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Rached Ghannouchi en rêvait, il est élu à la tète de l’ARP

Le président du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, a été élu mercredi 13 novembre nouveau président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Rached Ghannouchi, l’homme fort de la Tunisie

Alors que partout ailleurs le printemps arabe s’est transformé en un long hiver où l’islam politique est réprimé comme en Egypte ou anéanti comme en Syrie, le mouvement tunisien Ennahdha, anciennement Mouvement de la Tendance Islamique (MTI), qui regroupe les islamistes tunisiens depuis près de quarante ans poursuit sa lente métamorphose en un mouvement de démocrates musulmans désireux avant tout de participer au pouvoir. L’élection mercredii de son chef incontesté et charismatique, Rached Ghannouchi à la tète de l’ARP, le parlement tunisien, est une espèce de consécration de cette stratégie réformiste qui a joué la carte légaliste depuis le départ de Ben Ali en 2011. Plus encore, ce sont les islamistes tunisiens qui ont imposé une lecture parlementaire de la nouvelle constitution, un choix dont aujourd’hui ils recueillent les lauriers.

Principal parti au sein d’une assemblée élue en octobre et totalement émiettée, c’est à eux désormais de désigner le futur Premier ministre dans une atmosphère très IV eme république française.

Depuis le perchoir qu’il a conquis aux forceps grace à des jeux politiciens dont il est devenu l’inégalable marionnettiste, Rached Ghannouchi est désormais l’homme fort de la vie politique tunisienne. A condition qu’il trouve un accord politique durable avec le nouveau président tunisien, Kaïs Saied, qui bénéficie d’une popularité inégalée, mais sans troupes ni maillage territorial dans la Tunisie réelle.

La culture du compromis

Contrairement à une vision manichéenne de l’histoire tunisienne où les deux Présidents Bourguiba et Ben Ali auraient été des remparts contre l’islamisme qu’iis auraient réprimé de façon constante, le pouvoir en Tunisie a régulièrement tenté de trouver des formes de compromis avec l’Islam politique. Cette culture de la négociation qui a coexisté avec les formes les plus brutales de la répression éclaire les ressorts de la transition démocratique relativement maitrisée que l’on connaît en Tunisie depuis la fuite de l’ex président Ben Ali vers l’Arabie Saoudite le 14 janvier 2011.

Le mouvement islamiste tunisien n’est pas né d’hier. Dès la fin des années 60, le chef d’Ennhada, Rachid Ghannouchi, s’engageait en faveur de l’islamisme, après des détours par le Nassérisme lors d’un séjour au Caire et par le baas syrien à l’occasion d’un voyage à Damas, où il rencontre les Frères Musulmans. Sous Bourguiba comme sous Ben Ali, les deux présidents que connaît la Tunisie jusqu’aux journées révolutionnaires de janvier 2011, le pouvoir va vivre des phases de compromis avec les islamistes, avant de revenir à de longues périodes de répression.

Ainsi s’est forgé l’identité du mouvement islamiste, depuis un demi siècle, dans les prisons tunisiennes certes, mais aussi dans les antichambres des Palais nationaux. Depuis l’Indépendance de la Tunisie, 30000 militants auront été emprisonnés et torturés de la pire des façons, forgeant des solidarités qui sont encore aujourd’hui l’ossature du mouvement islamiste Ennhada. Mais certaines ouvertures politiques aussi bien sous Bourguiba que sous Ben Ali vont permettre aux patrons de Nahda de se frotter au pouvoir, de s’initier au pluralisme et peut-être d’apprivoiser les valeurs démocratiques. L’existence du fameux code du statut personnel tunisien, qui donne à la Tunisienne des droits qui n’existent nulle part ailleurs dans le monde arabe et méditerranéen, a été admise par Rached Ghannouchi, le chef incontesté de l’islamisme tunisien,  dès 1988. Ce n’est pas rien !

Une incomparable souplesse tactique

Après le printemps tunisien de janvier 2011 qui pet fin à des dizaiens d’années de répression, d’emprisonnement et de torture des militants islamistes, Rached Ghannouchi va d’emblée jouer le jeu pluraliste en s’alliant, malgré une première victoire électorale en octobre 2011, avec les partis des anciens opposants de Ben Ali que sont Marzouki, nationaliste arabe et Ben Jaffar, social démocrate.

Après les années 2012 et 2013 où Ghannouchi est le véritable maitre des élégances politiques à Tunis, via des gouvernements qu’il contrôle en sous main, le leader d’Ennahdha finira par accepter, début 2014, de s’éloigner du pouvoir. Cette stratégie conciliante lui permit surtout d’éviter de faire les frais d’un scénario à l’égyptienne – l’éviction puis l’emprisonnement par le maréchal Sissi des Frères musulmans pourtant portés au pouvoir par les urnes. Son espoir est de permettre à Ennahdha de se refaire une virginité et de mieux rebondir. Ce qu’il parviendra à faire en devenant la deuxième force politique en 1014 au sein du parlement puis ensuite la première lors des élections municipales de 2018.

Cette stratégie légaliste a été soutenue par les pragmatiques du mouvement, mais critiquée par les plus radicaux. Ces derniers, d’obédience salafiste et emmenés par Sadok Chourou et Habib Ellouze, vont notamment reprocher à Ghannouchi sa rencontre avec Béji Caïd Essebsi, à la mi-août 2013 à Paris, et son recul sur la charia, qui ne sera finalement pas mentionnée comme référence principale du droit dans la Constitution promulguée le 26 janvier 2014. Et ils ne manquent aucune occasion de lui rappeler que le pouvoir réel, au sein du parti, appartient au majlis al-Choura.

Ces dissensions internes n’ont jamais pourtant réussi à provoquer l’éclatement du mouvement islamiste, toujours rassemblé après des débats parfois houleux autour de son chef et le seul en tout ca en Tunisie à reste en état de marche.

Des conservateurs pieux

On aurait tort de croire que la souplesse et le pragmatisme de Ghannouchi ont anéanti tout projet politique. Ce dernier existe bel et bien. Pour Michaël Ayari, analyste à l’International Crisis Group, c’est avant tout son « conservatisme » qui caractérise le programme d’Ennahdha : « La plupart des responsables de ce mouvement poursuivent des objectifs modérés : une islamisation de basse intensité de la société tunisienne, un renouvellement profond des élites, un partage de la rente pétrolière grâce à des relations privilégiées avec les pays du Golfe, le Qatar et une économie libérale, à l’image du projet islamiste en Turquie. »

Plus l’islam politique tunisien s’ancre dans les institutions tunisiennes, plus il devient difficile, même dans une situation économique périlleuse, de remettre en cause son existence malgré l’hostilité profonde qu’il continue à susciter au sein des élites traditionnelles.

Nicolas Beau-mondafrique

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