PORTRAIT I Amadou Gakou, Un record du Sénégal parti pour être centenaire…

Arrivé à l’athlétisme contre son gré, Amadou Gakou qui préférait de loin le football est pourtant devenu une icône de la première discipline au Sénégal. D’ailleurs, son record national du 400 m (45’’01), vieux de 52 ans, est parti pour tenir encore un demi-siècle.
C’est l’histoire d’un petit ailier qui courait si vite, même balle au pied, que lorsqu’il avait fini de déborder et au moment de centrer, il avait largué tout le monde y compris ses propres partenaires dont aucun n’était en place dans la surface de réparation adverse pour exploiter son service. Alors, à l’Union sportive indigène (Usi) dont il était sociétaire, on a décidé de l’envoyer à la section d’athlétisme de l’Us Gorée. Mais puisque cela n’avait pas été clairement spécifié aux dirigeants du club insulaire, c’est encore au football que le nouveau venu avait atterri. «Et lors du travail hivernal aux Champs de Courses de Dakar, je battais les plus rapides dont Saër Sène, sur la longueur du terrain. Alors, on décida de m’orienter vers la section d’athlétisme. Mais je n’étais pas d’accord. Il a donc fallu une semaine de négociations pour que je consente à quitter le football que j’aimais tant pour l’athlétisme», rappelle l’intéressé.
L’intéressé, c’est Amadou Gakou. Et l’histoire du Sénégal peut remercier ces dirigeants de l’Usi et de l’Us Gorée (Ndiogou, Pape Seck, Mamadou Seck, actuel chef de quartier de Castors et le vieux Daouda Faye entre autres) d’avoir insisté. C’était en 1960 et ils avaient eu le nez creux, parce qu’ils venaient de lancer celui qui sera l’un des plus grands athlètes sénégalais de tous les temps. La preuve ? Son record national du 400 m (45’’01) – qui a également été celui d’Afrique pendant 2 ans – réussi en finale des Jo de Mexico en 1968 n’est toujours pas battu. 52 ans après ! «Et il pourrait durer encore au moins aussi longtemps si rien n’est fait pour remettre notre athlétisme national sur les rails de la performance», regrette-t-il.
C’est donc en traînant les pieds qu’Amadou Gakou est arrivé à l’athlétisme. Au 100 m et au 200 m d’abord, sur la piste en cendrée du stade Iba Mar Diop. Puis, s’étant essayé au 400 m, il réussit un temps de 58’’ dès sa première course. Alors, il migra aussitôt vers le «sprint long», surtout que pour la fête de l’indépendance, il avait eu l’occasion d’affronter des champions tels Abdou Sèye et Bernard Dibonda, en plus sous les yeux du président Senghor lui-même. Il termina 3ème derrière ces deux-là et tomba dans les pommes. Ce qui allait devenir comme une habitude. «Là où les autres attendaient la dernière ligne droite pour mettre le paquet, moi je partais comme une fusée dès que le départ était donné», raconte-t-il aujourd’hui. Et de dire dans un éclat de rire qu’il était déjà un adepte du «dem ba jeex» («aller au bout de ses possibilités»). C’est ainsi donc qu’à l’arrivée de presque toutes ses courses, il s’évanouissait. Comme aux Jo de Mexico où il avait fallu le réanimer des séries à la finale.
Fraction de seconde d’inattention
Une finale qu’il avait bouclée au pied du podium. «J’étais 4ème et j’étais très content parce que je n’avais eu qu’un mois de préparation là où les Américains dont Lee Evans, le vainqueur, qui m’avaient battu s’étaient préparés en altitude pendant 4 mois avec plusieurs compétitions à la clé». Pourtant, après 350 mètres de course, Gakou s’était dit qu’il avait le titre olympique en poche. Or c’est cette fraction de seconde d’inattention qui lui a peut-être coûté une médaille. N’empêche, cela restera LA performance de Gakou dont le palmarès est particulièrement élogieux. Pour cause, un an après être venu à l’athlétisme, il remportait l’or au 400 m et 4X400 m aux Jeux d’Abidjan en 1961 avant de récidiver 2 ans plus tard aux Jeux de l’Amitié de Dakar. Mais pour ses premiers Jo en 1964, une périostite l’avait empêché de s’illustrer. L’année d’après aux Jeux africains de Brazzaville, classé 3ème au 400 m, il avait décroché l’or au 4X400 m avec Mamadou Sarr, Mandiaye Ndiaye et Daniel Thiaw.
Arriva ensuite l’année de grâce 1968, sur les hauteurs de Mexico (2250 m) ! Malgré une préparation en altitude à Font-Romeu en France, chahutée par une rage de dents, Amadou Gakou avait laissé entrevoir de belles choses. Et après un acclimatement express sur les lieux de la compétition, il claqua donc ce record national sur le tour de piste qui dure depuis plus d’un demi-siècle. Il est d’ailleurs convaincu qu’il aurait pu l’améliorer dans les 4 ans qui avaient suivi, surtout aux Jo de 1972 à Munich. «Mais, après Mexico, il n’y a pas eu d’évaluation, encore moins de projection», note-t-il. Si bien que pour Munich, les conditions étaient exécrables. «On logeait dans une vieille chapelle et au réfectoire on avait le même régime alimentaire que des jeunes de 7 ans», regrette Amadou Gakou qui a été éliminé dès le 2ème tour. «Pour quelqu’un qui avait fini 4ème aux précédents Jo, je devais faire plus. Et j’étais si déçu de n’avoir pas été mis dans les meilleures conditions de performance que j’avais boudé le 4X400 m».
«Découragé», Gakou s’était retiré des aires de compétitions à son retour au pays pour devenir prof d’Eps au lycée Blaise Diagne notamment. Lui qui a également été recordman du Sénégal du 800 m en 1964 (1’50) et réussi 4’15 au 1500 m, est bien placé pour soutenir qu’aujourd’hui encore «l’athlétisme sénégalais ne marche pas». Selon lui, tant qu’on ne retournera pas aux fondamentaux (par exemple en hivernal travailler la musculation, l’endurance, la résistance et la vitesse) et aussi longtemps que les infrastructures de base ne suivront pas, il sera difficile de faire redécoller la discipline.
«Il faut un +ndëp+ national pour voir comment repartir de l’avant», propose-t-il. Autrement, la première discipline olympique ira de mal en pis chez nous et son record promet d’être au moins centenaire. Depuis 1968, seul Ibrahima Wade s’en était approché, à 2 centièmes. Puis plus rien. «Et j’en souffre ; puisqu’un record est fait pour être battu». Le sien sur 400 m semble échapper à la règle.