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Reportage : à Calais, les expulsions de campements aléatoires fragilisent davantage des migrants déjà précaires

Pour répondre à la volonté de la préfecture d’empêcher « tout point de fixation », les campements de Calais sont évacués toutes les 48 heures. Généralement, ces opérations sont organisées tôt le matin. Mais depuis quelques semaines, des camps sont évacués à différents moments de la journée. Pour les migrants, c’est un risque supplémentaire de perdre leurs tentes et affaires personnelles.

La pluie a transformé le sol du campement en mare de boue. Autour d’un petit feu, ravivé de temps en temps d’une giclée d’essence, cinq jeunes hommes tentent de se réchauffer. Après des semaines de grande chaleur, de fortes pluies tombent, vendredi 18 juin, sur le Pas-de-Calais.

Les 27 Soudanais qui vivent dans ce petit campement caché en contrebas d’un chemin bordé d’arbres, tout près de la zone industrielle de Coquelles, non loin de Calais, n’ont rien d’autres pour s’abriter que des vestes et des capes de pluie.

Une bâche bleue traîne, froissée, dans la boue, près du feu. « On n’ose pas la tendre pour s’abriter. On a peur d’être vus par la police », explique Ali Youssef Ahmad, pieds nus dans ses claquettes et une cape de pluie transparente sur les épaules. « La police vient parfois en pleine nuit vérifier qu’il n’y a pas de tente », assure le jeune homme. Autour du feu, ses camarades affirment s’être fait prendre leurs tentes par la police il y a trois semaines.

À Calais et dans les environs, les migrants sont contraints de se rendre toujours plus invisibles par crainte d'être expulsés. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants.
À Calais et dans les environs, les migrants sont contraints de se rendre toujours plus invisibles par crainte d’être expulsés. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants.

« Surprendre les personnes »

À Calais, les forces de l’ordre appliquent les ordres de la préfecture : aucun « point de fixation ». Toutes les 48 heures, les campements de la ville sont évacués dans un ballet parfois émaillé de violences mais jusque-là assez régulier : à l’arrivée des policiers, tôt le matin, les migrants ont généralement déjà quitté les lieux avec leurs affaires pour attendre, à quelques mètres de là, la fin de l’opération policière et se réinstaller au même endroit une fois les policiers partis.

Mais la méthode d’évacuation des campements a été modifiée il y a quelques semaines. Les interventions policières peuvent désormais survenir à tout moment de la journée. Un même lieu peut aussi être évacué deux jours de suite. « Cela signifie que les migrants qui sont partis pour chercher à manger ou bien prendre une douche reviennent et voient parfois que leur tente et toutes leurs affaires ont été embarquées », rapporte François Guennoc, président de l’association l’Auberge des migrants.

« L’objectif est de surprendre les personnes », analyse de son côté un membre du collectif Human rights observers (HRO). « Les expulsions les rendent très vulnérables. Les personnes sont épuisées physiquement et psychologiquement », ajoute ce bénévole.

Cette technique d’évacuation rend la vie quotidienne des exilés encore plus compliquée et les condamne souvent à dormir à la rue sans protection car le nombre de tentes saisies par la police est tel que les associations n’arrivent plus à les remplacer. L’association Collective Aid a fourni 3 000 tentes cet hiver mais les distributions ont dû cesser, le temps de refaire du stock qui servira l’hiver prochain.

Un accès à l’eau et à la nourriture rendu encore plus difficile

À Calais ou Coquelles, la plupart des espaces qui ont, un jour servi de lieux de vie, ont aussi été rendus inaccessibles. Des rochers ont notamment été disposés, fin mars, devant l’ancien Conforama de la ville. En janvier, des arceaux à vélo avaient été installés sous le pont Mollien, dans le centre-ville de Calais.

Des rochers ont été disposés devant l'ancien Conforama de Coquelles fin mars pour empêcher les migrants de s'y installer. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants.
Des rochers ont été disposés devant l’ancien Conforama de Coquelles fin mars pour empêcher les migrants de s’y installer. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants.

Obligés de trouver refuge dans des bois et bosquets, toujours plus loin des regards, les exilés ont aussi plus difficilement accès aux distributions d’eau et de nourriture. Selon François Guennoc, les distributions de La Vie active, association mandatée par l’État, ne toucherait qu’un tiers des quelque 1 500 migrants présents à Calais. Pour les exilés les plus isolés, c’est l’eau qui manque le plus. Ali Youssef Ahmad et ses compagnons ont beaucoup souffert de la soif lors des fortes chaleurs de la semaine dernière.

Pour pallier l’absence de distribution d’eau à Coquelles, l’Auberge des migrants a installé une petite citerne près du campement des Soudanais. Pendant que nous parlons avec les exilés réunis autour du feu, un jeune homme fait des allers-retours à vélo entre le campement et la citerne pour remplir des bidons en plastique.

« Quand la police arrive, il faut prendre ta tente et courir »

Face aux nouvelles méthodes policières, les communautés érythréennes des campements du stade de l’Épopée et du terrain de BMX, à Calais, se sont organisées et ont réussi à conserver quelques tentes. « On se fait confiance. Si quelqu’un nous prévient qu’une évacuation va avoir lieu, on range toutes nos affaires et on quitte les campements », explique un jeune homme, un tasse de café à la main.

Ahmad Saïdi et ses amis ont, eux aussi, pu conserver trois petites tentes. Samedi après-midi, il sont venus les installer dans l’un des hangars, au bout de l’impasse Magnésia, près de l’hôpital de Calais.

Ahmad Saïdi, Rananie et leurs amis ont pu conserver trois petites tentes. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants.
Ahmad Saïdi, Rananie et leurs amis ont pu conserver trois petites tentes. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants.

Avant son évacuation, début juin, 650 migrants vivaient dans les neufs hangars que compte cette ancienne friche commerciale. Samedi, malgré le fourgon de CRS posté au bout de l’impasse pour décourager les personnes de pénétrer sur le site, ils sont des dizaines à s’être mis à l’abri de la pluie dans les hangars. Des cordes ont été tendues pour faire sécher des vêtements.

Le groupe d’Ahmad Saïdi profite de quelques heures au sec. Ils confirment que les lieux de vie des exilés sont évacués « parfois le matin, parfois l’après-midi ». En plus de perdre leurs affaires, les jeunes Afghans craignent une arrestation qui pourrait avoir de graves conséquences. Notamment pour Rananie, plus à l’aise en allemand qu’en anglais après six ans passés en Allemagne, sans que sa demande d’asile n’aboutisse. « Si la police le trouve et le renvoie en Allemagne, il sera expulsé vers l’Afghanistan et là-bas il y a des bombes qui explosent tous les jours », assure Ahmad Saïdi.

La seule solution pour eux, malgré la fatigue, c’est d’être toujours prêts à fuir. « Quand la police arrive, il faut prendre ta tente et courir. »

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