Pr Awa Marie Coll Seck, ministre d’Etat, présidente du comité national ITIE: « Le défi de l’Itie, c’est de faire en sorte que toutes les réformes soient traduites dans la réalité quotidienne »
Après avoir obtenu sa première validation en 2018, avec la mention « Pays satisfaisant », en matière de respect de la Norme Itie, le Sénégal se prépare à se soumettre à une deuxième évaluation en mai 2021. Le Comité national Itie travaille activement à aborder cette échance dans les meilleures conditions. Dans cet entretien, sa présidente, le Pr Awa Marie Coll Seck, fait le point.
Entretien réalisé par : Elhadji Ibrahima THIAM
Mme la présidente, le 9 octobre dernier, le Chef de l’État a reçu le Comité national Itie dans son ensemble ; ce qui est une première depuis sa création, en 2013. Quels sont les messages forts de cette rencontre ?
C’est vrai, c’est la première fois que le Président de la République reçoit tout le Comité national composé de représentants de la société civile, du secteur privé et de l’administration, en plus du Secrétariat permanent de l’Itie. Ce qui nous a beaucoup plus, c’est que nous nous sommes retrouvés avec le Chef de l’État, mais entouré de tout son staff et des ministres des secteurs concernés. Cela montre le niveau d’engagement du Gouvernement par rapport aux exigences et à la Norme Itie. Cette rencontre était importante parce qu’elle nous a permis d’échanger avec le Président sur ce que nous considérons comme des acquis mais également comme des défis à relever. Il faut le rappeler, le Sénégal a eu sa première validation en 2018 en ayant été noté « Pays satisfaisant ». Et c’est la première haute distinction. Nous devons repasser en mai 2021 pour une nouvelle validation. C’est vous dire que la barre est haute et nous ne voudrions pas arriver à cette deuxième validation avec des points qui restent en suspens. Les recommandations qu’on nous avait faites lors de la première validation sont au nombre de 26. Les 16 ont été déjà réglées et 10 sont en cours de de l’être, mais il y en a qui sont urgentes. C’est pourquoi que nous voulions que le Chef de l’État soit au courant de cela pour pouvoir donner des instructions.
Quels sont ces points urgents qu’il faut régler avant la prochaine validation ?
Il s’agit, par exemple, de l’effectivité du cadastre minier et du cadastre pétrolier parce que ce sont des informations indispensables si on veut parler de transparence. La question a été posée au cours de la rencontre et les ministres ont eu à expliquer que le processus était en cours. Le Président de la République a demandé à ce que, d’ici la fin de l’année, tous ces problèmes soient réglés. Si nous n’avons pas de cadastres minier et pétrolier, ce sera un point en moins pour le Sénégal quand nous irons pour l’évaluation. Mais, je crois qu’il faut voir la Norme Itie comme un progrès nécessaire pour le pays envers ses populations. Certains pourraient penser que nous faisons tout ceci juste pour la validation. Non. Il faut savoir que chaque élément de validation, chaque exigence apporte un plus au pays. La validation passe en revue. Quand vous avez une évaluation, des gens de l’extérieur viennent regarder ce que vous faites point par point. Normalement, cela doit nous faire progresser. On aime bien qu’il y ait des évaluations, mais on préfère que quand il y a une validation, que tous les points à améliorer puissent l’être.
Donc, en demandant de finaliser tous les textes en suspens, le Président Macky Sall fait référence aux points que vous évoquez ?
Tout à fait. Un Code pétrolier a été mis en place. C’est très bien ; il y a des pays qui ne l’ont pas. Mais, quand on a un Code pétrolier, il faut des décrets d’application. C’est pourquoi j’ai eu à dire, au cours de cette audience, qu’on a fait beaucoup de réformes que ce soit le Code pétrolier ou le Code minier, la loi sur le Contenu local et le décret sur les bénéficiaires effectifs. Cependant, il faut qu’il y ait des arrêtés et d’autres décrets parfois, pour que les choses puissent être mises en œuvre concrètement.
Vous semblez dire que le Sénégal a fait certes de bons résultats en matière de respect de la Norme Itie, mais qu’il ne faut pas se suffire de ces performances, il faut faire beaucoup mieux…
Le Sénégal a fait beaucoup en matière d’Itie, mais il faudrait qu’on sache qu’il y a des éléments de mise en œuvre qu’il faudrait atteindre, sinon on risque de ne pas être performant à 100 %. Aujourd’hui, je considère que l’Itie a une certaine imputation, elle a comme objectif la transparence et la redevabilité.
Où en êtes-vous avec le processus d’élaboration du rapport de 2019 ?
On est très avancé dans ce travail. C’est un des domaines sur lesquels le Comité national Itie excelle maintenant. Le Secrétariat est toujours en avance. L’administrateur indépendant a commencé à vérifier tout ce que nous avions déjà recueilli. Parce que contrairement à certains pays, nous avons les compétences et nous avons une commission qui s’occupe de cela. Nous avons tout collecté, l’administrateur indépendant est là pour vérifier si la collecte a été faite correctement et aussi faire un rapprochement entre les différentes déclarations de versement. En général, on n’a jamais trouvé de grosses différences, mais on ne veut pas qu’il y ait même 4 % ou 5 %, on aimerait descendre jusqu’à 2 % maximum de différence entre les déclarations. Le travail est en cours. Nous sommes dans le temps malgré la Covid-19.
Est-ce que vous avez travaillé sur la base du même périmètre d’entreprises ou bien vous l’avez élargi ?
C’est le même périmètre d’entreprises parce que l’espace qu’on couvre est à plus de 98 % des sociétés qui existent au Sénégal. Nous sommes allés jusqu’aux entreprises qui font des chiffres d’affaires de plus de 200 millions de FCfa. Après, il y a de très petites choses qui ne font pas la différence et qui font perdre beaucoup de temps si on les prenait en compte. Mais, tout cela est réglé au niveau du contexte et de l’analyse qui est faite, car nous ne voulons laisser personne de côté. Il y a même des entreprises qui ne font pas partie du périmètre, mais on les trace quand même.
En août 2019, les résultats de l’étude de faisabilité du système de télé-déclaration pour l’amélioration de la traçabilité des revenus dans les finances publiques ont été restitués. À cette occasion, vous aviez appelé les structures concernées de toutes les entités déclarantes pour la mise en place effective de la plateforme. Votre appel a-t-il été entendu ?
Cette plateforme est effective puisque c’est sur cette base que nous sommes en train de faire le rapport de conciliation de 2019. Il y a eu des formations de tous les acteurs, que ce soit le secteur de l’administration, le privé ou la société civile, même si elle n’intervient pas directement, mais juste pour qu’elle comprenne bien. Aujourd’hui donc, tout le monde a entré ses données dans le serveur logé au ministère des Finances et du Budget et qui nous permet d’avoir une vue globale de tout ce qui se passe. Cette télé-déclaration, c’est une grande avancée.
Est-ce qu’on peut s’attendre à avoir des déclarations de versement au jour le jour, en temps réel, en maintreaming comme on dit, à l’image de ce qui se fait en Norvège ; ce qui éviterait de produire des rapports chaque année ?
Nous aimerions y arriver, c’est notre souhait d’ailleurs, avoir tout en ligne. Nous avons aussi tout un système pour que cela puisse être vu par qui voudrait avoir des informations. Mais, il faut le dire, c’est une technologie pas trop sophistiquée, mais quand même assez avancée. Vu que nous représentons des pays francophones d’Afrique de l’Ouest au niveau du Conseil d’administration de l’Itie international, on nous reproche toujours le fait de vouloir tirer trop loin au moment où d’autres États de la sous-région ne sont pas encore à ce stade.
Aujourd’hui, quels sont les plus grands défis auxquels l’Itie doit faire face ?
D’abord, il faut qu’on maintienne la crédibilité de l’Itie même au niveau national. C’est-à-dire que l’Itie soit impliquée, aujourd’hui, dans tout ce qui se fait et qui a trait aux ressources naturelles. Et c’est important parce que si on n’apportait rien, on ne nous inviterait pas, on ne nous appellerait pas. L’Itie a participé aux différents processus qui ont permis d’aboutir aux différents codes et lois relatifs aux ressources minérales. J’aime dire que l’Itie à cette vocation-là qui n’est pas visible : accompagner le Gouvernement dans ses réformes. Tout ce qui sort, même un décret introduit par le ministre de tutelle, en général, nous y avons participé et nous avons tout fait pour que les exigences de l’Itie puissent être parties prenantes de ces différentes réformes. Maintenant notre défi le plus important, c’est que toutes les réformes puissent être traduites dans la réalité quotidienne. Une réforme en cours et qui va être importante, c’est celle du Code de l’environnement que nous suivons aussi. Parce que l’environnement va devenir une exigence importante de l’Itie. C’est une question qui préoccupe beaucoup les populations des zones minières.