Quand les préparatifs de la Tabaski sont synonymes d’angoisses

L’approche de la Tabaski représente pour certains des moments sanctionnés de préparatifs heureux et festifs. Pour d’autres, il s’agit de moments de doutes, de solitude et de tristesse, voire même parfois d’angoisse.

Dans le tourbillon des va-et-vient, une dame, la soixantaine, reste hagarde. D’un calme olympien, un regard digne, elle n’en semble pas moins préoccupée. L’expression ferme de son visage trahit le sourire qu’elle s’efforce d’afficher, en réponse aux interpellations de ses interlocuteurs. Teint clair, taille moyenne, habillée d’un boubou celle que nous appellerons Seynabou est dans l’embarras. Elle s’est pointée à l’aurore, dans le foirail de petits ruminants de Sicap Mbao, dans le but de disposer d’un bélier. Avec une bourse de 50. 000 F, elle peine à trouver un mouton. Les nombreuses initiatives qu’elle entreprend depuis le matin ne se concrétisent point. «Les moutons ne sont pas à ma portée, je n’ai que 50.000 F et les moins chers ici ne coutent pas moins de 90.000 F», confie t-elle, toute agacée. Cette mère de famille dit vivre avec 5 de ses enfants. Son époux à la retraite depuis 5 ans et polygame peine à joindre les deux bouts. Ses enfants, encore à la fleur de l’âge ne peuvent guère subvenir à ses besoins. «Ces 50.000 F, j’ai pu les disposer à partir de la vente de crème glace. C’est la somme de plusieurs mois d’épargne», relève t-elle, toute désolée. Difficultés financières, pression sociale… alors que les fêtes sont pour certains synonymes de bonheur, pour d’autres elles riment avec pression. «Il n’est pas aisé de solliciter de l’aide en cette période de préparatifs de la Tabaski. La majeure partie des personnes est en train de s’adonner à des programmations afin d’acquérir un bélier et de faire plaisir à sa famille», affirme Seynabou. Après avoir cherché en vain, elle se résout à retourner chez elle, mais promet de revenir dés le lendemain, dans l’espoir dit-elle de «croiser cette fois-ci la bénédiction».
Prières collectives, retrouvailles conviviales, repas en familles… tel est le décor idéal pour les différentes familles musulmanes, à l’occasion de la célébration de la fête de Tabaski. Ce tableau idyllique de rites risquent d’être chamboulés pour certains. C’est le cas de Modou. Il est carrossier de métier. Touché de plein fouet par les conséquences de la Covid-19, dit-il, il n’a pu cette année réunir la somme requise, pour s’offrir un bélier et acheter des habilles pour ses enfants. «D’habitude, à 5 mois de la Tabaski, je commençais à mensuellement épargner une somme pour pouvoir ensuite faire face aux frais liés à la fête», souligne t-il. Les conséquences économiques et le ralentissement du secteur des transports résultant de l’arrivée de la Covid-19 seraient selon lui, à l’origine de ses déboires financiers. «Vous avez un sentiment de honte, de gêne. Quand le strict minimum pour s’offrir un bélier n’est pas à votre portée, il devient difficile d’afficher une mine épanouie», souligne t-il. Toute cette effervescence liée aux préparatifs de fête semblent si loin de Modou. En bon croyant, dit-il, il demeure tout de même optimiste, quant à une issue heureuse.
Le désarroi est si grand…

Les médias ne manquent pas de montrer des sujets sur des nécessiteux qui n’ont pas suffisamment de revenus pour honorer les dépenses liées à cette fête majeure. Ces images informent de la réalité mais sont loin de traduire tout l’impacte de ce phénomène, souligne Pape Sow, un vendeur de moutons nomade croisé au quartier Boune. Il dit être tous les jours confronté à des cas de soutien de famille qui peinent à réunir l’argent nécessaire pour s’offrir un mouton. «Ce lundi, j’ai cédé un mouton à 70.000 F alors que son prix réel est de 100. 000 F», souligne t-il. Epris de pitié, il finit par céder devant l’insistance d’un père de famille aux revenus modiques mais qui désirait de tout cœur un bélier, relève t-il. Tous n’auront pas la chance de croiser un vendeur samaritain comme Pape. «Le fait d’observer des personnes baigner dans le bonheur alors que les fins de mois sont difficiles pour d’autres n’est pas chose aisée. L’entraide constitue parfois un rempart pour espérer disposer d’un mouton», souligne t-il.
Le remède se trouve alors dans le don, dans l’action d’agir pour les autres, d’oublier la dure réalité qui touche presque tout le monde et de devenir un maillon de la chaîne de la joie de l’autre. «La Fête du sacrifice est l’une des célébrations les plus importantes de la foi musulmane. Elle commémore la soumission d’Abraham (Ibrâhîm en arabe) à la volonté de Dieu lorsque celui-ci lui demanda de sacrifier son fils Ismaël. L’Aïd-el Kébir, est avant tout un incroyable élan de solidarité. Le don fait partie des cinq piliers de l’Islam et une fois par année, les musulmans mieux nantis sont invités à partager, donner aux plus pauvres», invite l’imam Abdou Seck. Comme à l’accoutumée, tous les musulmans, sans distinction, doivent pouvoir profiter de cette fête. C’est pour cela que le croyant est invité à partager avec les plus démunis, relève t-il.