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Pourquoi la promotion des discours racistes dans les médias est une très bonne chose

En prenant comme point de départ le retour triomphal d’un éditorialiste condamné à plusieurs reprises pour « provocation à la haine raciale » sur une chaine d’information en continu, ce billet expose les 7 bonnes raisons de considérer la promotion des discours racistes par des médias et certaines formations politiques comme une formidable opportunité à saisir pour le combat antiraciste

A partir d’Octobre 2019, le retour en grande pompe d’un éditorialiste condamné à plusieurs reprises pour « provocation à la haine raciale » sur une des principales chaines d’information en continu, avait suscité une vague d’indignation. Quand on connait le goût immodéré du principal intéressé pour les « dérapages » calculés et autres « phrases choc », on peut d’ores et déjà prédire que les nombreuses polémiques suscitées par ses déclarations sont promises à un avenir plutôt radieux.
Pourtant, sans remettre en cause ni sous-estimer la nocivité et la dangerosité des discours portés par ce genre d’ «agents provocateurs », on peut néanmoins considérer le soutien apporté par certains médias et plusieurs formations politiques à un colporteur de haine notoire comme une belle opportunité à saisir pour l’antiracisme.
Dans ce billet, j’expose les 7 raisons pour lesquelles nous pouvons considérer la promotion des discours racistes par une frange (minoritaire ) de la « France d’en haut » comme une (très) bonne chose.

Remarques préliminaires.

Pour couper court aux procès d’intention et afin de rassurer les âmes fragiles qui ont été bouleversées par le titre (volontairement) provocateur de l’article, commençons par faire deux précisions importantes.

Premièrement, il serait dangereux et irresponsable de sous-estimer la nocivité et la dangerosité des discours visant à attiser l’hostilité à l’encontre de certains groupes humains réduits à des traits essentiellement négatifs et anxiogènes. L’histoire humaine, en particulier celle des cinq derniers siècles, fourmille d’innombrables exemples de crimes de masse qui ont été précédés de récits, des productions écrites et/ ou orales ayant servi à les légitimer. Le fanatisme, qu’il soit d’inspiration ethno-raciale, religieuse, nationaliste ou idéologique tue aveuglément, massivement. [1]

Deuxièmement, j’ai le plus grand mépris pour certains discours paternalistes qui, au nom d’une conception bien étrange et surtout très pédante du « raisonnable » et de la « maîtrise de soi », incitent les groupes qui protestent contre les discours haineux dont ils sont la cible, à ne pas céder à leurs « émotions ». Pour reprendre une métaphore du militant afro-américain des droits humains, Malcolm X, on voit mal comment une personne à qui on enfonce un poignard dans la poitrine pourrait se contenter de « souffrir pacifiquement », en silence, par peur de se « victimiser». L’indignation face à la propagation des discours racistes est non seulement légitime; elle est salutaire.

Un tel rappel suscite parfois des commentaires railleurs voire réprobateurs des maîtres de la raison, mobilisant une rhétorique éculée, qui ressemble à peu près à ceci : « Non mais, y en a marre de ces discours qui culpabilisent toujours les mêmes! A un moment donné, il va falloir arrêter la victimisation permanente ». « Victimisation », vous dites ? Très bien ! Qu’on vienne me chercher sur le terrain de la « pleurniche victimaire » et je me ferai un plaisir de démontrer que les professionnels de la « pleurniche » sont surreprésentés chez ces intellectuels qui profitent des nombreuses tribunes médiatiques dont ils disposent pour dénoncer le prétendu « totalitarisme intellectuel » dont ils se disent victimes. Un(e) apôtre de l’anti-victimisation averti(e) en vaux deux…

Après cet effort de clarification, nous pouvons désormais filer droit au but !

Les 7 bonnes raisons de considérer la promotion des colporteurs de discours haineux comme une opportunité en or (pour l’antiracisme)

Il est possible en effet de considérer que la promotion, par une partie de la presse écrite (Le Figaro, Valeurs Actuelles), audiovisuelle (CNews du groupe Canal+, Paris Première, du groupe M6) et les dirigeants de certaines formations politiques (Les Républicains, Debout la France, Rassemblement National) que je m’abstiendrai de nommer, d’un éditorialiste condamné à plusieurs reprises pour « provocation à la haine raciale », n’est pas forcément une mauvaise chose ; bien au contraire.

Il y a au moins 7 bonnes raisons d’y voir un signe très encourageant dans la mesure où cela permettra notamment de faire tomber des masques et lever définitivement quelques ambiguïtés dans la lutte contre le(s) racisme(s).

La surmédiatisation des professionnels de la « provocation à la haine raciale » révèle une déconnexion croissante entre une partie du monde médiatique et le reste de la population, en particulier les classes populaires.
On ne parle évidemment pas de tous les médias « mainstream », ni de la majorité d’entre eux. Les lignes éditoriales de Politis ou de Libération sont sensiblement différentes de celles du Point ou de Valeurs Actuelles ; le Monde diplomatique ne porte pas sur l’actualité le même regard que le Figaro Magazine.

En revanche, un des principaux enseignements de l’extraordinaire sursaut des « gilets jaunes » est que les questions du pouvoir d’achat, des inégalités et injustices sociales, de l’accès à un emploi non-précaire figurent parmi les principales préoccupations des classes populaires et d’une bonne partie des classes moyennes.

Mais force est de constater que beaucoup de médias n’ont pas tiré les leçons du « réveil » aussi bien inattendu que spectaculaire d’une France longtemps restée invisible. Les personnes qui enchainent les emplois précaires ou les fins de mois difficiles sont toujours aussi invisibles et surtout inaudibles à la télévision où les catégories professionnelles supérieures demeurent largement surreprésentées. [2] Ainsi, d’après le Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA) , « le nombre de personnes perçues comme étant en situation de précarité sur la vague 2018 du baromètre (de la diversité) est bien en deçà de la réalité économique et ne s’élève qu’à 0,7 % »[3]dans un contexte où le nombre de personnes occupant un emploi précaire est pourtant estimé à 13% de la population active.

Qu’à cela ne tienne ! En guise de « porte-voix des classes populaires », certains médias n’ont trouvé rien de mieux qu’un éditorialiste dont le talent le plus remarqué et pour lequel il est payé consiste principalement à taper (avec la bénédiction d’un « système » qui le rappelle à l’ordre, de temps en temps, c’est vrai) sur des groupes d’autant plus dominés qu’ils n’ont même pas le privilège de choisir celles et ceux qui vont parler en leur nom. [4] En matière de courage politique, difficile de faire mieux…

  1. Désormais, on sait qui peut donner des leçons d’antiracisme, y compris sur la question de l’antisémitisme.

Les médias et politiques qui assurent la promotion des personnalités condamnées pour provocation à la haine raciale devront désormais se tenir à carreau dès lors qu’il s’agit de faire de la « pédagogie » sur le racisme, sous toutes ses formes. On les attendra au tournant, en particulier sur la question de l’antisémitisme, qui est LA forme de racisme unanimement rejetée et condamnée par les médias et les politiques de tous bords. D’ailleurs, le parti de droite méga-décomplexée (Rassemblement National, ex Front National) dont le fondateur et leader historique a été condamné à plusieurs reprises pour des propos négationnistes, ne considère-t-il pas que la question de l’antisémitisme est l’ultime haie à franchir dans sa course effrénée vers une « dédiabolisation » en bonne et due forme ?[5]

On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre ; on ne peut pas donner une tribune à des « marchands de haine »[6]pour faire de l’audimat ou dans l’optique de choyer un électorat que l’on estime hostile aux immigrés[7] et, en même temps, prétendre maintenir un minimum de crédibilité dans la lutte contre le(s) racisme(s).

Sur Twitter, la journaliste Christine-anti-victimisation-Kelly [8]se réjouit régulièrement des records d’audience de Face à l’info, l’émission qu’elle anime quotidiennement sur C News et dont la principale vedette est le Soljenitsyne français : Éric Zemmour. On oublie souvent que pendant plusieurs années, la chaîne C News a dû faire face à de lourds déficits financiers, notamment suite au départ massif des journalistes de la chaine en 2016.[9] Pour combler ces pertes et regagner des parts de marché, la chaîne a donc choisi de se positionner sur un créneau commercial dans lequel ses gains seront inversement proportionnels à sa légitimité à donner des leçons sur l’antiracisme. Dont acte!

  1. La promotion médiatique des « marchands de haine » permettra d’identifier ces derniers pour ce qu’ils sont : des agitateurs payés et promus par une « caste politico-médiatique » au nom de la pluralité des idées…jugées tolérables par le « système »

Suite à son éviction par la chaîne d’information I>télé en 2014, Éric Zemmour avait déclaré dans les colonnes du journal Le Parisien : « Je ne vois pas d’autre terme que celui de mise à mort : il y a clairement une volonté de m’éradiquer des médias de la part de certains. (…) Dans les régimes totalitaires, on ne sait jamais si on est attaqué par le haut ou par le bas », disait Soljenitsyne. Selon moi, cette définition s’applique à la France d’aujourd’hui. »[10]

Il y a néanmoins une toute petite différence entre l’URSS qui avait déporté Soljenitsyne dans un camp de travaux forcés (le goulag) et la « France (totalitaire) d’aujourd’hui » qui permet tout de même à Éric Zemmour de passer quotidiennement à la télé et de signer des billets dans la presse écrite. Ayant dit cela, j’anticipe déjà les protestations outrées des admirateurs de l’éditorialiste qui se ruent sur chacune de ses vidéos sur internet pour saluer son « courage », son « talent », sa « culture générale » et son « incroyable endurance » face aux « persécutions du système ». En guise de réponse à ceux qui font observer que leur héros est quand même très présent dans les médias en plus d’être soutenus par des personnalités politiques de premier rang (notamment à droite), les fans de Zemmour rétorquent souvent : «Bon, c’est vrai qu’il est invité partout mais il en prend plein la gueule! Et il doit en plus se défendre face à une horde journalistes bobos qui le persécutent et le diabolisent.» Bof… L’argument aurait pu être convaincant si d’autres personnalités condamnées pour « provocation à la haine raciale » et qui ont publiquement invité Eric-Soljenytsine-Zemmour à débattre, n’étaient pas totalement bannies des médias mainstream. On peut notamment citer l’activiste panafricaniste Kemi Séba, lui aussi condamné pour provocation à la haine raciale, qui avait déclaré en 2016 : « Ce n’est pas Zemmour qui est fort, ce sont ses adversaires qui sont dramatiquement faibles. (…) Donnez-moi 5 minutes en direct avec Zemmour et je le fume comme une cigarette. »

Allô, C News ? Paris-Première ? Canal + ? BFM TV ? C’est comment ? Y a quelqu’un ?

Bon, en même temps c’est vrai que depuis un décret datant du 15 novembre 2006, il est désormais interdit de fumer dans « tous les lieux fermés et couverts accueillant du public ou qui constituent des lieux de travail ». [11] Les plateaux de télévision sont évidemment concernés par cette législation. Kemi Seba n’aura donc pas la possibilité de « fumer » Eric-Zemmour en direct à la télé, pour le plus grand malheur des amateurs de « duels au sommet » et autres « clash » entre pointures du « politiquement incorrect ». C’est l’industrie du tabac qui doit être triste…

  1. Le racisme qui s’exprime dans les médias est bel et bien un « racisme d’en haut », et il se porte à merveille !

Voilà une très bonne nouvelle pour l’image des classes populaires auxquelles on associe souvent les pires tares de la société (conservatisme, racisme anti-immigrés, vote d’extrême droite, etc…). Certes, il y a une forme de lâcheté dans cette frange identitaire de la « France d’en haut » qui laisse libre cours à un racisme ultra-décomplexé en se servant des classes populaires comme alibi.[12] Mais ceci n’est qu’une des nombreuses forfaitures auxquelles cette partie de la « France d’en haut » nous a hélas habitués

  1. On aurait tort de surestimer le pouvoir de contrôle de l’opinion et de nuisance des médias.

Croire que les gens (en général, les autres) sont des moutons qui gobent tout ce qu’on leur raconte sur les chaines de télévision ou à la radio est hélas un lieu commun très fréquent. On pourrait citer mille exemples qui prouvent le contraire mais on peut se contenter de deux exemples, assez significatifs : la victoire du « non » au référendum constitutionnel en 2005 malgré une campagne médiatique massive pour le « oui », l’élection de Trump aux États-Unis en dépit de l’hostilité de l’écrasante majorité des médias.

Par ailleurs, la plupart des études sur la réception convergent vers le constat suivant : même les personnes les moins diplômées n’adhèrent pas à des idées simplement parce qu’elles sont répétées en boucle dans les médias.

Certes, les médias peuvent dire à quoi penser en hiérarchisant les informations (processus qui correspond à l' »agenda setting » dans le jargon de la communication); cela ne veut pas dire pour autant que le public adhère à tout ce qu’on lui raconte. La lecture de contenus diffusés par la presse écrite ou audiovisuelle peut servir à renforcer des convictions préexistantes mais l’ampleur de la défiance et du rejet des messages de la part de ceux qui en sont les destinataires ne doit pas être sous-estimée.

  1. Face à l’inexorable montée en puissance des réseaux sociaux, certains médias essaient, tant bien que mal, de rivaliser, y compris en faisant du buzz sur le marché de la haine raciale.

Au risque de nous répéter, rappelons tout de même que le plus important mouvement social de ces vingt dernières années est parti d’une pétition lancée sur les réseaux sociaux. Ni les médias mainstream, ni les partis politiques, ni les syndicats n’ont été avisés par un mouvement qui a rejeté toutes les formes de récupération et qui a été massivement soutenu par l’opinion pendant plusieurs semaines.

Internet et les réseaux sociaux sont souvent décrits comme le réceptacle des pires idées, ce qui est en partie vrai, mais c’est aussi une formidable alternative pour s’informer et peser sur le débat public autrement. Pour le meilleur et pour le pire… Y aurait-il eu une « affaire Benalla » sans les réseaux sociaux ?

Pour en revenir à la lutte contre les discours haineux, il est tout de même étonnant qu’en pleine pandémie, des parlementaires aient jugé prioritaire le fait de voter une loi contre la haine sur internet alors que les colporteurs de discours imitant à la haine raciale s’expriment tranquillement à la télévision. C’est quels bails ça, wesh ?

  1. Le piège tendu par les « marchands d’illusion identitaire »[13] se referme souvent sur ces derniers.

On se souvient qu’en 2007, Nicolas Sarkozy s’était fait élire sur la promesses de « travailler plus pour gagner plus » mais aussi, et on l’oublie trop souvent, sur l’engagement de réduire drastiquement le chômage, comme en témoigne cet échange avec la journaliste Arlette Chabot sur le plateau de l’émission « à vous de juger » en décembre 2006 :

  • Je veux m’engager, par exemple, sur le plein emploi: 5% de chômeurs à la fin de mon quinquennat. (…) Si on s’engage sur 5% de chômeurs et qu’à l’arrivée il y en a 10, c’est qu’il y a un problème.
  • Vous dites: objectif 5% pour le chômage. Si vous êtes élu, au bout de votre mandat, au bout de cinq ans, vous n’arrivez pas à ce chiffre, vous dites: « Je ne peux pas me représenter »?

—Je dis aux Français: « C’est un échec et j’ai échoué. Et c’est aux Français d’en tirer les conséquences ».»[14]

Le déroulement des faits à l’issue de ses cinq années de présidence allait démontrer que Nicolas Sarkozy est un authentique génie de la politique, n’en déplaise à ses très nombreux détracteurs. En effet Nicolas Sarkozy avait non seulement vu juste sur l’évolution du taux de chômage (qui s’élevait à 10,5% au quatrième trimestre 2012) mais il ne s’était pas trompé non plus sur les conséquences que les Français allaient tirer de son « échec ». Ainsi, le 22 avril 2012, malgré une campagne très droitière fortement axée sur les thèmes d’immigration et d’identité, sous la houlette du journaliste et politologue Patrick Buisson, Nicolas Sarkozy était « remercié » par les Français à l’issue du deuxième tour de l’élection présidentielle qui l’opposa au candidat socialiste François Hollande.

Autre exemple : en 2016, Manuel Valls, alors premier ministre du gouvernement de François-« moi président »-Hollande, estimait que la bataille pour l’élection présidentielle de 2017-qu’il espérait sans doute pouvoir gagner- se jouerait sur la « bataille culturelle et identitaire ». Alors que son gouvernement battait des records d’impopularité et avait échoué à «inverser la courbe du chômage », Manuel Valls déclarait tranquillement en avril 2016: « Bien sûr, il y a l’économie et le chômage, mais l’essentiel, c’est la bataille culturelle et identitaire. »[15]

Hélas, comme pour Nicolas Sarkozy, le piège identitaire s’est refermé sur Manuel Valls. Après avoir pris une déculottée monumentale lors de la primaire socialiste face à Benoit Hamon- un rival sur lequel il n’hésita pas à faire peser les accusations d’« islamo-gauchsime »- et après avoir trahi sa promesse de soutenir le candidat socialiste à l’élection présidentielle, Manuel Valls est parti se relancer à Barcelone où il est désormais élu au conseil municipal de la ville. Cela ne l’empêche pas de lancer régulièrement des appels du pied au président de la République actuel, Emmanuel Macron. De Manu à Manu, on peut bien s’arranger, non ?

Conclusion : plus on parle d’identité, d’immigration, d’islam(isme), voire d’« insécurité culturelle », et moins on parle de CDI, CDD, conditions de travail, inégalités sociales et salariales, précarité, « inversion de la courbe du chômage », toussa, toussa…Évidemment, il arrive que certains abordent simultanément tous ces sujets mais dans le cas des « marchands d’illusion identitaire », la balance penche très rarement du côté des questions socio-économiques.

En revanche, à ce jeu de dupes, les perdants ne sont pas toujours ceux que l’on croit ; Nicolas-« double ration de frites (à la cantine) »[16]- Sarkozy et Manuel –« tu me mets quelques blancs, quelques white, quelques Blancos »[17]- Valls l’ont appris à leurs dépens…

Bouna C.E. Mbaye

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