palestine

L'ambassadeur de la Palestine à Dakar
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Le Sénégal, pays majoritairement musulman, a longtemps été un fervent défenseur de la cause palestinienne et un acteur majeur sur la scène internationale ouvertement pro-palestinien. Ce soutien est antérieur à l’indépendance du Sénégal, selon l’ambassadeur de la Palestine à Dakar que BBC Afrique a rencontré.

“Il y a plus de 200 ans, Elhadji Oumar Foutiyou Tall est passé par la Palestine en route pour le Pèlerinage. Le lien entre les deux peuples est bien antérieur à l’indépendance du Sénégal”, raconte-t-il.

En plus d’Elhadji Oumar Tall, l’ambassadeur cite le guide religieux tidiane de la famille Niasse de Médina Baye “connu et reconnu comme un fervent défenseur de la Palestine”.

“Cheikh Al Islam Cheikh Ibrahim Niasse avait visité la Palestine en 1954 et avait noué des liens institutionnels avec le grand mufti de la Palestine Haj Amine el Husseini qui lui avait demandé de guider la prière à la mosquée Al Qods”, rappelle M. Ibraghith.

Lors de l’affaire Sheikh Jarrah, presque toutes les familles religieuses du Sénégal ont témoigné leur solidarité à la Palestine à travers des déclarations publiques de soutien.

“Même les chrétiens nous ont soutenu”, déclare M. Ibraghith.

Ce soutien de la communauté chrétienne s’inscrit en droite ligne avec la politique du premier président sénégalais, chrétien de confession.

Senghor et Diouf, des alliés constants
Abdoulaye Wade se voyait en médiateur de la crise israélo-palestinienne. A cet effet, il avait organisé à Dakar en 2008 “un processus de dialogue fraternel visant à aplanir les divergences et à réconcilier la famille palestinienne”.

L’ancien ministre d’Etat Habib Sy, directeur de cabinet du président Wade pendant les dernières années de sa présidence, se souvient de la volonté de l’ancien président de résoudre le conflit. 

“Nous avons accueilli ici Mahmoud Abass lors du sommet de l’OCI en 2008. Le président Wade s’est beaucoup investi pour la résolution du conflit. Il entretenait de bonnes relations avec les Palestiniens. Il avait aussi de bonnes relations avec la Communauté mondiale juive. Il a aussi réussi à nouer des relations d’amitié avec le président américain Georges Bush Jr. Tout cela c’était dans le but de résoudre le conflit”, explique M. Sy.

Wade était pour une solution à deux Etats.

A l’occasion du débat général de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York en septembre 2011, Abdoulaye Wade proposait ce qu’il a appelé un modèle nouveau pour rapprocher les Israéliens et les Palestiniens. 

“Au nom de la paix et de la justice, j’en appelle une fois de plus au gel des colonies de peuplement en terre palestinienne et à l’arrêt de la violence sous toutes ses formes, conditions sine qua non d’une reprise des négociations entreprises par d’autres pays, en vue d’un règlement pacifique du conflit dans l’intérêt des peuples palestinien et israélien et pour la stabilité du Moyen-Orient dans son ensemble”, avait-il déclaré.


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