AFRIQUE

Regards croisés européens et africains sur la guerre en Ukraine: entre choc quasi mortel, révolution stratégique et incertitudes

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Bonjour Gilles Yabi, vous avez organisé en partenariat avec l’Institut Jacques Delors ce 21 avril une table ronde virtuelle sur la guerre en Ukraine avec des regards croisés européens et africains.

Des échanges d’une très grande densité ont mis en lumière la complexité de l’analyse des implications de la guerre actuelle. Évidemment, il a été d’abord question de la tragédie humaine qui se joue en Ukraine avec des milliers de victimes. Tragédie humaine comme pour toutes les guerres qui ont sévi et qui sévissent dans plusieurs parties du monde. L’ambassadeur Frédéric Ngoga, spécialiste des mécanismes de sécurité régionale au sein de l’Union africaine, a rappelé que l’organisation continentale avait été prompte à réagir en appelant à une cessation des hostilités. 

Cyrille Bret, chercheur associé de l’Institut Delors, a offert une lecture très intéressante et nuancée des causes conjoncturelles et structurelles du conflit. Pour lui, une cessation des hostilités à court terme est peu probable. Il a aussi identifié trois scénarios possibles : celui d’une partition assortie d’une négociation et de l’établissement d’un traité de paix avec une Ukraine aux frontières redessinées. Celui d’une renonciation de la Russie à son entreprise, sous le coup des sanctions et de la résistance des forces armées et de la société civile ukrainiennes, et enfin le scénario de la tension et du pourrissement qui ferait de l’Ukraine un champ de bataille pendant des années.

Nicole Gnesotto, vice-présidente de l’Institut Delors, spécialiste des questions européennes, a eu des mots très forts, parlant d’un choc quasi mortel pour l’Europe.        

Pour elle, la guerre constitue à la fois un choc quasi mortel et un réveil pour l’Union européenne. Une Europe qui découvre, je reprends ses mots, « la vanité, l’obsolescence de tout ce à quoi elle croyait jusque-là », l’idée que l’interdépendance économique suffit à garantir la paix, que l’Europe n’a pas à se soucier de sa défense parce que les Etats-Unis le font très bien. Elle a décrit aussi de manière très explicite la révolution stratégique et psychologique en Allemagne, qui est passée du statut de leader de l’Europe à celui de maillon faible avec une dépendance de la Chine pour son commerce, de la Russie pour son gaz, des Etats-Unis pour sa défense et bientôt pour son gaz… 

L’Allemagne qui a décidé de dépenser 100 milliards d’euros pour sa défense va désormais être un pays très différent de celui qu’on a connu depuis des décennies. Finie la puissance douce qui se préoccupe essentiellement de commerce et de relations économiques. Questions cruciales que Nicole Gnesotto a aussi mises sur la table: quelles relations établir avec la Russie après la guerre? « La Russie est là… elle n’est pas en Afrique de l’Ouest », a-t-elle dit avec humour certain. 

Cette guerre est un choc exogène sérieux pour l’Afrique avec une multitude de conséquences également sur le plan économique mais aussi sécuritaire et géopolitique   

Tout à fait. Pour le professeur Serigne Bamba Gaye, expert des relations internationales associé au Centre des Hautes Études de Défense et de Sécurité à Dakar, la guerre en Ukraine est un nouveau choc exogène qui affaiblit la relance économique post-Covid en Afrique et rappelle encore les vulnérabilités critiques du continent. Il a insisté aussi sur la reconfiguration de la puissance à l’échelle mondiale qui se joue. Un monde qui change charrie malheureusement de nouvelles crises et des guerres. 

Frédéric Ngoga de l’Union africaine a souligné la diversité des raisons pour lesquelles les Africains sont absolument concernés : les effets sur les prix des produits alimentaires et énergétiques, l’impact sur le financement européen des opérations de paix en Afrique, l’inquiétude liée au départ des personnels et des moyens aériens ukrainiens de certaines missions de ces missions de paix en Afrique, le risque d’une paralysie du conseil de sécurité au sujet de dossiers africains et aussi le risque de divisions au sein du continent à cause des pressions fortes exercées sur les pays africains pour prendre position dans ce conflit.

► La vidéo de l’intégralité de la table ronde en ligne est disponible sur les pages Facebook et Youtube de WATHI et de l’Institut Jacques Delors.

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